Détresse et consternation au Sénégal après la mort de 11 bébés à l’hôpital

“Où est Mohamed ?”, demande une mère effondrée devant l’hôpital de Tivaouane. La mort de 11 bébés dans l’incendie apparemment accidentel qui a ravagé l’unité néonatale a semé la détresse parmi les proches et la consternation au Sénégal.

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Des visiteurs se tiennent devant l'hôpital Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh, où onze bébés sont morts suite à un défaut électrique, à Tivaouane, le 26 mai 2022. Crédit: Seyllou / AFP

Le drame de Tivaoune (ouest), provoqué par un court-circuit selon les premières informations, est le dernier en date à mettre en lumière les carences du système de santé de ce pays pauvre. Il a suscité promesses de modernisation et d’investigations de la part des autorités, et appels à la démission dans l’opinion et l’opposition.

Le président Macky Sall a décrété trois jours de deuil national à partir de ce jeudi.

“Dieu a pris la meilleure décision”

Devant l’hôpital Mame Abdou Aziz Sy Dabakh, une mère tenant à peine debout interpelle un homme dont elle attend qu’il lui dise où est son fils Mohamed, hospitalisé là il y a 10 jours parce qu’il avait “mal au corps” selon son père. “Dieu a pris la meilleure décision”, lui répond l’individu, aussitôt repris par le père, Alioune Diouf, un chauffeur de 54 ans. “Tu ne devais pas le lui dire de cette manière”, réprimande Alioune Diouf, tandis que sa femme s’écroule.

Mohamed, baptisé lundi, était le deuxième enfant du couple. Sa mère faisait les allées et venues entre la maison et l’hôpital pour l’allaiter. Son père était venu mercredi apporter ses médicaments. “Les lits me semblaient corrects”, se rappelle-t-il. Il a été alerté par les médias.

Le niveau de surveillance de cet établissement à la taille et aux moyens relativement modestes restent obscurs. Les nouveau-nés étaient réunis dans l’unité néonatale, peut-être dans une même salle, 11 ou plus selon les sources. Des témoignages cités par la presse rapportent des flammes se propageant rapidement aux alentours de 21 heures (locales et GMT) à l’étage d’un bâtiment et des explosions de bonbonnes dissuadant d’intervenir.

Colère populaire

L’incendie a été causé par “un court-circuit, et le feu s’est propagé très vite”, a dit le maire Demba Diop. Des témoins ainsi que le maire ont indiqué qu’un certain nombre de bébés avaient été sauvés des flammes. Mais onze n’ont pas survécu selon les autorités.

Le président, en déplacement à l’étranger, a tweeté sa “douleur et (sa) consternation”, et dépêché son ministre de l’Intérieur Antoine Diome.

“Le président nous a donné pour instruction d’ouvrir une enquête. Il nous a demandé de faire un état des lieux des besoins en équipements pour les services s’occupant des nouveau-nés ici à Tivaouane et dans tous les hôpitaux du pays”, a dit Diome.

Mais la colère grondait devant l’hôpital dans un petit groupe de femmes anonymes. “C’est de la négligence. Laisser les enfants sans personne pour les surveiller et dire que ‘c’est Dieu qui l’a voulu’… Une mère prend la précaution de confier son enfant à quelqu’un, même quand elle va aux toilettes”, vitupérait l’une d’elles, tandis qu’un homme d’une cinquante d’années invoquait “la volonté divine”.

Tivaouane, environ 40.000 habitants, est le fief des Tidianes, l’une des importantes confréries musulmanes qui jouent un rôle social essentiel au Sénégal.

“Le drame était prévisible”

Le khalife des Tidianes, Serigne Babacar Sy Mansour, déplorait il y a plusieurs mois l’état de l’hôpital. Le drame “était prévisible tellement le niveau de délabrement avait dépassé l’entendement”, a écrit son neveu Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Amine dans une tribune. Il a dénoncé les promesses non tenues de relèvement du plateau médical alors que l’hôpital sert selon lui des centaines de milliers de personnes.

“J’espère que cette fois les sanctions frapperont le sommet d’un système globalement défaillant”

Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre

Ce sont des griefs souvent entendus ces derniers mois après une série d’événements tragiques. Quatre nouveau-nés avaient succombé en 2021 dans un incendie dans une maternité à Linguère (nord).

Le 1er avril, Astou Sokhna, une femme d’une trentaine d’années enceinte de neuf mois, est morte à l’hôpital public de Louga (nord) après avoir, selon ses proches, vainement attendu dans de très grandes souffrances et pendant une vingtaine d’heures la césarienne qu’elle réclamait.

“J’espère que cette fois les sanctions frapperont le sommet d’un système globalement défaillant”, a tweeté l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye.

“Encore des bébés brûlés dans un hôpital public. C’est inacceptable Macky Sall”, a tweeté un député de l’opposition, Mamadou Lamine Diallo.

Le chef de l’Organisation mondiale de la Santé Tedros Adhanom Ghebreyesus a quant à lui dit avoir “le cœur plus que brisé”.