GHB, soumission chimique... : quel recours pour les victimes de la “drogue du viol” ?

L’affaire de viol présumé à Casablanca impliquant trois “fils de”, qui défraye la chronique depuis le 20 novembre, a notamment mis en lumière l’utilisation du GHB et d’autres drogues dans les agressions sexuelles. Une soumission chimique qui a un second effet pervers : il est encore plus difficile pour les victimes de prouver le viol. Quels recours, sanitaires et légaux, existent alors ? Des experts nous répondent.

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“La victime absorbe à son insu un produit inodore, et perd conscience ou connaissance, ce qui en fait un pantin pour son agresseur” explique le gynécologue Chafik Chraïbi. Crédit: DR

Le viol présumé d’une jeune juriste française, impliquant trois “fils de” grosses fortunes marocaines, fait les gros titres de la presse depuis une semaine. La victime aurait été droguée à son insu, probablement avec du GHB  puissant psychotrope communément appelé “drogue du violeur” — et violée lors d’une soirée dans la nuit du 2 au 3 novembre, selon le PV de sa déposition auprès de la police judiciaire française que TelQuel a pu consulter. Le principal suspect, Kamil B., et deux de ses proches M’hamed A. et Saad S., sont aujourd’hui placés en détention provisoire à la prison d’Oukacha suite aux plaintes déposées à Paris et Casablanca.

Dans sa déposition, la victime présumée indique avoir effectué un test de toxicologie le 3 novembre dans un laboratoire d’analyses médicales de Casablanca, qui ne la testera pourtant pas pour le GHB. “C’est une énigme pourquoi je n’ai pas été testée (pour le GHB ndlr) alors que je l’avais expressément demandé au laboratoire, indique-t-elle à l’officier de police judiciaire qui prend sa plainte le 7 novembre. Comment cela est-il possible ? Et surtout, quels gestes adopter en priorité en cas de viol ou de suspicion de viol ?

La soumission chimique, le “joker” du violeur

Les viols sous soumission chimique sont de plus en plus nombreux, en témoigne le retentissement international du procès des viols de Mazan en France, affaire impliquant 50 hommes jugés pour avoir violé, pendant près de dix ans, Gisèle Pélicot, droguée par son mari. “C’est un phénomène de plus en plus fréquent au Maroc et dans le monde, tout simplement parce que c’est la manière la plus ‘facile’ de violer. La victime absorbe à son insu un produit inodore, et perd conscience ou connaissance, ce qui en fait un pantin pour son agresseur, note le gynécologue obstétricien Chakib Chraibi. Ce dernier précise que les drogues les plus utilisées dans ces agressions sont le GHB et plus rarement “l’bouffa”.

“Le GHB est une substance chimique qui peut être utilisée à des fins médicales, principalement pour traiter des troubles du sommeil ou comme anesthésiant. Cependant, son utilisation dans le cadre de soumission chimique et de violences sexuelles a attiré une attention croissante. Le GHB est parfois appelé ‘drogue du viol’ en raison de son potentiel à induire des pertes de conscience et amnésie chez la personne qui en consomme, détaille quant à elle Imane Kendili, addictologue à Casablanca.

La spécialiste précise en outre que le prix du GHB varie en fonction des régions, des réseaux de distribution et de la demande, mais que des estimations suggèrent qu’une dose de 1 gramme de GHB peut coûter entre 100 à 300 dirhams sur le marché illégal marocain, d’où l’inquiétude des autorités quant à son accessibilité. Autre fait inquiétant, de nombreux laboratoires d’analyses casablancais ne testent pas le GHB. Sur les 6 contactés par TelQuel, aucun n’effectue les analyses nécessaires.

Urgence des tests

Or, ces analyses sont extrêmement importantes. “Il est essentiel de chercher immédiatement de l’assistance médicale et des soins. Une bonne option est de se rendre aux urgences ou dans les cellules dédiées aux femmes victimes de violences, généralement présentes dans les hôpitaux. Il y a deux raisons principales pour agir rapidement. La première est d’obtenir les soins médicaux nécessaires sans délai, afin de prévenir tout impact négatif sur la santé, notamment les risques liés aux drogues dont la composition est inconnue, explique Stéphanie Willman, juriste et co-fondatrice de l’ONG MRA (Mobilising for Rights Associates), basée à Rabat. Et l’experte d’ajouter : “La deuxième raison est de procéder à des analyses et tests dès que possible, car les substances toxiques peuvent disparaître du système en fonction de leur nature, entre 12 et 72 heures après ingestion.

“Il est important de ne pas faire certaines choses avant d’avoir consulté un professionnel de santé ou contacté les autorités. Il est fortement conseillé de ne pas aller aux toilettes pour uriner, car de nombreux tests de dépistage, notamment pour les drogues, sont réalisés à partir d’urine, complète une avocate au barreau de Casablanca, spécialisée dans les violences sexuelles, ayant requis l’anonymat.

De même, il est essentiel de ne pas prendre de douche, ni de bain, de ne pas se laver les mains, de ne pas se brosser les dents, de ne pas se coiffer, de ne pas changer de vêtements, ni de manger ou boire. Ces précautions sont cruciales non seulement pour garantir la fiabilité des analyses médicales, mais aussi, en cas d’enquête criminelle, pour préserver les preuves nécessaires à la procédure pénale, ajoute l’avocate.

Ce que nous confirme Chafik Chraïbi : “Il est important de ne pas se laver pour préserver les preuves. Ne lavez pas votre appareil génital, car si du sperme est présent, il peut être nécessaire pour réaliser un test ADN. Il est également essentiel de vérifier s’il y a des ecchymoses ou une déchirure récente de l’hymen. La victime devrait d’abord consulter un médecin qui pourra constater le viol et établir un certificat médical. Ensuite, il sera important de signaler l’incident à la police.

Et le médecin d’ajouter : “Ce qu’elle devrait faire immédiatement, c’est prendre la pilule du lendemain pour éviter une grossesse non désirée, et commencer un traitement antibiotique pour prévenir une infection génitale. Ces mesures sont à prendre sans délai. Dans les deux mois suivants, il est recommandé de réaliser une sérologie pour l’hépatite virale B et C, un test de dépistage du VIH, ainsi qu’une sérologie pour la syphilis. En effet, un violeur peut être porteur de maladies sexuellement transmissibles, qui peuvent être transmises à la victime.

Des tests qu’il vaut mieux effectuer dans un hôpital public, tant la législation sur les procédures en cas de viol reste floue, comme nous le confirme un avocat au barreau de Casablanca : “Au Maroc, il n’y a pas de texte qui l’exige mais en pratique la justice exige un rapport médical d’un médecin de l’hôpital public en cas de viol. En général, il y a de la suspicion concernant les preuves qui viennent d’établissements privés.

Sauf cas exceptionnel, comme nous l’affirme Stéphanie Wilmann : “Nous avons pris connaissance d’un cas où une victime de viol s’est rendue dans une clinique privée pour recevoir des soins et effectuer des analyses, car elle n’avait pas accès à ces services dans un hôpital public. Dans cette région, étant donné les circonstances, les analyses effectuées en clinique privée ainsi que le certificat médical délivré par cette clinique ont été acceptés, puisque la victime n’a pas pu obtenir ces soins à l’hôpital public, explique la juriste.

Et de poursuivre : “Il reste difficile de répondre à la question de savoir si cette pratique est courante à l’échelle du pays, ou si elle est conforme aux normes officielles. C’est justement ce type de divergence de pratiques qui montre la nécessité d’une réforme du code de procédure pénale. Il est crucial que la législation soit clarifiée concernant l’admissibilité des preuves, afin de déterminer ce qui peut ou ne peut pas être accepté dans ce type de situation.

Angle mort de la loi 103-13

Le vide juridique concernant la soumission chimique inquiète de plus en plus avocats et militants pour les droits des femmes. Cela met en évidence le besoin urgent de revoir le Code pénal au Maroc, en particulier d’apporter des réformes supplémentaires à la loi 103.13 (relative aux violences faites aux femmes, ndlr) de 2018, qui, comme cela avait été souligné à l’époque, comportait de nombreuses lacunes. Cette question doit absolument être clarifiée et détaillée dans le Code pénal. En effet, la définition du viol, telle qu’elle est formulée à l’article 486, présente une ambiguïté : en français, le texte parle d’un acte ‘contre le gré’ de la victime, tandis qu’en arabe, il est question d’un acte ‘sans consentement’. Ces deux formulations ne sont pas équivalentes, ce qui crée une confusion et des divergences dans l’application de la loi, s’insurge Stéphanie Wilmann qui milite depuis de nombreuses années pour une réforme du Code pénal.

Certes, selon l’article 485, relatif à l’attentat à la pudeur avec violence, et l’article 486, concernant le viol, commettre un acte sur une personne “incapable” ou sur quelqu’un connu pour avoir des “capacités mentales faibles” constitue une circonstance aggravante. Cependant, il reste une grande ambiguïté sur la façon d’interpréter ces termes. Par exemple, que signifie ‘incapable’ ou ‘connu pour des capacités mentales faibles’ ? Faut-il comprendre cela dans un sens traditionnel, comme une personne ayant une déficience mentale, ou pourrait-on l’élargir à des personnes inconscientes, par exemple après un viol sous l’emprise de drogues ?, s’interroge la juriste. L’interprétation est laissée à l’appréciation des juges, ce que dénoncent des associations de lutte contre les violences faites aux femmes.