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Omar Seghrouchni : “Plus on avance, plus nous nous rendons compte qu’il reste beaucoup à faire”

À la tête de la CNDP depuis 2018, Omar Seghrouchni revient sur les avancées et les défis persistants en matière de protection des données à caractère personnel au Maroc. Il insiste sur l’importance d’ancrer le respect de la vie privée dans la société, tout en ajustant le cadre législatif pour renforcer la confiance numérique.

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Vous présidez depuis 2018 la Commission nationale de contrôle de la protection des Données à caractère Personnel (CNDP). Quel bilan faites-vous de votre action à la tête de cette institution ?

Omar SeghrouchniCrédit: DR

Nous sommes dans une situation particulière. Nous avons bien avancé, mais plus on avance plus nous nous rendons compte qu’il reste beaucoup à faire. Nous devons travailler encore plus pour que le respect de la vie privée et celui des données à caractère personnel deviennent une réalité indiscutable.

C’est moins un travail de gendarme qu’un travail de pèlerin. Il s’agit d’ancrer ces valeurs dans notre société.

Comment évaluez-vous à date le respect des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel ?

Il y a des jours où nous sommes contents du fait que certaines institutions ou certains secteurs se mettent en conformité, et d’autres jours où nous sommes tristes de constater un non-respect, des dérapages, des argumentations incomplètes, parfois factices…

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La question se pose également pour les données à caractère personnel en lien avec les réseaux sociaux, notamment pour la protection des enfants… Que peut faire la CNDP ?

Le sujet est simple et clair et son contexte est compliqué. Ce contre quoi il faut lutter est bien cerné. Comment le faire est plus problématique. Les grands de ces réseaux sociaux considèrent que leurs politiques de protection sont au-dessus des lois nationales.

La CNDP est un membre très actif d’un groupe de travail sur la protection des données pour l’enfance de la Global Privacy Assembly. Nous faisons partie des 8 membres du bureau exécutif de ce rassemblement mondial. Par ailleurs, nous avons développé Koun3labal (sois alerte, ndlr), une plateforme à vocation africaine dédiée à la protection de l’enfance, entre autres.

Nous choisissons des villes moyennes pour faire de la sensibilisation côté CNDP et CDAI : Martil, Sefrou, Missour… Nous cherchons à nous adresser aux enfants et à leurs tuteurs. Pour cela nous avons aussi rajeuni notre moyenne d’âge pour que ce soit les jeunes qui parlent aux jeunes.

Une mise à jour de la loi 09-08 relative à la protection des données à caractère personnel est attendue. Que souhaiteriez-vous apporter de plus à ce cadre réglementaire ? Que manque-t-il pour mieux garantir la protection de ces données à caractère personnel ?

Nous ne disons pas vraiment qu’il nous manque des choses. Il y a plutôt des choses à préciser et à compléter. Avec la version actuelle de la 09-08, il y a déjà beaucoup de choses positives. Nous devons agir pour rendre la loi compatible au contexte international.

Mettre en évidence l’indépendance de la Commission, même si elle fonctionne déjà de façon indépendante. Renforcer le système de contrôle et des sanctions pour atteindre un niveau dissuasif et alléger l’instruction des dossiers, a priori en amont.

En nous rapprochant du contexte international, nous contribuons à renforcer les capacités du Maroc à conforter sa position de hub du digital, en particulier entre l’Europe et l’Afrique. La confiance est essentielle pour les utilisateurs et pour le marché.

Quid de la loi 31-13 relative au droit d’accès à l’information ?

Des ONG soulignent que sa mise en œuvre demeure inachevée… Nous pensons que cette loi ne demeure pas inachevée mais plutôt à répandre de façon large. A la lumière des plaintes que nous recevons, il y a beaucoup à faire. Mais je peux dire aussi qu’à la lumière des plaintes que nous ne recevons pas, il y a beaucoup à faire.

“Nous tombons sur des cas d’entités qui considèrent être au-dessus de la loi. Ils ont une interprétation particulière”

Omar Seghrouchni

La loi n’est pas connue ou maîtrisée par bon nombre de citoyens. Vous savez que l’article 2 de cette loi définit son champ d’application. Il y a par exemple la Chambre des représentants, la Chambre des conseillers, les ministères et administrations, les collectivités territoriales, les tribunaux et même bon nombre d’organisations constitutionnelles.

Nous tombons sur des cas d’entités qui considèrent être au-dessus de la loi. Ils ont une interprétation particulière. Nous ne disons pas encore s’ils ont raison ou tort, cependant nous allons faire étudier cette interprétation par les spécialistes et ceux qui sont en position d’enrichir et corriger notre interprétation de la loi 31-13.

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