Si vous vous attendez aujourd’hui à lire une pleine page sur la visite de Moulay le président français chez nous, alors il vaut mieux passer votre chemin. Le Boualem est incapable de commenter un tel évènement, déjà abondamment analysé par les plus grands héros de la pensée politique de nos deux pays réunis. Il n’a rien à apporter à ce débat historique, terrifié qu’il est par sa hauteur vertigineuse.
Par ailleurs, le bougre lève le pied dès qu’il s’agit de se prononcer sur notre politique étrangère, sans doute un réflexe hérité d’une période où il valait mieux se taire à ce sujet. Car, il faut le dire, c’est un domaine où les coups de théâtre sont si spectaculaires que, en se prononçant, on risque à très court terme de sombrer dans les eaux boueuses du ridicule.
Le Boualem préfère donc vous parler du Ballon d’or, voilà ce dont il est capable cette semaine. Pour les novices, il s’agit d’une récompense qui est décernée chaque année au meilleur footballeur de la saison, après un vote d’une centaine de journalistes du monde entier. Vous avez déjà compris qu’une telle définition porte en elle une charge de contradiction telle qu’elle condamne cette distinction au grand bûcher de l’incohérence.
Car on ne sait pas trop comment choisir un joueur au milieu d’un collectif, et on sait encore moins comment trouver de la logique dans un choix qui est le produit d’un vote public, consultable par tous. Du coup, cette affaire est devenue une usine à polémiques, l’autoroute vers l’insulte, les gémissements numériques et les convulsions collectives.
“Les controverses sur le Ballon d’or ne sont pas le fait d’internautes prépubères, pas du tout. Les joueurs eux-mêmes ont fait de cette affaire une cause cruciale. Ce qui nous amène à cette triste conclusion : c’est la fin du football, et merci”
Mais ce n’est pas ce qui intéresse Zakaria Boualem aujourd’hui. Car ce qu’il faut comprendre, c’est que ces controverses ne sont pas le fait d’internautes prépubères, pas du tout. Les joueurs eux-mêmes ont fait de cette affaire une cause cruciale, et les clubs en font grand cas. Et c’est là que nous arrivons à cette triste conclusion : c’est la fin du football, et merci.
Cette noble activité, déjà mise à mal par les coups de boutoir du capitalisme, est désormais condamnée à mort par son rejeton démoniaque, qui se déchaîne en plein sport collectif : l’individualisme. Je vous sens geindre comme des vieux boucs, de l’autre côté de la page : expliquez-nous comment le capitalisme a attaqué le football, hein, Monsieur le bolchevique ? Pas de problème, répond le Boualem, qui vous demande de ne plus l’interrompre, s’il vous plaît.
Pour augmenter les gains, on a multiplié les matches jusqu’à la nausée, on a favorisé la concentration des richesses entre les mains d’une poignée de clubs, et aussitôt tué une grande partie du suspense. La machine a robotisé les joueurs, car elle est incapable de supporter l’humain et ses frasques au milieu d’une affaire aussi juteuse.
Au revoir, donc, les Maradona ou Cantona, remplacés par des androïdes froids, accaparés par leur réussite personnelle, qui ne disent jamais rien de peur de perdre un marché. Des spectres qui se sont éloignés de leur public, avec qui ils ne partagent plus grand-chose. Ce public qui est sommé de débourser des sommes de plus en plus absurdes pour admirer un spectacle vidé d’une partie de son sens : voilà la réalité de l’étouffement capitaliste.
Il fut un temps où le foot était un temple de culture populaire, c’est devenu un supermarché. Bizarrement, il se trouve des poches de résistance, des endroits où ces cérémonies d’appartenance résistent aux attaques perfides du marché mondial. Notre Botola en fait partie, protégée par son niveau incertain et le statut social douteux de ceux qui la suivent, à commencer par le Boualem. C’est tout pour la semaine, et merci.