Élevage : le cheval barbe, entre préservation et valorisation économique

Le cheval barbe, véritable patrimoine équestre du Maroc, est au centre d’un écosystème économique qui allie tradition et modernité. L’AMCBAB et la SOREC œuvrent ensemble pour préserver cette race emblématique tout en développant de nouveaux débouchés à l’international.

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La demande pour les barbes et arabes-barbes ne cesse de croître, notamment en Europe : ils sont recherchés en raison de leur caractère docile et de leur pied sûr. Crédit: YASSINE TOUMI/TELQUEL

Au Maroc, l’élevage équin joue un rôle primordial, à la fois pour la préservation des chevaux barbe et arabe-barbe, des races locales emblématiques, et pour son impact structurant sur l’économie. Bien que ce secteur reste souvent méconnu du grand public, il constitue le noyau d’un écosystème complexe qui fédère des milliers de passionnés, d’éleveurs et de professionnels de l’équitation.

Le cheval barbe, race originelle d’Afrique du Nord, est depuis des siècles un symbole de robustesse, d’endurance et de docilité. Au Maroc, il est un élément central des traditions, notamment lors des festivités de la tbourida, mais aussi dans les pratiques équestres modernes, telles que les courses, l’équitation professionnelle et les rallyes équestres.

Cette race a cependant été menacée d’extinction à une certaine époque, incitant la création d’organismes dédiés à sa préservation, dont la Société royale d’encouragement du cheval (SOREC) et l’Association marocaine du cheval barbe et arabe-barbe (AMCBAB). “Notre mission est de protéger cette race noble en veillant à ce que les chevaux produits respectent les standards de la race et répondent aux exigences fonctionnelles pour les sports équestres et les loisirs”, explique Youssef Zaim Sassi, secrétaire général de l’AMCBAB.

Préserver les races locales

Créée en 2015, l’AMCBAB a pour objectif principal d’encadrer les éleveurs, tout en préservant la race barbe. Cette mission inclut l’amélioration génétique, le développement de la recherche et la diversification des utilisations du barbe et de l’arabe-barbe, afin de positionner le Maroc comme un acteur de référence dans l’élevage de ces races locales, et de le rendre compétitif sur le marché international.

“Nous comptons actuellement près de 250 éleveurs répartis en différentes catégories : certains possèdent une ou deux juments et produisent un ou deux poulains par an ; d’autres, plus rares, en font leur activité principale et visent la rentabilité économique ; et enfin, il y a ceux qui pratiquent l’élevage par passion, tentant de rentabiliser cette activité à travers des concours et les subventions octroyées par la SOREC”, précise Youssef Zaim, en soulignant que le marché de l’élevage au Maroc est caractérisé par son “irrégularité”.

Le Maroc compte cinq haras nationaux (Bouznika, El Jadida, Marrakech, Meknès et Oujda) et un réseau de plus de 50 stations de monte.Crédit: YASSINE TOUMI/TELQUEL

Le secteur de l’élevage de chevaux barbe et arabe-barbe au Maroc se caractérise également par une fragmentation importante. En effet, 80% des éleveurs ne produisent qu’un seul cheval par an, représentant ainsi 65% de la production nationale. En parallèle, 18% des éleveurs, avec une production de deux à trois poulains par an, contribuent à 30% de la production.

Quant aux grands éleveurs, qui produisent quatre chevaux ou plus par an, ils ne constituent que 2% du total des éleveurs et assurent 5% de la production, illustrant leur poids relativement faible dans le secteur. En tout, le secteur totalise 3000 naissances annuelles de chevaux barbe et arabe-barbe officiellement enregistrées, d’après les données communiquées par l’AMCBAB.

Un moteur économique en plein essor

Derrière chaque cheval, c’est tout un écosystème qui s’articule. Des éleveurs aux maréchaux-ferrants, en passant par les vétérinaires, les fabricants de fourrage, les transporteurs ou encore les artisans

L’élevage équin au Maroc ne se limite pas à une simple activité de passionnés : il constitue un véritable moteur économique. Derrière chaque cheval élevé, c’est tout un écosystème qui s’articule. Des éleveurs aux maréchaux-ferrants, en passant par les vétérinaires, les fabricants de fourrage, les transporteurs ou encore les artisans, c’est une filière complète qui profite de la dynamique de ce secteur.

“C’est un écosystème solide qui permet à de nombreuses familles de subsister. La tbourida, par exemple, mobilise une multitude de métiers lors des festivals, impliquant artisans, éleveurs, transporteurs, etc. C’est un pan important de notre économie traditionnelle”, souligne Youssef Zaim. Il ajoute : “Nous devons penser l’élevage dans une approche globale, en intégrant les besoins économiques de tous les acteurs concernés”.

En ce qui concerne la production directe, notre interlocuteur explique que les prix des chevaux de race locale varient selon plusieurs critères. Une jument peut coûter entre 60.000 et 100.000 dirhams, tandis que certaines peuvent atteindre jusqu’à 300.000 dirhams, en fonction de leur pedigree, de leurs performances et de leur descendance, précise-t-il.

Toutefois, il reste difficile de se prononcer sur la contribution exacte de l’élevage au PIB national. “Au-delà de la production directe, il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des activités connexes pour évaluer l’impact global de ce secteur sur l’économie nationale”, argue-t-il.

Vers une modernisation de l’élevage

“Les éleveurs marocains se tournent de plus en plus vers des boxes construits selon des standards stricts, avec des paddocks spacieux, garantissant le bien-être des chevaux”, explique Youssef Zaim

Pour rentabiliser davantage cette activité, les éleveurs marocains adoptent progressivement des pratiques plus modernes, en investissant dans des infrastructures conformes aux normes internationales. “Les éleveurs marocains se tournent de plus en plus vers des boxes construits selon des standards stricts, avec des paddocks spacieux, garantissant le bien-être des chevaux”, explique le secrétaire général de l’AMCBAB.

De plus, les soins vétérinaires, l’intervention de maréchaux-ferrants qualifiés, ainsi que la sélection rigoureuse des étalons, contribuent à améliorer la qualité des chevaux produits, optimisant ainsi leur valorisation.

Par ailleurs, le croisement des races représente un enjeu central dans cette stratégie de valorisation. Les éleveurs, en partenariat avec la SOREC, travaillent activement à l’amélioration génétique des chevaux barbes et arabes-barbes.

“Nous encourageons les éleveurs à opter pour des croisements judicieux, grâce à des étalons améliorateurs de race, fournis en collaboration avec la SOREC, qui se base principalement sur la recherche scientifique pour les sélectionner”, précise Youssef Zaim.

Des perspectives internationales prometteuses

Outre le marché local, les éleveurs marocains commencent à percer sur la scène internationale, où la demande pour les chevaux barbes et arabes-barbes ne cesse de croître. En Europe notamment, ces chevaux sont très recherchés pour leur caractère docile et leur pied sûr, ce qui les rend idéaux pour les activités de loisir ainsi que les concours d’équitation.

“Les chevaux barbes jouissent d’une grande popularité en Europe, en particulier pour leur adaptabilité et leur tempérament calme et docile, ce qui en fait une monture parfaite pour les cavaliers débutants”, souligne le secrétaire général de l’AMCBAB.

Cette ouverture à l’international offre une opportunité considérable pour les éleveurs marocains. Toutefois, l’exportation de chevaux barbes est strictement contrôlée afin de protéger la race et d’éviter toute surexploitation. “La préservation de nos juments est essentielle, car elles constituent l’élément central de la reproduction”, rappelle l’éleveur, soulignant que le nombre de chevaux de race locale commercialisés à l’international ne dépasse par 30 chevaux par an.

Dans le cadre de cette expansion internationale, l’AMCBAB a noué plusieurs partenariats de coopération et d’échange de savoir-faire avec divers pays tels que l’Espagne, le Portugal, l’Allemagne et la Tunisie. “Nous participons activement aux événements internationaux afin de partager notre expertise et d’apprendre des expériences des éleveurs étrangers, un échange qui s’avère extrêmement bénéfique pour le développement de l’élevage équin au Maroc”, conclut Youssef Zaim.

Haras nationaux, gardiens des races de chevaux au Maroc

Les Haras nationaux, gérés par la SOREC, jouent un rôle essentiel dans la préservation et l’amélioration des races de chevaux locales, notamment le barbe et l’arabe-barbe.

Grâce à un réseau de cinq haras (Bouznika, El Jadida, Marrakech, Meknès et Oujda) et plus de 50 stations de monte, ils offrent un encadrement de qualité aux éleveurs, diffusant les meilleures pratiques et utilisant des techniques modernes de reproduction, telles que l’insémination artificielle et le transfert d’embryons.

Près de 300 étalons sont mis à disposition chaque année, permettant de saillir plus de 13 000 juments, assurant ainsi un renouvellement génétique de haut niveau. En collaboration avec des partenaires tels que l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, les haras garantissent également un suivi vétérinaire rigoureux.

La SOREC encourage l’élevage de qualité à travers des mesures incitatives, comme des primes aux naisseurs et des aides à l’importation de poulinières. L’objectif est de moderniser l’élevage marocain tout en préservant le patrimoine équestre et en positionnant le pays comme un acteur incontournable de l’élevage équin à l’échelle internationale.

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