Avant l’invention du feu, les premières civilisations, les premiers hommes, il y avait les dinosaures. Avec sa première bande-dessinée, Fossiles et dinosaures du Maroc, la maison d’édition Bouillon de Culture s’adresse à tous les anciens enfants qui ont un jour rêvé de ces gigantesques reptiles disparus il y a 66 millions d’années.
De T-Rex à Jurassic World, l’ère des crétacés et ses mystères continue de fasciner. “Nous voulions surtout faire une BD marocaine”, confie Rita Baddou, directrice des éditions Bouillon de Culture, qui a initié la réalisation de cette bande-dessinée il y a plus de trois ans, parue en juin dernier en marge du SIEL de Rabat.
Sous l’égide scientifique du professeur Moussa Masrour, paléontologue et chercheur, le travail du duo formé par Camille Castaigna et Mohamed Haïti s’est appuyé sur la richesse du territoire marocain, “paradis des paléontologues” comme le surnomme l’universitaire, en raison de la diversité de fossiles qui y ont été découverts.
Et si la paléontologie, science des temps géologiques, est une discipline complexe, elle est amenée avec pédagogie et efficacité à travers le scénario de Camille Castaigna et les dessins de Mohamed Haïti.
“Sortir du laboratoire”
“Travailler sur une bande-dessinée, c’est faire le choix d’un récit particulièrement accessible, qui parle au plus grand nombre. C’est donc un travail de vulgarisation scientifique qu’il fallait commencer par faire”
Loin d’un manuel d’histoire, la narration est portée par Moussa Masrour, qui a droit à son propre personnage sur les planches. De son premier contact avec les fossiles au bord de l’oued Akrach alors qu’il était enfant, à la réalisation de sa première fouille, on suit d’abord la naissance d’une passion. “Travailler sur une bande-dessinée, c’est faire le choix d’un récit particulièrement accessible, qui parle au plus grand nombre. C’est donc un travail de vulgarisation scientifique qu’il fallait commencer par faire”, explique Camille Castaigna, qui n’avait alors, de son propre aveu, aucune prédisposition en matière de paléontologie.
“Je crois que c’était pour le mieux, car ça m’a justement permis de me placer dans la position du lecteur lambda, d’être plus attentive à ce qui nécessite plus d’explications”, poursuit l’autrice.
Parallèlement au dialogue qui est engagé avec le professeur Masrour, Camille Castaigna poursuit ses recherches. D’articles scientifiques en vidéos explicatives de niveau primaire, tout est bon à prendre pour pénétrer le monde fascinant de la paléontologie.
Pour Mohamed Haïti, jeune diplômé des Beaux-Arts de Tétouan, cette entrée en matière remonte à l’enfance. “Mon père était guide touristique. Il collectionnait les fossiles et me les montrait souvent. Quand j’étais enfant, je m’y suis énormément intéressé. Du coup, j’avais déjà quelques notions”, explique le dessinateur, qui signe sa première bande-dessinée depuis son projet de fin d’année.
En tant qu’universitaire et professeur à l’Université Ibn Zhor d’Agadir, Moussa Masrour tient particulièrement à cette démarche de vulgarisation scientifique. “Même lorsqu’un article scientifique est publié en paléontologie, il n’attire l’attention que d’un petit groupe de géologues. De plus, lors des congrès de géologie, nos interventions restent souvent confinées aux cercles spécialisés et n’atteignent pas le grand public”, constate Moussa Masrour.
Et d’ajouter : “Je suis convaincu que les scientifiques doivent sortir de leurs laboratoires et se rendre directement auprès du public, en particulier des jeunes, pour leur expliquer leurs recherches à l’aide de moyens didactiques simples et accessibles”.
Grandeur nature
De planche en planche, c’est tout un voyage à travers le Maroc et ses précieux sites archéologiques qui se dessine. Le personnage du professeur est un fil conducteur. Comme l’explique Camille Castaigna, il permet “d’incarner une histoire, la naissance d’une passion qui va s’illustrer de manière remarquable à travers son parcours”.
Le paléontologue a également le droit à une acolyte, une ammonite – un fossile de mollusque sous forme de coquille – dénommée “Nit”’. “C’est un personnage qui a fait l’objet de très nombreuses discussions entre nous, et que nous avons tout particulièrement travaillé”, explique Mohamed Haïti, qui a donné vie à Nit en tracé et en couleurs. “Elle incarne cette dimension ludique qu’on a voulu intégrer”, ajoute-t-il.
Sous ses dialogues comiques, Nit a surtout une fonction didactique, et joue un rôle fondamental dans la démarche de vulgarisation scientifique qui est menée. “Elle pose des questions, confond des noms, se trompe… C’est ce qui permet d’introduire les explications du professeur Massrour, et guider le lecteur tout au long du livre”, confirme Camille Castaigna.
Place ensuite aux dinosaures, les grandes stars de la BD, en contournant l’écueil de tomber dans un glossaire des espèces en -ex qui ont jadis peuplé l’Afrique du Nord. “J’ai adoré les dessiner, travailler leur anatomie et leurs caractéristiques”, confie Mohamed Haïti.
Dans cette bande-dessinée, où l’on retrouve notamment les cartes d’identité des dinosaures marocains les plus connus, le jeune dessinateur fait le pari d’un tracé dont le style est plutôt européen – le dessinateur belge Gottlieb, créateur de Boule et Bill, est l’une de ses plus grandes inspirations -, qui cherche l’efficacité plus que le réalisme.
Muni d’une vive palette de couleurs, Mohamed Haïti est face à un défi : dépasser les schémas scientifiques et leur rigueur millimétrique, tout en proposant des représentations pertinentes qui correspondent aux codes de la bande-dessinée.
Sur ce point, les débats et négociations entre les auteurs, sous la supervision du professeur Masrour, ont duré des heures. Heureusement pour eux, la bande-dessinée regorge de possibilités : plutôt que de dessiner des dinosaures en pleine page, les différentes espèces sont ramenées à une silhouette humaine qui indique une échelle de grandeur.
Le paradis des fossiles
“Ce projet représente une occasion précieuse pour promouvoir la paléontologie et mettre en lumière le riche patrimoine paléontologique du Maroc, de Tanger à Lagouira. En rendant la science plus accessible et attrayante, nous espérons éveiller l’intérêt du plus grand nombre pour cette discipline fascinante qui est la paléontologie”, déclare Moussa Masrour.
“Nous avons souhaité rester aussi larges que possible : il fallait que ça puisse emporter les enfants âgés d’une dizaine d’années comme les adultes”, explique Rita Baddou, l’éditrice
La question du public ciblé par cette bande-dessinée a été abordée dès les prémices du projet. “C’est une question qui devait également déterminer la densité d’informations que contiendrait la BD, le degré d’explications aussi. Nous avons souhaité rester aussi larges que possible : il fallait que ça puisse emporter les enfants âgés d’une dizaine d’années comme les adultes”, explique à son tour Rita Baddou, l’éditrice.
En ce sens, le choix du format de la bande-dessinée présente plusieurs avantages. Depuis plusieurs années, la bande-dessinée connaît une ascension remarquable dans le marché du livre à l’international, avec des genres de plus en plus diversifiés, du roman graphique aux biographies adaptées en BD.
Au Maroc aussi, le public semble friand de ce genre littéraire particulier, bien que les éditeurs se montrent encore réticents à en publier. Pourtant, les illustrateurs sont bien présents. “Ce serait faux de penser qu’il y a peu de bandes-dessinées marocaines parce que les illustrateurs manquent. Quand je regarde autour de moi, les illustrateurs de ma génération sont nombreux et très créatifs. D’ailleurs, beaucoup sont très influencés par le style des mangas, qu’ils manient très bien. Mais ils ont souvent du mal à trouver des éditeurs prêts à publier de la BD”, témoigne Mohamed Haïti.
Si Fossiles et dinosaures du Maroc est une bande-dessinée 100% marocaine, c’est aussi parce que le terrain, souvent qualifié “d’exceptionnel” par des chercheurs du monde entier, s’y prête tout particulièrement, en raison des découvertes majeures qui ont pu y être effectuées.
Rien qu’en juin dernier, la revue spécialisée Science consacrait sa Une au site d’Aït Yacoub, où de récentes recherches sous la cendre volcanique ont conduit à la découverte de trilobites, des arthropodes fossiles vieux de 515 millions d’années dont l’anatomie a pu être étudiée pour la première fois avec autant de précision, constituant ainsi une avancée scientifique majeure.
“Lorsqu’on examine la carte géologique du Maroc, on constate que tous les âges géologiques y sont bien représentés, depuis le Précambrien jusqu’au Quaternaire. Cette vaste période a donné naissance à des couches géologiques qui ont enregistré l’histoire de la vie sur Terre à travers une riche collection de fossiles, visibles dans toutes les régions du Maroc”, explique Moussa Masrour.
“Outre ces trésors fossilifères, le socle du Maroc a également enregistré des phénomènes géologiques majeurs tels que les mouvements des continents et la formation des océans. Dans cette bande-dessinée, nous avons essayé de mettre en exergue les découvertes paléontologiques les plus importantes et célèbres réalisées au Maroc. Parmi ces découvertes, certaines remontent aux années 1970, tandis que d’autres sont plus récentes, datant du XXIe siècle. Ces découvertes ont grandement contribué à notre compréhension de l’évolution du monde vivant”, ajoute le paléontologue. Et à en croire les spécialistes, la terre marocaine n’a pas fini de livrer tous ses secrets.