Comprendre la crise de l’eau au Maroc

Le Maroc, confronté à une sécheresse chronique depuis six ans, doit relever des défis sans précédent dans la gestion de ses ressources en eau. Mohamed Taher Sraïri, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II à Rabat, offre un éclairage crucial sur l’état actuel des ressources hydriques du pays.

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La situation actuelle des ressources en eau au Maroc peut être qualifiée de très critique”, rappelle d’emblée Mohamed Taher Sraïri. L’ingénieur agronome, qui a fait de la question de l’eau une de ses préoccupations premières, poursuit en expliquant : “La disponibilité en eau renouvelable ne cesse de baisser avec la pression démographique, et se situe désormais en dessous du seuil alarmant de 500 m3 par habitant et par an, ce qui classe le Maroc parmi les pays souffrant de pénurie d’eau”.

Si plus de 80% de la surface du royaume est caractérisée par un climat aride à semi-aride, c’est surtout la demande croissante en eau, due principalement à l’essor économique et démographique du pays, qui pose un défi majeur à la gestion efficace de cette ressource. Mohamed Taher Sraïri met aussi en lumière les disparités régionales, soulignant que “certaines zones, telles que les oasis et les provinces sahariennes, sont confrontées à des réserves hydriques encore plus limitées”.

Forte demande et changements climatiques

“Le défi majeur du Maroc en matière de gestion de l’eau réside dans l’inadéquation de la demande avec les disponibilités réelles en eau renouvelable”, explique-t-il.

Et d’ajouter que seule “une planification hydrique sérieuse, basée sur des approches participatives et une bonne gouvernance à l’échelle des territoires, dans leur diversité, peut éviter les risques de pénuries et de perturbations dans le service de l’eau, notamment potable”.

Les changements climatiques exacerbent davantage la crise hydrique du Maroc. Et les prévisions sont alarmantes, pour les années qui viennent : il faut s’attendre à une baisse des précipitations moyennes et une augmentation des températures.

Le professeur à l’IAV Hassan II précise que “les prévisions indiquent une baisse de 15 à 30% des niveaux annuels moyens de précipitations d’ici 2050, accompagnée d’une augmentation des phénomènes climatiques extrêmes tels que les canicules estivales et les inondations”.

Des initiatives insuffisantes ?

Concernant les initiatives actuelles, notre expert mentionne les transferts d’eau entre bassins excédentaires et déficitaires, ainsi que l’extension de l’irrigation localisée dans le secteur agricole. Cependant, il souligne également les défis associés à ces initiatives, notamment la tendance à la sur-irrigation et l’épuisement des nappes d’eau souterraines, et ce malgré les avancées technologiques.

“Il est impératif de promouvoir des pratiques agricoles plus efficaces et résilientes, en favorisant la transition vers des modèles agro-écologiques au service de la souveraineté alimentaire”

Mohamed Taher Sraïri

Et de pointer la substitution des systèmes agricoles entièrement pluviaux (céréales et élevage) par d’autres, qui reposent sur l’irrigation, avec notamment la montée en puissance des plantations d’arbres fruitiers. Pour Mohamed Taher Sraïri, ce basculement n’a plus de sens aujourd’hui, la nature envoyant des signaux clairs de l’absence des ressources hydriques pour entretenir ce patrimoine arboricole, dans de nombreuses régions du pays.

“L’agriculture reste de loin le secteur le plus consommateur d’eau au Maroc, s’accaparant plus de 85% des volumes utilisés annuellement”, rappelle le professeur. “Il est impératif de promouvoir des pratiques agricoles plus efficaces et résilientes face à la contrainte hydrique, en favorisant la transition vers des modèles agro-écologiques au service de la souveraineté alimentaire, ce qui implique une révision fondamentale des stratégies agricoles”, conclut-il.

Il en veut pour preuve que le royaume n’est plus, depuis peu, autosuffisant en produits animaux (lait et viandes rouges), alors que l’élevage d’herbivores a toujours joué un rôle crucial pour la sécurité alimentaire, mais aussi pour la création d’opportunités d’emplois et de revenus dans le monde rural.