Avant de tenter de faire le bilan du plan Génération Green, il faut prendre en compte le contexte : les sécheresses et le stress hydrique, autrefois perçus comme des situations passagères –ou du moins qui se produisaient de manière cyclique–, sont désormais reconnus comme un problème structurel et persistant.
Une donnée qui remet en question les fondements mêmes de la gestion traditionnelle de l’agriculture au Maroc, et qui touche directement à un des principaux piliers de la stratégie Génération Green, à savoir l’importance accordée à l’irrigation (en lieu et place d’une agriculture pluviale). Les cultures, notamment maraîchères, ont ainsi été particulièrement éprouvées au cours de la saison agricole en cours. Seules les cultures printanières (tomates, oignons, pommes de terre) ont pu compter, pratiquement à l’heure du photo-finish, sur des pluies bienfaitrices.
Mais s’il est aujourd’hui évident que continuer à développer une agriculture intensive, ou “de masse”, n’est plus possible sans compromettre gravement les ressources en eau du pays, notamment ses nappes phréatiques, aujourd’hui surexploitées, aucune stratégie concrète pour un renouvellement durable de ces ressources n’est actuellement mise en place.
La souveraineté alimentaire, la grande oubliée
Afin de mieux comprendre la dynamique actuelle, il faut remonter près de douze ans avant le lancement de Génération Green par le gouvernement de Saâd-Eddine El Othmani : en 2008, quand le Plan Maroc Vert (PMV) a été initié.
Le PMV repose sur une idée forte : passer des cultures “bour” (sans irrigation et dépendant donc totalement des pluies), à des cultures irriguées, en mobilisant les eaux disponibles, notamment celles des grands barrages construits sous Hassan II, mais aussi les eaux des nappes phréatiques (comme la nappe de Chtouka, dans la région de Souss-Massa, qui a baissé de 30 mètres depuis 1993).
Il est devenu progressivement apparent que le succès du Plan Maroc Vert s’était construit au détriment des ressources en eau, mais aussi de la souveraineté alimentaire du pays
L’irrigation devait permettre le développement d’une agriculture productiviste à plus large échelle, favorisant les exportations et la rentrée de devises. Sur ce point, le PMV a remporté un franc succès, et a même été salué comme un modèle sur la scène internationale. Toutefois, il est devenu progressivement apparent que ce succès s’était construit au détriment des ressources en eau, mais aussi de la souveraineté alimentaire du pays.
Ainsi, en mars 2020, un mois après le lancement de Génération Green, et en réponse à l’émergence de l’épidémie de Covid-19, le Maroc a fermé ses frontières terrestres, aériennes et maritimes. Cette pandémie, la plus meurtrière des temps modernes, a exposé la fragilité des chaînes de valeur et des circuits de distribution internationaux (un défi auquel l’agriculture n’a pas échappé) et a souligné l’importance du concept de souveraineté alimentaire.
Un exemple : plutôt que de produire tout le blé dont les Marocains ont besoin, on a privilégié des cultures plus rentables (surtout à l’export) comme les tomates et les agrumes, tout en important du blé. Mais que faire quand on ne peut ni exporter ce qu’on a ni importer ce dont on a besoin ?
En octobre 2021, Mohammed VI a souligné, lors du discours qu’il a adressé aux députés et conseillers lors de la session d’ouverture du parlement, l’importance de “préserver” la “souveraineté alimentaire” du royaume.
Quelques mois plus tard, la question de la sécurité alimentaire était de nouveau mise sur la table : l’invasion, en février 2022, de l’Ukraine, “grenier à blé de l’Europe”, par la Russie, menaçant l’approvisionnement en céréales de nombreux pays, et notamment le Maroc. Une nouvelle preuve, s’il en fallait une, qu’il faut revoir notre politique agricole, une révision qui doit également englober le plan Génération Green.
Une “nouvelle classe moyenne agricole” ?
Toutefois, cette stratégie ne comporte pas uniquement des aspects négatifs. Ambitionnant de créer une véritable classe moyenne rurale, Génération Green propose une voie d’intégration pour les régions parfois appelées “inutiles”, mais qui sont en réalité négligées, dépourvues de ressources significatives et de moyens de développement, surtout quand elles ne sont pas situées sur les axes majeurs du royaume.
Rappelons l’objectif affiché à l’époque par le ministère de l’Agriculture, alors dirigé par un certain Aziz Akhannouch, actuel Chef du gouvernement : “Contribuer à l’émergence d’une nouvelle génération de classe moyenne agricole, en permettant à 400.000 ménages d’y accéder et en y stabilisant 690.000 ménages, et en fournissant la protection sociale à plus de 3 millions d’agriculteurs”.
L’irrigation devrait plutôt être envisagée comme un palliatif, à utiliser uniquement lorsque la sécheresse frappe une région avec une intensité exceptionnelle
Certes, l’actuelle crise économique, exacerbée par la sécheresse, représente un défi majeur pour le Maroc et entrave potentiellement la réalisation des objectifs stratégiques du plan Génération Green. Ce dernier constitue néanmoins une feuille de route, essentielle pour évaluer l’efficacité des politiques publiques en vigueur.
Et parce que Génération Green est tributaire de paradigmes à la fois environnementaux et économiques, il semble naturel et évident de l’actualiser, afin de mieux aligner la stratégie nationale avec les impératifs urgents du moment. Ainsi, au vu du stress hydrique dont souffre le pays, prioriser l’agriculture d’irrigation est loin d’être l’approche la plus viable pour le développement rural. L’irrigation devrait plutôt être envisagée comme un palliatif, à utiliser uniquement lorsque la sécheresse frappe une région avec une intensité exceptionnelle.
De surcroît, les récents bouleversements mondiaux – la pandémie de Covid-19 et la crise en Ukraine – ont souligné la vulnérabilité des économies nationales aux crises internationales. Privilégier le développement des exportations agricoles au détriment de la souveraineté alimentaire s’avère aujourd’hui une stratégie pour le moins dangereuse, voire inconsciente. Près de cinq ans avant la fin du plan décennal, un Génération Green 2.0 s’impose. Et vite.