Pour la grande réforme de l’enseignement public menée par Chakib Benmoussa depuis deux ans, la date du 30 octobre 2023 marquera un point d’inflexion majeur. C’est le jour où, au plus fort du bras de fer intense entre les services du ministère de l’Éducation et les syndicats les plus représentatifs, le Chef du gouvernement a choisi d’intervenir pour proposer “sa” solution.
“Il l’a fait au moment où le premier qui cédait avait perdu”, regrette cet ancien cadre du ministère. Les crispations entre Chakib Benmoussa et les forces syndicales s’étaient cristallisées autour de la publication du décret correspondant au statut unifié, fruit d’accords signés par les deux parties le 14 janvier 2023. Dès la publication du décret dans le Bulletin officiel, les 4 syndicats portant les revendications des enseignants en font un rejet net, sous prétexte de vices détectés dans la terminologie du texte.
Or, ce nouveau statut, non seulement ne touche à aucun avantage acquis des enseignants, mais élimine les différences de traitements administratifs et confère à tout le personnel le statut de fonctionnaire, y compris les fameux contractuels recrutés initialement par les Académies régionales d’éducation et de formation (AREF). Chakib Benmoussa a beau s’époumoner qu’il n’y a pas maldonne, les syndicats se lancent quand même dans une série de grèves et de sit-in, privant les élèves marocains d’au moins 8 millions d’heures de cours.
“Il ne fallait céder sur rien”, tonne notre interlocuteur. Or, Akhannouch promet dans le communiqué publié dans la foulée de son conclave avec les syndicats de revoir la copie du statut unifié. Mieux, il exprime sa volonté de superviser dorénavant les négociations à venir avec les syndicats concernés, à savoir l’UMT, la CDT, la FDT et l’UGTM, dans le cadre d’une commission ministérielle récemment créée. Le tout, sans obtenir une cessation immédiate des grèves assortie à un retour des enseignants à leurs classes. Résultat, les débrayages culminent en une méga-grève de 40.000 personnes à Rabat le 7 novembre.
Akhannouch aura donc réussi à fournir aux syndicats une démonstration de force, participant à affaiblir davantage la position du ministre de tutelle. Pourtant, la réforme en question donne ses fruits. Dans les écoles pionnières où les théories de Benmoussa sont d’ores et déjà appliquées, les progrès réalisés par les enfants sont spectaculaires. La majorité des élèves exposés aux nouvelles méthodes parviennent grâce au dispositif TARL à rattraper deux ans de retard dans les matières fondamentales en moins de deux mois.
“L’accaparement par Akhannouch du dossier de l’école publique menace d’échec la réforme et affaiblit le prestige de l’État qui montre sa propension à céder à la première difficulté. Certes, lors de la réunion des partis de la majorité du lundi (13 novembre), Akhannouch a exprimé son soutien franc à Benmoussa, mais il fallait le faire le 30 octobre dans le communiqué publié à l’issue de la réunion avec les syndicats d’enseignants”, poursuit notre source.
Du côté du ministère de l’Education, on réfute un lâchage en règle d’Akhannouch par bienséance, mais l’absence le week-end dernier de Chakib Benmoussa, ministre pourtant RNI, à une activité du même parti en dit long sur son état d’esprit suite à ce désaveu public.
L’avalanche Akhannouch
Mais alors, qu’est-ce qui pousse Aziz Akhannouch à empiéter de la sorte sur les platebandes de son équipe ? Pourquoi a-t-il tendance à annexer des compétences dévolues aux membres de l’Exécutif ? L’hégémonie institutionnelle du RNI et son contrôle de l’ensemble des expressions de la démocratie élective inquiète. Et cette inquiétude est accentuée par la boulimie interventionniste d’Akhannouch.