Azerbaïdjan-Arménie : une autre histoire du Karabakh

Avec la dissolution du gouvernement séparatiste du Karabakh, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour de cette région devrait prendre fin. En amont de cette conclusion, la diplomatie azerbaidjanaise au Maroc s’est attachée à livrer “sa” vision de la guerre du Karabakh. Tout en appelant à une coopération renforcée entre Rabat et Bakou.

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Le premier conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan éclate en 1993 au lendemain de la dissolution de l'Union soviétique. L'Arménie s'empare du territoire. Les Azerbaïdjanais sont poussés à l'exil. Crédit: Collection of Ilgar Jafarov / CC

Le 28 septembre, le gouvernement du Haut-Karabakh – région appelée Artsakh par les Arméniens– annonçait la fin de son existence à compter du 1er janvier prochain. Le décret présidentiel, diffusé largement sur Telegram, annonçait la dissolution du gouvernement séparatiste après trois décennies d’existence auxquelles a mis fin une offensive éclair menée par l’armée azerbaïdjanaise les 19 et 20 septembre.

Isolée de l’Arménie depuis une première offensive menée par l’Azerbaïdjan en 2020, la région séparatiste a fini par céder. Avec un contrôle total sur la zone, l’Azerbaïdjan a annoncé le lancement d’un processus d’intégration des quelque 120.000 Arméniens vivant au Karabakh.

Un missile BM-30 Smerch non explosé, dans la périphérie de Stepanakert, le 12 octobre 2020. Forces séparatistes arméniennes de Nagorno-Karabagh et armée azerbaïdjanaise continuaient alors de s’affronter, ignorant l’appel à une trêve humanitaire.Crédit: Aris Messinis / AFP

De son côté, l’Arménie dénonce le “déplacement forcé” de la population arménienne du Karabagh près de trois ans après son revers militaire face au voisin azerbaïdjanais, alors que d’anciens leaders de la république séparatiste sont d’ores et déjà en état d’arrestation. Et l’Organisation des Nations unies (ONU) estime que près de 100.000 Arméniens ont fui l’enclave dans la précipitation, depuis l’ouverture de la frontière par les autorités de l’Azerbaïdjan, tard dans la soirée du dimanche 24 septembre.

Par le passé, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, s’est distingué par des propos anti-arméniens et a notamment nié la légitimité de l’existence du pays voisin. Néanmoins, plus récemment, l’homme fort de Bakou a appelé à une “coexistence” avec la population arménienne du Karabagh, qu’il souhaite intégrer à son pays.

Un discours répété à l’étranger où les différents émissaires de l’Azerbaïdjan se sont mobilisés pour faire entendre leur vision du conflit du Karabagh. Comme au Maroc, où l’ambassadeur azerbaïdjanais à Rabat, Nazim Samadov, s’est livré le 18 septembre dernier à un exposé sur le conflit à l’occasion d’une table ronde consacrée à son pays. Le diplomate en a profité pour raconter une autre histoire du Karabagh, qui pourrait bien intéresser du côté de Rabat.

Une histoire d’effondrement

Il y a un point sur lequel Azerbaïdjanais et Arméniens s’accordent au moment d’évoquer le Karabagh. Le conflit entre les deux voisins autour de cette région est un héritage de la chute de l’Union soviétique. Initialement, la région fait partie de l’éphémère première République azerbaïdjanaise qui se voit intégrée à l’Union soviétique en 1920. Durant cette période et jusqu’à la dislocation de l’URSS, le Karabagh est agité par des velléités séparatistes avec le soutien d’une autre République socialiste, l’Arménie.

Ces velléités mènent à un conflit ouvert entre Azerbaïdjanais et Arméniens qui coïncident avec la perestroïka (réformes libéralisant l’économie soviétique entre 1985 et 1991, ndlr). Miné par une profonde crise, Moscou ne s’implique pas et laisse le conflit s’enliser. C’est la première guerre du Karabagh. Et elle tourne à l’avantage de l’Arménie. L’Azerbaïdjan est pourtant soutenu dans sa légitimité par les Nations unies qui appelle au respect de l’intégrité territoriale de Bakou ainsi qu’à la restitution des territoires azerbaïdjanais conquis alors par l’armée arménienne, dans quatre résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en 1993.

Pour Nazim Samadov, l’Arménie a même procédé à un “génocide” sur la population azerbaïdjanaise. Le diplomate affirme que près de 4000 de ses concitoyens ont été déclarés disparus après le conflit du Karabagh qu’il impute à une volonté d’Erevan de former une Grande Arménie allant de la mer Noire à la mer Caspienne.

Au total, selon différentes estimations, la guerre a fait plusieurs dizaines de milliers de morts et a provoqué le déplacement de près d’un million de personnes — des deux côtés. En 1993, Heydar Aliyev (père de l’actuel président Ilham Aliyev) est élu avec 98,8 % des votes. L’année suivante, il signe le protocole de Bichkek, qui met fin à la première guerre du Karabagh et entérine les avancées arméniennes dans la région. Avec le soutien de l’Arménie, la république de Nagorno-Karabagh peut exister. Jusqu’à ce que l’Azerbaïdjan ne revienne rebattre les cartes dans le Caucase, en 2020.

Une histoire d’équipements militaires

Cette année-là, l’Azerbaïdjan est dans une position de force dans le Caucase. L’économie du pays a été notamment dopée par ses exportations de pétrole et de gaz, ce qui permet à l’armée azerbaïdjanaise de se rééquiper en vue de reprendre le contrôle sur la région du Karabagh.

En septembre 2020, après une série d’escarmouches dans la région, commence la deuxième guerre du Karabagh. Cette fois-ci, le conflit armé tourne à l’avantage de l’Azerbaïdjan, qui reprend le contrôle de la majorité de la région et parvient à couper la liaison entre le Karabagh et l’Arménie.

En 2020, retour de bâton. C’est l’Azerbaïdjan qui écrase l’armée arménienne, poussant la population à manifester sa joie. Et en 2023, il s’empare de l’ensemble du Karabagh.Crédit: Toghrul Rahimli / CC

Cette victoire militaire, l’Azerbaïdjan la doit à une mobilisation massive de son armée, mais aussi à ses récents achats d’équipements militaires. Qui ont sans doute dû susciter un intérêt particulier du côté de Rabat.

Car au-dessus des hauteurs du Karabagh, ce sont les drones TB2 construits par l’entreprise turque Bayraktar Makina qui ont été déployés par l’armée azerbaïdjanaise pour bombarder les véhicules et troupes arméniennes. Relativement accessible par rapport à la concurrence américaine et israélienne — avec lesquels il rivalise en termes de qualité — le drone turc a depuis été déployé sur d’autres théâtres de conflit.

Comme en Ukraine où le TB2 a bombardé des positions russes. Surtout, le TB2 a également été acquis par le Maroc. Et selon plusieurs sources médiatiques, il aurait été utilisé pour des frappes visant des éléments du Polisario.

Bayraktar Makina n’a pas attendu l’offensive russe pour offrir une vitrine commerciale à son TB2. Ses aéronefs sans pilote équipent les armées du Rwanda, du Qatar, de l’Éthiopie, du Turkmenistan, de l’Azerbaïdjan, de la Libye, de la Pologne ou encore du Pakistan.Crédit: Baykar Makina

Et ce n’est pas tout. Car durant la guerre du Karabagh, l’Azerbaïdjan a également eu recours à des équipements militaires israéliens. Outre les drones, Bakou a également déployé des missiles antichars ainsi que des missiles balistiques longue distance qui ont notamment permis à l’armée azerbaïdjanaise de détruire des ponts situés sur le corridor de Lachin, corridor utilisé par l’Arménie pour soutenir la désormais défunte république du Karabagh.

Autant d’équipements qui pourraient intéresser l’état-major marocain qui a multiplié les accords avec l’industrie de défense israélienne durant ces derniers mois en cherchant en particulier à s’équiper de drones et de missiles.

Une histoire d’ouverture

Après avoir renforcé son intégrité territoriale, l’Azerbaïdjan a donc désormais pour ambition d’intégrer les populations du Karabagh tout en parvenant à sceller un cessez-le-feu définitif avec le voisin arménien, ce qui consoliderait ses acquis. Le pays ambitionne également de s’ouvrir davantage à l’international, et notamment au Maroc où il a nommé un nouvel ambassadeur en 2022.

Riche en pétrole, Bakou propose une collaboration dans le domaine de l’énergie à Rabat avec un focus particulier autour de l’utilisation des hydrocarbures — côté azerbaïdjanais — et des énergies renouvelables côté marocain. Mais du côté de Rabat, on est sans doute plus soucieux de renforcer des idées communes, comme celle de la défense de l’intégrité territoriale, tout en portant un intérêt certain aux réalisations militaires azerbaïdjanaises dans sa reconquête du Karabagh.

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