Chaleur et humidité : leurs effets sur notre corps se font sentir plus tôt que prévu

Sous l’effet du changement climatique, les vagues de chaleur gagnent en puissance — elles durent plus longtemps, deviennent plus fréquentes et, surtout, leurs températures atteignent des niveaux de plus en plus élevés.

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Rabat, le 4 juillet 2023. Crédit: Rachid Tniouni/TelQuel

Une question est désormais sur toutes les lèvres : “À partir de quand la chaleur nous empêchera-t-elle de mener à bien des activités quotidiennes considérées comme normales à l’heure actuelle, même si nous sommes jeunes et en bonne santé ?”

La réponse n’est pas seulement liée à la température affichée par le thermomètre. Elle dépend aussi de l’humidité ambiante. Nos résultats de recherches, publiés en 2022, montrent que la combinaison de ces deux facteurs peut devenir dangereuse plus rapidement que les scientifiques ne le supposaient auparavant.

Comme d’autres observateurs, les chercheurs s’inquiètent de plus en plus de l’augmentation de la fréquence de vagues de chaleur extrêmes associées à une forte humidité. Pour en rendre compte, on parle de “température humide” (ou “température du thermomètre mouillé”). Ainsi, lors des vagues de chaleur qui ont frappé l’Asie du Sud en mai et juin 2022, la température humide maximale enregistrée à Jacobabad, au Pakistan, était de 33,6 °C (degrés Celsius), soit 92,5 °F (degrés Fahrenheit), tandis qu’à Delhi ce niveau était dépassé. Les températures se rapprochaient alors de la limite supérieure théorique de l’adaptabilité humaine à la chaleur humide.

En effet, dans une étude publiée en 2010, des scientifiques avaient estimé qu’une température humide de 35 °C — équivalente à 95 °F à 100 % d’humidité, ou 115 °F à 50 % d’humidité — constituait la “limite supérieure de sécurité” : au-delà de cette frontière, le corps humain ne peut plus se refroidir grâce à l’évaporation de la transpiration présente à la surface de la peau, et ne peut donc plus assurer la stabilité de sa température.

La pertinence de cette limite n’a été que récemment testée sur des humains, en laboratoire. Les résultats obtenus indiquent que la situation est encore plus préoccupante qu’on ne le pensait initialement.

Le projet PSU H.E.A.T.

Au sein du laboratoire Noll de l’Université d’État de Pennsylvanie, nous avons tenté de répondre à une question en apparence simple : “quelle chaleur est “trop chaude” pour le corps humain ?” Nous avons pour cela recruté un panel d’hommes et de femmes jeunes et en bonne santé, afin de mesurer l’impact sur leur organisme du stress thermique, dans un environnement contrôlé.

Ces expériences nous ont donné un aperçu des combinaisons de température et d’humidité qui peuvent s’avérer nocives, y compris pour des êtres humains bien portants.

Un jeune homme en short marche sur un tapis roulant avec une serviette à côté de lui dans une pièce vitrée pendant qu’un scientifique surveille sa température corporelle et d’autres paramètres sur des écrans d’ordinateur, de l’autre côté de la vitre
S. Tony Wolf, post-doctorant en kinésiologie (l’étude scientifique du mouvement du corps humain) à Penn State et co-auteur de cet article, réalise un test de chaleur dans le laboratoire Noll dans le cadre du projet PSU Human Environmental Age Thresholds. Patrick Mansell/Penn State, CC BY-NC-ND

Après avoir avalé une petite pilule de télémétrie destinée à surveiller sa température corporelle (grâce aux capteurs électroniques contenus dans ce dispositif ingérable), chaque participant s’est assis dans une chambre environnementale (chambre d’essai permettant de contrôler la température et l’humidité, ndlr), bougeant juste assez pour simuler les activités minimales de la vie quotidienne, comme faire la cuisine et s’alimenter. Les chercheurs ont alors progressivement augmenté soit la température de la chambre, soit son humidité, surveillant le moment où la température corporelle des sujets commençait à croître.

La combinaison de température et d’humidité à partir de laquelle la température interne d’un individu commence à augmenter s’appelle la “limite environnementale critique”. En deçà de cette limite, le corps est capable de maintenir une température corporelle relativement stable au fil du temps. Au-delà, la température corporelle augmente en continu et le risque de troubles liés à la chaleur, lors d’expositions prolongées, s’accroît.

Il faut savoir que lorsque notre corps surchauffe, le cœur doit travailler davantage pour pomper le flux sanguin vers la peau afin de dissiper la chaleur. Par ailleurs, la transpiration diminue la quantité de liquides corporels. Dans les cas les plus graves, une exposition prolongée peut entraîner un coup de chaleur, un problème potentiellement mortel nécessitant un refroidissement immédiat et rapide ainsi qu’une prise en charge médicale.

Nos travaux révèlent que la limite environnementale supérieure est encore plus basse que les 35 °C théorisés en 2010. Elle se situerait plutôt une température humide à un niveau de 31 °C (88 °F), ce qui équivaudrait à 31 °C à 100 % d’humidité ou à 38 °C (100 °F) à 60 % d’humidité.

Or, les vagues de chaleur actuelles observées de par le monde approchent, voire dépassent, ces limites.

Ce graphique permet de déterminer quand la combinaison de chaleur et d’humidité devient dangereuse
Similaire au graphique de l’indice de chaleur du National Weather Service, ce graphique traduit les combinaisons de température de l’air et d’humidité relative en limites environnementales critiques, au-dessus desquelles la température interne du corps augmente. La frontière entre les zones jaunes et rouges représente la limite environnementale critique moyenne pour les jeunes hommes et jeunes femmes pratiquant une activité minimale. W. Larry Kenney, CC BY-ND

La différence entre environnements secs et environnements humides

Dans les lieux chauds et secs, les limites environnementales critiques ne sont pas définies par les températures de thermomètre humide décrites précédemment. En effet, dans de tels environnements, presque toute la sueur produite par le corps s’évapore, ce qui refroidit l’organisme. Cependant, la quantité de sueur que les humains peuvent produire est limitée, et un air sec dont la température est élevée transmet aussi de la chaleur à notre organisme.

Il faut garder à l’esprit que les seuils cités précédemment sont uniquement basés sur la capacité à prévenir une hausse excessive de la température corporelle. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de conséquence si la température et l’humidité demeurent inférieures à ces limites au cours d’une vague de chaleur. En effet, même ainsi, le cœur et d’autres organes peuvent se retrouver soumis à un stress plus important qu’à l’accoutumée.

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Si le dépassement des limites environnementales critiques ne se traduit pas systématiquement par un scénario catastrophe pour tous les individus, une exposition prolongée peut s’avérer problématique pour les populations vulnérables telles que les personnes âgées ou celles souffrant de maladies chroniques. C’est la raison pour laquelle nous avons désormais focalisé nos recherches sur des catégories d’hommes et de femmes plus âgées.

En effet, même les gens qui vieillissent en bonne santé deviennent moins tolérants à la chaleur à mesure qu’ils avancent en âge. Par ailleurs, le risque de préjudice s’accroît avec l’âge en raison non seulement de la prévalence accrue des maladies cardiaques, des problèmes respiratoires ainsi que d’autres problèmes de santé, mais aussi de la prise de certains médicaments. Les personnes de plus de 65 ans représentent ainsi environ 80 à 90 % des victimes de vagues de chaleur.

Quelles sont les recommandations ?

Par temps très chaud, il est important de bien s’hydrater et de rechercher des endroits où se rafraîchir, même pour de courtes périodes.

Aux États-Unis, des structures destinées à aider les gens à échapper à la chaleur ont ouvert leurs portes dans les villes. Mais bien que le nombre de ces “centres de rafraîchissement” soit en augmentation, de nombreuses de personnes continuent à devoir faire face à des conditions environnementales problématiques sans opportunité de se rafraîchir.

Même ceux qui ont accès à la climatisation pourraient renoncer à l’allumer, en raison du coût élevé de l’énergie — une situation déjà courante à Phoenix, en Arizona — ou en raison des pannes d’électricité à grande échelle qui surviennent durant les vagues de chaleur ou les incendies de forêt, des situations de plus en plus fréquentes dans l’ouest des États-Unis.

Par ailleurs, en 2022, une étude axée sur le stress thermique en Afrique a révélé que les climats futurs ne seront pas propices à l’utilisation de systèmes de refroidissement bon marché tels que les “refroidisseurs à évaporation” (“swamp cooler”), qui nécessitent beaucoup moins d’énergie que les climatiseurs. En effet, afin de réduire la température de l’air ambiant, ces dispositifs le font circuler à travers un tampon frais et humide, grâce à un ventilateur. Malheureusement, ils deviennent inefficaces lorsque les températures de thermomètre humide dépassent 21°C (70°F). Or, l’humidité des régions tropicales et des régions côtières de l’Afrique augmente…

Dans l’ensemble, les preuves s’accumulent, qui indiquent que le changement climatique n’est pas un problème “qu’il faudra gérer pour plus tard” : c’est au contraire un défi que l’humanité doit relever dès aujourd’hui, car elle y est déjà confrontée.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original, signé W. Larry Kenney, Professor of Physiology, Kinesiology and Human Performance, Penn State; Daniel Vecellio, Geographer-climatologist and Postdoctoral Fellow, Penn State; Rachel Cottle, Ph.D. Candidate in Exercise Physiology, Penn State et S. Tony Wolf, Postdoctoral Researcher in Kinesiology, Penn State