À Rabat, la grande évasion de deux bœufs brésiliens soulève quelques questions

Confusion générale, le dimanche 9 avril, dans les quartiers El Akkari et Yacoub El Mansour quand deux bœufs importés du Brésil se sont enfuis des abattoirs de Rabat. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une polémique sur l’origine et la destination de cette viande en plein contexte de hausse des prix.

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“Voici ce que le Plan Maroc vert a prévu de nous faire manger, 15 ans après son lancement. On ne sait si c’est un veau, un buffle ou un chameau”, a commenté le député Abderrahim Bouaida. Crédit: DR

Les vidéos relayées sur YouTube se passent de tout commentaire. On commence par voir des bovidés importés du Brésil arriver dans l’après-midi du dimanche 9 avril aux abattoirs municipaux de Rabat. Ils seront lâchés dans un espace ouvert.

Une vidéo de surveillance diffusée par TelQuel Arabi montre les portes s’ouvrir pour faire entrer un camion. Une opportunité que deux bœufs saisissent au vol: c’est le début de leur cavale, une folle course-poursuite de près de trois heures dans les rues de la capitale.

La vache !

Les passants n’en reviennent pas. Deux bœufs, aux allures de zébus, longent à vive allure l’avenue El Hourria en direction du boulevard Hassan II, artère névralgique où se situe la gare ferroviaire de Rabat-Agdal. Certains courent derrière : personne n’ose approcher les deux bêtes en fuite qui arrivent sur le rond-point central. Dans cette zone où la circulation se fait plus dense, les bêtes se séparent : l’une se retrouve encerclée par des voitures, tandis que l’autre prend la direction de l’ancienne gare routière d’El Kamra.

Se trouvant sur les lieux, le journaliste Abdessamad Bencherif assiste au spectacle. Sa voiture a failli percuter l’un des deux bovidés, comme il le raconte sur sa page Facebook : “Sans la grâce divine et la vigilance de mon fils, il y aurait eu collision.

En direct sur Facebook depuis le même rond-point, le secrétaire général du Parti marocain libéral (PML) Isaac Charia se dit alors préoccupé par l’état de santé du quadrupède neutralisé au niveau du rond-point.

L’avocat met notamment en garde contre la consommation de sa viande, surtout après la polémique ayant accompagné l’importation de ce type de bœuf du Brésil.

Ambiance folklorique

Au bout de quelques minutes, des vidéastes se joignent à la foule. Ils ont tout le loisir de filmer le spécimen sous différents angles. Un boucher arrive finalement à mettre un sac de farine sur la tête de l’animal essoufflé. Il est aussitôt alpagué par Chouf TV qui annonce que “plus loin, la voiture d’un touriste étranger vient d’être percutée”.

Surnommé Chinoui, le boucher remercie les jeunes passants qui l’ont aidé. Le colosse à quatre pattes est désormais allongé sur le gazon, au beau milieu du boulevard Hassan II, face à la gare TGV. Rabat, “ville lumière, capitale marocaine de la culture”, en prend un sacré coup de sabot.

La seconde bête poursuivra sa cavale pendant plus d’une heure dans les rues du quartier Yacoub El Mansour sous les regards stupéfaits des Rbatis. Terrorisés mais déterminés à mettre un terme à la pagaille engendrée, des bouchers, épaulés par quelques jeunes, suivent la course du veau et arrivent à le mettre au sol. Les commerçants retiennent leur souffle.

Rabat, “ville lumière, capitale marocaine de la culture”, en prend un sacré coup de sabot

“Où sont les professionnels ? C’est complètement anarchique”, s’exclame l’un d’eux, qui ne comprend pas pourquoi l’animal est finalement soulevé par une grue sur un camion de ramassage des ordures. La scène insolite se retrouve rapidement partagée sur les réseaux sociaux, suscitant des commentaires ironiques dans tout le pays.

Micmac communal

Premier concerné, le Conseil de la ville de Rabat, dont dépendent les abattoirs municipaux, n’a toujours pas réagi. Le lendemain, une responsable, requérant l’anonymat, indique à Hespress que ces bovidés “ne sont pas destinés aux étals des bouchers où s’approvisionnent les citoyens”.

Selon cette source, ces veaux appartiendraient à “un investisseur”, qui tient lui aussi à rester anonyme, qui les aurait acquis suite à un accord avec certaines institutions avec lesquelles il serait en relation. On apprend également que ces veaux ne sont pas sous la garde des abattoirs municipaux, après abattage, la viande est remise à l’investisseur.

La même source déclare même qu’“il n’y a pas un seul kilogramme de bœuf brésilien vendu dans les boucheries de Rabat”. Autrement dit, il n’y aurait que des opérateurs privés qui paient des redevances en contrepartie de l’utilisation des abattoirs.

Solution miracle

Ces déclarations contredisent cependant les propos du ministre de l’Agriculture Mohammed Sadiki, qui s’est récemment exprimé sur le sujet au forum de la MAP. Le responsable n’a à aucun moment évoqué des investisseurs privés intéressés par ce type de viande. Le recours à l’importation “vise essentiellement à assurer un approvisionnement normal du marché national et la stabilité des prix des viandes rouges pour le consommateur”, a précisé Sadiki.

Après avoir démenti des rumeurs sur un cheptel brésilien atteint de la maladie de la vache folle, il a précisé que le gouvernement avait l’intention d’importer 20.000 têtes de vaches de plusieurs pays, dont le Brésil, pour “préserver le cheptel national mis à mal par les saisons sèches et faire baisser le prix de la viande rouge”.

La cargaison de 2800 bêtes entrée par le port de Jorf Lasfar en mars est “d’excellente qualité”, a certifié le ministre. Il a aussi assuré que cette race appelée Nélore (une race brésilienne de zébus), figure “parmi les meilleures races commercialisées à l’échelle internationale”.

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Viande de rechange ?

Sur internet, la Nélore est présentée comme une race “développée exclusivement pour la production de viande” qui serait “moins grasse que celle des races européennes d’élevage. Elle est reconnue pour sa résistance à la chaleur et aux insectes, acceptant les pâturages maigres, et capable de passer plusieurs jours sans boire. Que des atouts qui rendent son élevage rentable”.

Mais sur les réseaux sociaux, certaines pages marocaines crient au complot : la fuite des deux veaux serait délibérée. Enfin, nombreux sont les internautes à se moquer de ces bêtes qui ont parcouru l’Atlantique.

Une tête d’agneau, un cou de dinde, une bosse de chameau, le regard d’un sénile…” Les commentaires ironiques fusent. Ainsi, l’ancien opposant d’Akhannouch au sein du RNI devenu député de l’Istiqlal, Abderrahim Bouaida n’a pas retenu ses coups sur Facebook.

Voici ce que le PMV a prévu de nous faire manger, 15 ans après son lancement. On ne sait si c’est un veau, un buffle ou un chameau. Il a été exonéré de taxes à l’importation, son caractère est incontrôlable, et sa vue vous détourne du désir de manger de la viande le restant de votre vie”, pilonne l’élu de Goulmim.