Cet article a été réalisé indépendamment de la rédaction par TelQuel Impact.
Ryad Mezzour est un homme particulièrement heureux lorsqu’il se présente devant nous pour cet entretien. Il ne veut pas encore nous le dire, mais le ministre de l’Industrie s’apprête à s’entretenir avec Carlos Tavares, le PDG de Stellantis, pour déboucher sur une annonce qui doit ravir son département.
En effet, le groupe automobile a annoncé vouloir doubler sa capacité dans l’usine PSA de Kénitra, qui devrait à l’avenir produire 450.000 voitures chaque année. Une décision qui s’accompagne d’un investissement de 300 millions d’euros et de la création de 2000 emplois.
Dans un coin de sa tête, Ryad Mezzour doit sans doute espérer que cette décision cimentera, aux yeux de ses collègues, la place du Maroc comme l’une des puissances industrielles africaines.
Après tout, l’homme revient tout juste de Niamey où il a représenté le Maroc à la réunion préparatoire au sommet des chefs d’État de l’Union africaine sur l’industrialisation et la diversification qui aura lieu ce 25 novembre. En amont de cet évènement, nous faisons le point avec le ministre sur la présence des entreprises marocaines sur le continent mais aussi l’apport du Royaume pour le co-développement africain et la coopération Sud-Sud.
Quel est le poids des entreprises marocaines sur le continent ?
La présence des entreprises marocaines en Afrique se fait d’abord à travers le millier de conventions signées devant Sa Majesté lors de ses différentes visites sur le continent. Ces accords ont donné une forte impulsion à nos entreprises tout en assurant un engagement très fort de notre pays.
Qui plus est, ces conventions ont une orientation très claire : le Maroc est le partenaire du co-développement d’une Afrique qui fait confiance à l’Afrique. Le Maroc peut accompagner l’intégration de ces économies africaines avec des résultats que l’on a déjà pu entrevoir.
Plus concrètement, la présence marocaine sur le continent se matérialise par les investissements issus de plusieurs secteurs clés. Parmi eux, le secteur bancaire avec trois banques nationales (BMCE Bank of Africa, Banque Populaire, Attijariwafa bank, ndlr) dont la présence est effective dans la quasi-totalité des pays du continent.
“Les chiffres montrent que le Maroc est le premier investisseur africain en Afrique”
Le secteur télécoms dispose également d’une présence intensive et importante. Et c’est sans compter sur le réseau qui permet d’assurer la sécurité alimentaire du continent, avec l’aide de l’OCP et les orientations données pour soutenir et former des milliers d’agriculteurs tout en leur permettant d’innover. Cette présence se reflète dans les chiffres qui montrent que le Maroc est le premier investisseur africain en Afrique.
Selon vous, comment cette position peut-elle être renforcée ?
Cela passe par un investissement sur ce qui reste le premier capital du continent : le capital humain auquel il est nécessaire de donner des perspectives. Il est également nécessaire d’améliorer l’infrastructure énergétique et logistique.
Dans ce secteur (la logistique, ndlr) il y a d’ailleurs un déploiement intéressant des acteurs marocains avec des projets initiés au Niger et en Côte d’Ivoire notamment.
Dans ce sens, des mécanismes ont été intégrés à la nouvelle charte de l’investissement pour soutenir les investisseurs marocains à l’international. La charte contient des orientations très précises pour renforcer l’intégration et le développement en Afrique.
Dans vos sorties médiatiques on vous entend parler de coopération Sud-Sud et de co-développement. Comment cela se matérialise-t-il sur le terrain ?
Comme vous le savez, le Maroc dispose de chaînes de valeurs qu’il essaye d’intégrer et que beaucoup de pays du continent peuvent compléter. Cela se matérialise, par exemple, à travers le gazoduc Maroc-Nigéria qui permettra d’alimenter 14 pays en énergie. C’est un projet structurant qui permettra de développer l’intégration industrielle sur le continent.
Il existe d’autres exemples. Nous avons conçu des programmes dans le domaine du textile qui permettent aux investisseurs marocains de nouer des partenariats avec les pays producteurs du continent. Cela permet de développer de cette manière et le fil qui en est extrait et sécuriser ce type d’intrants.
Il y aussi des initiatives dans le domaine de la sécurité alimentaire pour accompagner le développement des zones agricoles du continent qui possède 60% des terres arables. Les complémentarités sont claires.
Les complémentarités sont évidentes certes, mais leur mise en valeur ne souffre-t-elle pas des barrières aux échanges sur le continent en termes d’infrastructures mais aussi douanières ?
Il reste effectivement de nombreux défis à relever pour réduire les coûts des transactions entre les pays ainsi que la barrière administrative. Cela passe notamment par la réduction de la double imposition et des coûts logistiques.
Sur ce point, le Maroc a fait un effort considérable à travers le port de Tanger Med qui est le port le plus important du continent en termes de volumes. C’est également le port le plus connecté aux autres infrastructures portuaires du continent. Son existence supprime de nombreuses dépenses pour les pays africains.
On parle de la présence des entreprises marocaines sur le continent et de déploiement, mais qu’en est-il de la présence des entreprises du continent au Maroc ?
“Il y a des investissements africains assez intéressants au Maroc. Bien sûr, il y a le secteur des assurances (à travers le Sud-Africain Sanlam qui a acquis Saham) mais pas que…”
Il y a des investissements africains assez intéressants au Maroc. Bien sûr, il y a le secteur des assurances (à travers le Sud-Africain Sanlam qui a acquis Saham) mais pas que… J’ai récemment inauguré une usine où l’investissement était à 80% égyptien. Il y a également des investissements tunisiens, congolais ou mauritaniens.
Il y a un intérêt certain de groupes africains ou d’hommes d’affaires africains pour le Maroc. Mais il est difficile de les quantifier car nous considérons qu’il s’agit d’entreprises de droit marocain avec des employés marocains.
Pour mettre en avant le Maroc auprès des pays africains, vous mentionnez régulièrement l’accord de libre-échange avec les États-Unis. Est-ce judicieux alors que cet accord ne profite pas au Maroc ?
Cela peut vous surprendre mais les États-Unis sont devenus cette année le premier investisseur étranger au Maroc. Il faut également rappeler que le Maroc est le seul pays du continent à bénéficier d’un accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis, sachant que même les pays européens n’ont pas signé ce type d’accord, qui s’accompagne de nombreux avantages.
Par exemple, si une multinationale européenne souhaite commercer aux États-Unis elle peut gagner en compétitivité en choisissant de s’installer au Maroc et en employant des Marocains.
D’un autre côté, il ne faut pas ignorer les chiffres qui donnent l’impression que nous sommes inondés par des produits venus d’une puissance industrielle. C’est douloureux pour notre tissu industriel mais il ne faut pas oublier que cela nous ouvre un marché de 340 millions d’habitants au pouvoir d’achat extrêmement intéressant.
Chaque entreprise marocaine peut exporter sur ce marché. Aujourd’hui, une centaine d’entreprises au Maroc exportent leur production industrielle vers les États-Unis. Ce chiffre peut être multiplié par 10 dans les prochaines années.
Mais alors, comment cet ALE peut-il profiter au continent ?
Pour exporter vers les États-Unis, la valeur ajoutée Made in Morocco doit se situer entre 40 et 60%. Le reste peut venir des autres pays du continent. Aujourd’hui, notre stratégie est d’orienter nos intrants avec des produits du continent tout en leur permettant d’avoir des débouchés à travers de la co-valeur ajoutée.
“A long terme, la Zone de libre-échange continentale permettra à des produits africains de conquérir le marché américain”
A long terme, la Zone de libre-échange continentale permettra à des produits africains de conquérir le marché américain. C’est tout l’enjeu des partenariats initiés par le Maroc. Aujourd’hui, des négociations sont en cours avec nos partenaires américains pour que le taux d’intégration des produits venant du Maroc inclue la valeur ajoutée dans d’autres pays du continent.
Ne craignez-vous pas alors de voir d’autres pays africains supplanter le Maroc à travers la signature d’accords de libre-échange avec les pays avancés ? On parle actuellement d’un accorde libre-échange entre les États-Unis et le Kenya…
Le Maroc est un hub unique de par sa position géostratégique. Notre pays est un carrefour. Rien ne peut remplacer notre positionnement. Le Maroc dispose aussi d’infrastructures de niveau mondial pour lesquelles des investissements lourds ont été consentis, à l’image de Tanger Med.
Et autour de ces infrastructures, nous avons su créer des écosystèmes industriels qui dégagent aujourd’hui des centaines de milliards de dirhams. Enfin, le Maroc c’est une capacité à accueillir les investisseurs et à les mettre en confiance dans un cadre où la stabilité est avérée.
Vous mentionnez des secteurs dont les exportations sont essentiellement destinées vers le Nord. Comment les mettre au service du Sud ?
Il faut d’abord chercher l’argent là où il est. Les consommateurs au pouvoir d’achat important sont dans les pays les plus développés et il est nécessaire de récupérer une partie de leur pouvoir d’achat pour développer nos filières sur le continent. L’injection qui se fait dans notre économie bénéficie également à l’Afrique.
Cela permet la création d’emplois au Maroc, et de manière plus large en Afrique. Cette création de richesse conduit à l’émergence d’un pouvoir d’achat qui permet d’accueillir de la production. C’est là que débute le cercle vertueux qui permet de renforcer la capacité d’exportation vers les pays du continent qui, à leur tour, pourront développer leurs exportations.
Vous défendez l’idée selon laquelle l’industriel marocain n’est pas dans une logique de prédation sur le continent. Pourtant, ce n’est pas le retour de certains acteurs économiques. Quel message avez-vous à leur adresser ?
“Les cas avérés de prédation sont rares et le gouvernement veille, dans ce cas-là, à recadrer les choses assez rapidement”
Nous avons eu des retours dans ce sens, il faut l’admettre. Dès qu’il y a un malentendu ou certains abus, on entame les démarches nécessaires pour sensibiliser nos opérateurs sachant que cela va à l’encontre de la politique prônée par Sa Majesté. Parfois, et cela arrive aussi, l’arrivée d’une entreprise marocaine dans un marché peut gêner et l’argument de la prédation peut être utilisé à tort pour entraver une évolution. Les cas avérés de prédation sont rares et le gouvernement veille, dans ce cas-là, à recadrer les choses assez rapidement.
Tanger Med en 5 chiffres clés
138 millions de tonnes de marchandises passent par le port chaque année
92 milliards de dirhams de volume d’affaires générés par les zones d’activités logistiques et industrielles de Tanger Med
1100 entreprises installées dans les zones d’activités logistiques et industrielles de Tanger Med
Connexion maritime vers 180 ports dans 70 pays ce qui fait de Tanger Med le port le mieux connecté du continent