Khouribga, coeur battant du cinéma africain

Le Festival du cinéma africain de Khouribga souffle cette année sa 45e bougie. Retour sur l’histoire peu connue de la plus ancienne grand-messe du cinéma au Maroc, mais aussi le seul festival de cinéma marocain dédié au continent.

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Le Festival du cinéma africain de Khouribga a pu rayonner grâce à la pugnacité de Noureddine Saïl. Crédit: DR
Cet article a été réalisé indépendamment de la rédaction par TelQuel Impact.

Après la Rencontre des cinéclubs du Maghreb à Mohammedia en 1974 et la Rencontre du cinéma arabe à Meknès en 1976, la Fédération nationale des cinéclubs du Maroc (FNCM), créée en 1973, décide de boucler la boucle et de fêter le cinéma africain.

“Le choix de Khouribga n’est que pure coïncidence. La ville n’a pas été choisie pour sa plage ni pour ses hôtels”

Aït Omar Mokhtar

L’association, alors présidée par l’ancien directeur du Centre cinématographique marocain (CCM), Noureddine Saïl, cherche une ville pour accueillir l’événement. “Le choix de Khouribga n’est que pure coïncidence. La ville n’a pas été choisie pour sa plage ni pour ses hôtels”, plaisante Aït Omar Mokhtar, le secrétaire général de la FNCM de l’époque. “En 1977, le choix s’est porté sur Khouribga, car elle disposait de moyens logistiques, pour la plupart offerts par l’OCP”, explique-t-il.

Des débuts timides

Le complexe culturel de l’OCP, qui dispose d’une salle polyvalente, pouvait servir à la fois de salle de cinéma et de salle de conférence. C’est là que se déroule la première Rencontre internationale du cinéma africain. Le gratin de la critique cinématographique sur le continent y est convié, et les journalistes français des Cahiers du Cinéma Serge Toubiana et Serge Daney font le déplacement.

“En 1977, il ne s’agissait pas d’un festival en bonne et due forme, mais plutôt d’une rencontre entre critiques et cinéclubs du continent”, nuance Aït Omar Mokhtar. L’événement est un succès et les organisateurs s’enthousiasment déjà à l’idée d’une deuxième édition.

Puisque la production cinématographique africaine tournait au ralenti dans les années 1970, les organisateurs ne pouvaient pas assurer une périodicité annuelle”, justifie Mokhtar.

Ajoutez à cela le manque de moyens. “Nous ne bénéficions pas de subventions publiques ni d’aides de la part de la ville. Les seuls fonds provenaient des cotisations des organisateurs et des participants”, ajoute-t-il, avant d’ironiser : “Pourtant, l’événement rencontra un franc succès. Aujourd’hui, vous avez beau inviter les participants, leur offrir gîte et couvert, vous n’êtes pas sûr de leur présence”.

Six ans plus tard, les organisateurs se voient offrir une aide de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) à Paris. “Le cinéaste tunisien Tahar Cheriaa occupait le poste de responsable de l’action culturelle à l’ACCT. Grâce à lui, nous avons pu obtenir 17 films africains”, se souvient Mokhtar.

Parmi les réalisateurs sélectionnés, le Béninois Paulin Soumanou Vieyra, monument du cinéma africain du 20e siècle, les Sénégalais Ababacar Samb et Ousmane Sembène, ainsi que le Congolais Jean-Michel Tchissoukou et le Marocain Souheïl Benbarka, auquel les organisateurs rendront hommage.

Si aucun prix n’est décerné, le festival se distingue par “la qualité des débats autour des films et des thématiques en rapport avec le cinéma en Afrique et dans le Tiers-monde”. Les échanges sont tellement passionnants qu’ils se poursuivent jusqu’à des heures avancées de la nuit. C’est de là que sont nés les Débats de minuit, qui se poursuivent jusqu’à 3 ou 4 heures du matin. Une tradition devenue la marque de fabrique du festival.

Paulin Soumanou Vieyra, réalisateur béninois.Crédit: DR

Le mûrissement… puis l’arrêt

En 1988, se tient la 3e édition du festival. “On pouvait enfin dire que Khouribga avait son festival”, se rappelle Aït Omar Mokhtar. Tellement que les conseils municipal et régional se sont empressés de collaborer pour l’organisation de l’événement. 19 films originaires de 9 pays, dont le Zaïre, le Burkina Faso, le Niger et l’Égypte, y sont projetés.

Pour la première fois, des prix récompenseront les films au programme. Les prix du public et de la critique seront décernés à Yeelen du Malien Souleymane Cissé, l’Algérien Mohammed Zemmouri recevra le prix du CCM pour Les Folles Années du twist. Au sortir de cette 3e édition, les organisateurs publient un communiqué, dans lequel ils “veillent à ce que la Rencontre soit organisée à Khouribga tous les deux ans”.

L’aventure se poursuivra pendant trois éditions jusqu’en 1994, date à laquelle la rencontre marquera une pause de six ans. “Des conflits politiques au sein du conseil municipal de Khouribga, principal pourvoyeur de fonds de l’événement, ont causé l’annulation de l’édition 1996”, explique Abdelkhalek Belarabi, l’actuel président de la Fédération nationale des cinéclubs du Maroc.

Ce n’est qu’en 2000 qu’une journée d’étude se tient pour assurer la pérennité de la manifestation, et le festival reçoit une aide de “500.000 dirhams de la part du conseil municipal de Khouribga”, qui permet l’organisation de la 7e édition.

De là est née l’Association du Festival du Cinéma africain qui assure la tenue de cinq éditions successives. En 2009, l’association devient la Fondation du Festival du Cinéma africain, et est présidée par Noureddine Saïl. Et ce jusqu’au décès du brillant homme de culture en décembre 2020. En juillet 2021, l’ancien président de la Chambre des représentants Habib El Malki est désigné président du festival par les membres de son conseil d’administration.

*Article mis à jour sur la base d’un article publié initialement sur telquel.ma