Cet article a été réalisé indépendamment de la rédaction par TelQuel Impact.
Le cinéma d’Afrique subsaharienne ne souffre pas de manque de talents, mais d’une carence de moyens pour assouvir ses ambitions. Excepté l’Afrique du Sud et le Nigéria, grâce à sa prolifique industrie nollywoodienne dont le nombre de films est estimé à 2000 par an, le cinéma des autres pays d’Afrique subsaharienne ne bénéficie pas d’autant de productions.
De 1960 à 2007, seulement 285 films ont vu le jour dans les 17 pays francophones subsahariens, à raison de 0,35 film par an pour chaque pays. Ce n’est qu’à partir de 2014 que le Sénégal a décidé d’augmenter sa production cinématographique à travers des subventions de l’État, et plus précisément du Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (FOPICA).
Un modèle qui s’inspire point par point du modèle marocain initié par le Centre cinématographique marocain (CCM). Avec l’arrivée de Noureddine Saïl à la tête de cette institution en 2003, le Maroc est arrivé à produire jusqu’à 25 films par an grâce, notamment, au système des avances sur recettes.
Malgré cette maigre production de films, bon nombre de cinéastes de cette région du continent ont pu produire leurs œuvres en bénéficiant de guichets internationaux comme le Centre national de la cinématographie en France.
Même avec ces contraintes et des coûts de production moindres, ils ont pu se distinguer dans les grands festivals internationaux (Cannes, Berlin, Venise…) et sont même devenus des références pour d’autres réalisateurs aussi bien africains qu’outre-Atlantique.
Voici une sélection de cinq réalisateurs et de leurs œuvres notables, qui racontent chacun à sa manière notre continent.
Sembène, l’éducateur
Alors que les pays africains commençaient tour à tour à gagner leur indépendance, des cinéastes avaient en tête un autre combat. Celui de se réapproprier leurs propres images et leurs propres histoires, bien loin des images qu’avaient laissées les colons et qui étaient réductrices, voire insultantes envers des cultures ancestrales.
Parmi ces cinéastes figurait Ousmane Sembène, l’un des premiers à reprendre les codes de la culture sénégalaise pour en faire une arme de résistance aussi bien contre les clichés occidentaux que contre les pouvoirs en place dans son pays.
Après quelques courts-métrages où il dénonçait l’inceste, sort en 1966 son premier film considéré comme une sorte de testament contre la perception des Occidentaux de l’homme africain.
La noire de… raconte l’histoire de Diouana, une jeune Sénégalaise qui quitte sa famille pour rejoindre la France avec sa patronne. Une fois dans l’Hexagone, cette dernière lui mène la vie dure et la traite comme une esclave. Elle est même considérée comme un objet de désir exotique par des Français. Des affronts et humiliations qui vont pousser la jeune femme au suicide.
Deux ans après, il sort Le Mandat, qui est considéré par la critique internationale comme un des chefs-d’œuvre du cinéma sénégalais. Dans ce film, Sembène dénonce, avec un humour grinçant, les comportements et habitudes d’une nouvelle bourgeoisie sénégalaise apparue tout juste après l’indépendance. D’autres films suivront où il critique l’excision ainsi que les traditions de son propre pays.
Mais bien au-delà de son côté dénonciateur, Sembène a été le premier à poser les jalons d’un cinéma africain raconté de l’intérieur. En se positionnant comme un éducateur, il a sorti les traditions du conte, de la musique et de la danse de leur côté folklorique pour leur donner un sens et une cohérence autres. Pour Sembène, chaque image comptait.
A voir : La noire de…, 1966 et Le mandat, 1968
Mahamat Saleh Haroun, le quotidien sur fond de guerre civile
Des héros malgré eux. Voilà comment on peut définir les personnages des films du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun. Élevés dans la misère ou victimes d’abandon ou autres traumatismes, ces derniers ne veulent rien de personne. Et pourtant, il arrive que le destin leur joue des tours, les amenant ainsi à se retrouver dans des situations qui les poussent à tuer, à se venger…
Que ce soit l’enfant qui veut apprendre le métier de boulanger dans le chef-d’œuvre Daratt, le danseur souffrant d’un handicap dans Grigris ou encore l’héroïne dans Lingui, ils sont toujours calmes au début pour faire sortir leur colère à la fin. Plus que des drames familiaux, Haroun raconte ces Tchadiens traumatisés par une guerre civile qu’ils ne voulaient jamais vivre. Le tout avec une poésie du quotidien très singulière.
A voir : Daratt, 2006, Grigris, 2013
Abderrahmane Sissako, contre les extrémismes
Sous la forme d’un procès, un procédé utilisé des dizaines de fois dans le cinéma américain, la population de Bamako passe devant un tribunal en plein air pour exprimer son mécontentement des outrances des pays occidentaux qui ont vidé ce continent de ses ressources.
Le discours direct, la poésie et la métaphore sont utilisés dans Bamako, dans un seul objectif : dénoncer les responsables de la malnutrition, de la pauvreté… Un exercice dans lequel excelle le cinéaste mauritanien, qui a vécu depuis son enfance au Mali, Abderrahmane Sissako.
Ce même exercice qu’il reprend de plus belle dans Timbuktu pour raconter l’histoire des habitants de Tombouctou, obligés de vivre avec des islamistes qui ont pris d’assaut la ville et imposé leur loi : plus de football, plus de cigarette, plus de musique, des mariages forcés et des persécutions à la pelle. Un huis clos où le cinéaste mauritanien dépeint avec une précision imparable l’absurdité et le mode de réflexion de gens qui jugent les pratiques de leurs voisins au nom de Dieu.
A voir : Bamako, 2006, Timbuktu, 2014
Hailé Gerima, décoloniser les esprits
Que ce soit des films réalisés aux États-Unis ou dans son pays l’Ethiopie, le cinéaste Hailé Gerima se sent porteur d’une mission : redonner à l’homme africain sa juste place dans l’histoire du monde.
Que ce soit sur le ton du documentaire (Hour Glass, Wilmington 10-USA 10.000) quand il traite du racisme aux États-Unis, ou sur le ton de l’onirisme (Teza) quand il dépeint la souffrance de villageois éthiopiens vivant sous le joug d’une dictature féroce, Gerima ne cesse de nous questionner à travers son style basé sur la distanciation brechtienne, sur la condition de cette population, toujours victime des pires injustices.
A voir: Teza, 2008
Amjad Abou Al Alaâ, la relève
Grâce à Amjad Abou Al Alaâ, le cinéma soudanais a pu renaître de ses cendres après 30 ans d’agonie. Sorti en 2019, You will die at 20, premier long-métrage de ce cinéaste prometteur, a surpris le monde entier par son exigence esthétique et sa force narrative.
En traitant l’histoire d’un enfant obligé de vivre avec une malédiction, il raconte en filigrane l’état de tout un pays (le Soudan) enclin à supporter le poids de l’immobilité et la subir comme une sorte de fatalité.
Un film coup de poing qui dénonce les croyances inutiles empêchant toute une population d’avancer.
A voir : You will die at 20, 2019