On citera Memmis n ifesti d awal (Le mot est fils du silence), Tislit n Ku yass (La mariée de tous les jours), ou encore In gertiddi d wannli (Entre la stature et l’intelligence). Il est également l’auteur du seul dictionnaire unilingue en amazighe dédié au parler des AytYafelman du Haut-Atlas oriental. Mais le premier livre du genre romanesque est celui que l’auteur vient de publier à son compte à Marrakech juste avant l’été 2022, un épais volume de 430 pages.
L’auteur se saisit de l’histoire d’une chaussure en cuir de type “Michelin”, très connue parmi les montagnards du Haut-Atlas, en particulier les nomades. La photo de couverture montre l’objet posé sur l’un des réacteurs d’un avion en plein vol au-dessus des nuages.
Il participe à une fresque saisissante dont les évènements se déroulent tour à tour dans les vallées des Mgouna, du Haut-Ghéris, le Tafilalet, Marrakech, Casablanca, mais aussi à New York, Pittsburg en Pennsylvanie et Evergreen dans le Colorado. Des personnages aux origines diverses, à l’épaisseur remarquablement restituée et aux destins croisés tissent une histoire savamment élaborée.
L’auteur fait évoluer ses personnages dans un univers mondialisé à travers les tribulations rocambolesques d’une chaussure artisanale rattrapée par le dilemme de la propriété intellectuelle. Autour de ce fil rouge, évolue Moha Amgoun, étudiant brillant qui obtient une bourse pour étudier aux États-Unis et que le hasard met sur le chemin de Liza Douglas, également fraîchement inscrite, comme lui, à l’Université de Pittsburgh.
Les tribulations des personnages du roman lui donnent l’occasion de procéder, çà et là, à des réflexions sur la vie, sur le sens de l’existence, sur l’amour, l’honnêteté, la vérité
Les deux tourtereaux s’aiment et se découvrent des similarités malgré la distance qui sépare leurs pays. Autour de leur parcours, l’auteur tisse d’autres histoires qui progressent toutes selon un canevas parfaitement élaboré. On a l’impression de regarder défiler une série à succès tant les personnages se croisent et les évènements se succèdent d’un continent à l’autre, d’un contexte à l’autre de manière fluide.
L’auteur a choisi d’écrire son roman en amazighe du Haut-Atlas oriental, plus particulièrement en parler AytMerghad. Il a utilisé la graphie latine qui peut parfois rebuter le lecteur profane. Il y a mis toute l’énergie du désespoir en se faisant le porte-voix d’une langue qui semble s’essouffler. Il a déniché des mots et des expressions tout droit sortis du “fond de la jarre”, comme dirait Abdellatif Laabi.
Il fait ainsi œuvre plus qu’utile en soustrayant à l’oubli un vocabulaire riche et spécifique. Bien plus, les tribulations des personnages du roman lui donnent l’occasion de procéder, çà et là, à des réflexions sur la vie, sur le sens de l’existence, sur l’amour, l’honnêteté, la vérité, entre autres valeurs humaines. Le hasard de l’existence ou la probabilité (khuṭṭ) semble jouer des destins des individus qui courent à leur salut ou à leur perte, selon le cas.
Servi par une construction romanesque de grande qualité, le roman d’Ahmed Haddachi est une excellente contribution à la littérature d’expression amazighe. Un roman qui mérite tout autant d’être porté à l’écran que d’être traduit pour atteindre le public non amazighophone.
L’auteur de cette tribune, Ahmed Skounti, est anthropologue et professeur à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP, Rabat).