TelQuel : En quoi ce soulèvement de la population est-il différent des manifestations de 2019 ?
Clément Therme : En 2019, c’était plutôt l’Iran des petites villes et des classes populaires, c’était donc pour des raisons économiques. Cette fois-ci, nous sommes face à des raisons de justice. Les Iraniens aujourd’hui refusent l’imposition d’un mode de vie particulier par le régime. Ce qui est différent dans ce type de contestations, qu’il faut comparer non pas à celles de 2019 mais à celles de 1999 lorsqu’il y a eu les révoltes étudiantes, et avec 2009 lorsqu’il y a eu le Mouvement vert, c’est que cette fois-ci, il n’y a pas que des modes d’action pacifiques, il y a aussi la volonté de résister à la violence de l’Etat. Le niveau de colère a augmenté entre 1999, 2009 et 2022.
Le voile obligatoire est un symbole du régime iranien. Peut-il faire marche arrière sur cette question pour calmer la population ?
Il n’y a pas de réconciliation possible entre un mouvement porté par des femmes jeunes et le régime misogyne qui veut fragmenter et diviser la société. La seule solution pour eux, c’est la violence. En revanche, accepter l’expression d’un nouveau mode de vie cosmopolite (même si les partisans du régime diront « occidentalisé »), leur parait impensable. Cette demande de liberté ne peut pas être traitée dans le cadre des origines du régime. La religion n’est pas le sujet, c’est la politisation de la religion, son instrumentalisation par le pouvoir que les manifestants rejettent aujourd’hui.
L’indignation internationale peut-elle faire pression pour un changement, ou au contraire ne risque-t-elle pas de provoquer une répression plus sanglante ?
Barack Obama raconte dans ses mémoires un épisode très intéressant. Lors de la mort de Neda Agha-Soltan en 2009, tuée par balle au cours d’une manifestation de protestation à Téhéran, il avait hésité à s’exprimer de peur que sa parole ne soit instrumentalisée par le régime iranien, ce qu’il regrette aujourd’hui. Lorsqu’on ne dit rien, cela décuple la volonté du régime de réprimer parce que le risque « réputationnel » est beaucoup plus grand quand il y a une préoccupation internationale. Donc ce risque, c’est-à-dire son niveau d’infréquentabilité, va augmenter du fait de la répression.
Plus on en parle, plus il est infréquentable et plus il est gêné. Il faut que les médias internationaux et la société civile en parlent pour montrer aussi que l’image de l’Iran n’est pas celle qui était projetée par la république islamique. Il y a une société en Iran où les gens, et notamment les jeunes, ont un mode de vie très proche des jeunes des autres pays. On s’aperçoit, quand on découvre vraiment la société iranienne, qu’il y avait un biais cognitif.
Ces manifestations amènent la fin du filtre de la république islamique sur la perception de la vie en Iran par l’opinion publique internationale. Le régime iranien avait la capacité à manipuler les informations et il l’a perdue avec ces manifestations qui sont cette fois collectives.