11 septembre 2020.
Dans la stupeur et l’effroi, le cœur emballé par une multitude d’émotions, les Marocains se couchent avec le sentiment que l’Enfer a bien un pied à terre au Maroc. Violé, tué, enterré, le destin d’Adnane Bouchouf ravive les peurs et fait trembler les consciences. Chacun capitalisera sur ce meurtre pour raviver le débat sur la peine de mort, pansement sommaire qui réussira à faire oublier la continuité des actes pédophiles dans le pays. De nouveau le silence…
8 octobre 2021.
Des vidéos d’une caméra de surveillance dans une salle d’aérobic montre le soi-disant entraîneur harceler sexuellement des jeunes filles mineures à Rabat. Un père de famille porte plainte. Un, deux, trois médias en parlent en se copiant les uns les autres et, puis, d’un coup d’un seul, le silence…
15 août 2022.
Les messages se suivent et se ressemblent : un influenceur aurait pris pour cible des filles mineures qu’il préfère entre 12 et 16 ans continuellement et pendant deux ans. Les réseaux sociaux s’emballent, les témoignages se superposent, les faits sont graves, annoncent une tournure plus noire encore, un message au procureur est envoyé. Sans réponse. Silence…
1er septembre 2022.
J’attends devant mon ordinateur. Quoi ? Le nouveau message privé suivi de captures d’écran de discussions sur Facebook, Instagram ou Snapchat incriminant un nouvel homme jouant entre menaces, insistances et de son âge pour obtenir des faveurs sexuelles d’une fille encore mineure. Et je ne sais plus quoi faire : des demandes qui n’aboutissent pas, des systèmes de signalement ineffectifs, pas de numéro vert qui fonctionne correctement et des familles à qui on apprend que le silence est d’or.
L’équilibre fonctionne alors : ils et elles ont peur de parler, les familles ne veulent pas en parler et les tribunaux en sont débarrassés tout comme les parlementaires et leurs dossiers.
Car il semblerait, comme un bon nombre de nos politiques, qu’ils aient la mémoire courte, qu’il faut un autre Adnane ou une autre Naïma pour que quelque chose se déclenche, que des gens se rebellent et qu’importe les signes avant-coureurs ! Un instagrammeur attaqué pour des faits quasi-avérés mais qui continue de vivre comme si de rien n’était et ose même s’en prendre à celles et ceux qui défendent les enfants ? C’est cela notre idée de la justice ?
Pourtant, l’intensification des violences et agressions sexuelles sur l’enfance n’est pas un phénomène inconnu au Maroc puisque régulièrement la scène socio-politique est secouée par des événements similaires et des décisions de justice ambigües qui remettent en question la réelle sécurité et l’applicabilité du statut juridique des enfants et des droits qui leur sont octroyés. Le rapport de la présidence du ministère public rappelle, en 2018, que l’on dénombre 3205 cas d’agressions sexuelles (sur les 7031 victimes de violences sur enfants enregistrés par les tribunaux) sur enfants de sexe féminin et masculin avec une répartition respective de 66,4% et 33,6%. Mais ceux-là sont enregistrés car, encore aujourd’hui, tant de signalements ne sont jamais émis.
D’ailleurs comment signaler lorsqu’une mineure a peur de passer de victime à complice ? Comment signaler quand la loi du hchouma semble supplanter celle qui garantit le respect des droits de l’enfance ? Pourquoi n’a-t-on pas autant de campagnes de prévention contre les agissements de ces violeurs et pédophiles dans nos rues comme nous en avons pour les gestes barrières ?
Les mots y sont pour quelque chose. Le mot pédocriminalité n’est pas beau, le mot « sexe » ou « sexuel » est trop en contradiction avec l’image opaque et sacrée que l’on tente de confier aux citoyens. La vérité est qu’il y a des citoyens qui agressent, violent et parfois tuent des enfants. La vérité est qu’il y a des hommes qui violent et agressent des filles et que le silence de la tradition protège. La vérité est qu’il faut savoir dire les mots pour résoudre les maux.
Et c’est à vous, chers politiciens de nous aider. C’est à vous de dire que ces filles, ces garçons et ces familles sont des victimes, que la justice est là pour les protéger, que la loi est de leur côté. Ne tentez pas de rejeter toutes les fautes sur des traditions alors que vous les entretenez, que vous en êtes conciliants, que vous ne réagissez que quand cela augmente votre cote de popularité ou lorsqu’on vous y force. Si chacun est responsable, ceux qui donnent l’exemple le sont plus encore : montrer que des enseignants accusés d’agressions sexuelles est condamnable, que les enfants sont le cœur des priorités, que les viols et les agressions sexuelles sont des crimes, que la culture de l’impunité n’a pas à exister.
Les filles et les garçons de ce pays ne seront jamais saines, sains, sauves et saufs tant que vous n’aurez pas garanti que leur droit à l’enfance aujourd’hui vaut plus que les condoléances que vous présenterez demain.
26 septembre 2022.
On nous balance de tribunal en tribunal. Personne ne nous répond. Les silences sont des veillées mortuaires assourdissantes. Pendant ce temps-là, il continue. Sans cesse. Sans relâche. Nous essayons de faire les choses bien quand le mal, lui, continue d’avoir quartier libre. Il est maintenant une heure du matin et aucune réponse des autorités ni des tribunaux.
Alors, en attendant, je retourne à mon ordinateur, les messages continuent. Avant ces nuits il y en avait d’autres, et après, il y en aura encore…
La nuit sera encore longue…