Rabat. Une grosse Mercedes fait halte devant l’hôtel The View à Hay Ryad. Il ne s’agit pas d’un modèle récent, mais la berline allemande scintille dans une sorte de majesté chromée, semble avoir été minutieusement entretenue. Agile, le chauffeur glisse hors du véhicule et, esquissant une légère génuflexion, ouvre la portière arrière. De l’habitacle se dégagent des volutes de fumée.
Notre homme en surgit, cigare à la bouche, l’allure affûtée, la démarche leste. Lui, c’est Abdeslam B., l’archétype du haut commis de l’État. Ingénieur polytechnicien, diplômé au milieu des années 1970, il a trusté les sommets de la haute fonction publique.
Les postes se sont succédé, ministères, agences, EEP ; les honneurs ont fusé, mais il ne reste à présent qu’une longue traînée de souvenirs et une prestance intacte. Pas de faux pas, pas de bévue, pas de disgrâce, juste une retraite paisible coulée dans une villa du quartier Souissi.
Étrangement, notre client souhaite taire son nom. Soucieux de brouiller les pistes, il demande aussi que l’on maquille son parcours. Certains réflexes sont indélébiles. Lorsqu’on a servi l’État au plus haut niveau, s’ancre en soi un sens de la discrétion inébranlable. Rares sont ceux qui parviennent à s’en départir. Notre interlocuteur n’en fait pas partie.
Des profils de haute voltige
Le 13 juillet, au terme d’un Conseil des ministres où la réforme du système de santé à été mise sur orbite, quatre nominations de hauts responsables publics sur les cinq annoncées ce jour-là attirent l’attention.
Khalid Safir est propulsé à la tête de la CDG, Abdellatif Zaghnoun prend en charge la direction de l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État et de suivi des performances des établissements et entreprises publics, Noureddine Boutayeb, ex-secrétaire d’État à l’Intérieur est nommé à la présidence du conseil du Crédit Agricole, et Abderrahim Houmy est placé à la direction de l’Agence nationale des eaux et forêts.
Dénominateur commun : tous sont ingénieurs. Polytechnique, EMI, Ecole centrale de Paris, IAV. Les quatre responsables proviennent d’établissements académiques de prestige, faisant partie des pépinières préférées de la haute administration. La surreprésentation d’ingénieurs de haute voltige sur cette fournée de nominations confirme l’omniprésence de ce type de profils dans les instances du pouvoir sous le règne de Mohammed VI.
Qu’ils soient formés au Maroc, en France ou ailleurs, ils ont trusté les postes les plus prestigieux de la hiérarchie publique. Ministères, offices, wilayas, grands groupes publics, agences de développement, CRI, SDL… une faune de “pontistes” et consorts, de matheux bardés de diplômes, biberonnés aux curricula des grandes écoles, a hérité des positions les plus prestigieuses de l’administration.
Sous Hassan II, ils étaient déjà incontournables, sous M6, ils deviennent une pièce maîtresse du dispositif de gouvernance. Et leur influence ne cesse de s’étendre. Exemple parlant, le chantier le plus crucial de l’ère Mohammed VI, la généralisation de l’assurance maladie à tous les Marocains, est piloté par celui qui s’est imposé comme le couteau suisse de la monarchie, l’inévitable Fouzi Lekjaâ, ingénieur IAV, ministre délégué au Budget et président de la Fédération royale marocaine de football.