Interview croisée entre les designers Andrea Anastasio et Hicham Lahlou

A l’occasion de la 6e Journée internationale du design italien, des conférences, rencontres et expositions ont été organisées les 29, 30 et 31 mars au Maroc, sous le thème “Re-Generation. Design et nouvelles technologies pour un avenir durable”. Interview croisée des designers Andrea Anastasio et Hicham Lahlou.

Par

Andrea Anastasio (à gauche) est professeur d’anthropologie du design à l’Académie des Beaux-Arts de Syracuse. A droite, le designer Hicham Lahlou qui siège notamment au conseil d’administration de l’Organisation mondiale du design (World Design Organization). Crédit: DR

Quels sont les points communs et les différences entre le design italien et le design marocain ?

Andrea Anastasio : Il est essentiel de comprendre ce que l’on entend par le mot “design”  : il fait référence à la production industrielle de biens de consommation selon des normes de qualité élevées.

à lire aussi

À l’époque préindustrielle, il y avait un monde entre l’artisanat destiné à l’aristocratie et aux institutions religieuses, et celui destiné aux besoins quotidiens des citoyens. On peut donc comprendre l’impact de la révolution industrielle sur la société.

“Le design marocain et le design italien ont en commun la vitalité de leurs communautés d’artisans qui ont survécu à l’avènement de l’industrie”

Andrea Anastasio

En ce sens, le design marocain et le design italien ont en commun la vitalité de leurs communautés d’artisans qui ont survécu à l’avènement de l’industrie. Mais ce qui rend le design italien unique, c’est surtout sa capacité à débattre de la culture du savoir-faire et savoir-habiter.

Hicham Lahlou : Les points communs entre le Maroc et l’Italie se trouvent dans l’importance des arts décoratifs, de la tradition architecturale, de l’artisanat. En revanche, le Maroc et l’Afrique n’ont pas connu la révolution industrielle qui a engendré l’émergence du design dès la fin du 19e siècle.

“Le design a permis aux artisans de perdurer, de se développer en collaborant avec des designers, créant des objets élevés au rang d’œuvres d’art”

Hicham Lahlou

Le design a permis aux artisans de perdurer, de se développer en collaborant avec des designers, créant des objets élevés au rang d’œuvres d’art. Les besoins étaient énormes avec la construction de chemins de fer, les aménagements urbains, l’aviation, l’automobile, les équipements pour la maison, etc.

En Italie, de grandes marques comme Alessi ou Zanotta ont fait appel à des designers de renom : Ettore Sottsass, Alessandro Mendini, etc. La fonction dictant l’esthétique, comme j’aime à dire, l’utilisateur a toujours été au centre de la réflexion. Aujourd’hui, c’est à la planète qu’il faut penser, avec des enjeux écologiques cruciaux : une nouvelle révolution à laquelle le design doit participer.

Quelles sont les tendances actuelles du design italien ?

Andrea Anastasio : Aujourd’hui, l’attention est surtout concentrée sur l’utilisation de matériaux durables, sur l’économie circulaire. Ce qui pouvait sembler, il y a quelques années, une tendance temporaire, est en train de modifier profondément la manière de concevoir et de produire. L’enseignement du design aborde désormais les problématiques écologiques et les réponses à leur apporter.

C’est un changement majeur qui affecte tous les niveaux d’un projet : matériaux, technologies, production, fonction et durabilité de l’objet, inclusion dans la chaîne de recyclage en fin de vie…

Tout cela en tenant compte de notre manière de vivre. Les maisons sont plus écologiques, mais aussi plus connectées, avec un cadre domestique de plus en plus intégré au monde extérieur.

Comment la pandémie a-t-elle influencé le design ?

Andrea Anastasio : D’une manière directe et profonde. Après une première phase de doute et d’attente, une grande attention a été portée à la création d’espaces de vie plus confortables et flexibles.

La pandémie a mis en lumière de profondes injustices sociales qui affectent nos sociétés, mais aussi l’importance de l’espace extérieur et de la nature. Cette pandémie est peut-être l’expression de l’intelligence de la vie qui tente de nous faire comprendre l’insoutenabilité du modèle économique qui dominait jusqu’à présent. Le design, profondément lié à ce modèle, doit trouver une voie alternative.

“on a réalisé que le Made in Morocco était à développer. Cela passe aussi par le design, il faut le rappeler”

Hicham Lahlou

Hicham Lahlou : Le Covid-19 a fait prendre conscience à l’Europe de ses faiblesses, notamment sa désindustrialisation et sa dépendance, à force de délocaliser la production en Asie pour maximiser les profits. Le design peut y apporter des solutions concrètes. Au Maroc, on a réalisé que le Made in Morocco était à développer. Cela passe aussi par le design, il faut le rappeler.

Qu’espérez-vous à l’issue de la Journée du design italien au Maroc ?

Andrea Anastasio : Tout d’abord, la Journée du design italien dans le monde est une occasion précieuse de rencontrer d’autres cultures, d’autres concepteurs. J’ai vécu de nombreuses années dans des pays non européens. Cela m’a fait prendre conscience de l’importance de l’échange.

La géographie (celle des frontières nationales) a lamentablement échoué à définir le monde. Aujourd’hui, il est évident que nous sommes tous interconnectés, et que pour se connaître soi-même, il faut écouter l’autre.

Je viens donc au Maroc poussé par une grande curiosité et le désir de rencontrer de nouveaux interlocuteurs dans ce voyage passionnant que nous appelons le design, mais qui est, avant tout, la vie.

Hicham Lahlou : Cette initiative est formidable et permet d’explorer le véritable sens du design, sa portée. C’est également une belle occasion de dialoguer et de se découvrir.

Le Maroc doit développer son design en mettant en place une stratégie nationale transversale à tous les secteurs. Et ce en partenariat avec l’Italie, qui peut nous faire profiter de son fabuleux savoir-faire à travers la coopération économique, scientifique, industrielle et universitaire.

à lire aussi

Article réalisé par TelQuel Content Studio, un département indépendant de la rédaction de TelQuel