Attention, ceci n’est pas un livre d’histoire”. C’est ainsi que Zakaria Boualem, personnage dont le nom est familier pour nos lecteurs, entame l’avant-propos de son livre. Le titre, lui, en dit long sur la démarche : Zakaria Boualem découvre l’histoire du Maroc.
Par là, on entend d’emblée qu’il n’y a pas d’analyse pompeuse, ni de grande révélation en vue. Seulement un Guercifi, “Marocain à tendance paranoïaque”, qui a spontanément décidé de s’intéresser à l’histoire de son pays, après avoir “passé des années à geindre sur les nombreuses incohérences qui peuplent notre quotidien”.
Pour Réda Allali, père spirituel du Boualem et auteur de cet ouvrage difficilement classable, il est simplement question “d’essayer de comprendre ce qui nous est arrivé”.
Pourquoi était-ce important d’invoquer Zakaria Boualem pour raconter l’histoire, au lieu de parler en tant que Réda Allali ?
On va dire que Zakaria est un personnage que je maîtrise. C’est facile pour moi d’écrire sur lui. Je connais son profil ainsi que ses réflexions, qui sont souvent proches des miennes. Ce n’est pas un livre sur l’histoire du Maroc, mais sur un personnage qui découvre l’histoire du Maroc.
Introduire un personnage me permet donc de mettre en scène des surprises, des hésitations, des étonnements et des fascinations. C’est la présence de Zakaria Boualem qui permet d’insister sur la notion de découverte, où il rectifie petit à petit ce qu’on lui a appris par moments. Son ton apporte aussi de la distance et de la légèreté. Je pense que les choses passent plus facilement ainsi.
A quel moment Zakaria Boualem s’est intéressé à l’histoire du Maroc ? Quel a été son point de départ ?
La démarche globale est d’essayer de comprendre ce qui nous est arrivé. Je consomme beaucoup de podcasts d’histoire, de films historiques… C’est aussi l’expérience Radio Maârif (podcast lancé par Réda Allali en 2018, ndlr) qui m’a donné envie de faire ce livre.
C’était frustrant de trouver une infinité de podcasts sur l’histoire de France, d’Europe, mais jamais sur l’histoire des nôtres. Et puis, mes rencontres avec des historiens passionnants et passionnés m’ont beaucoup fait réfléchir : ces gens ont énormément de choses à dire, mais on ne les écoute jamais.
«Zakaria Boualem découvre l’histoire du Maroc»
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Il y a un parti pris dans ce livre, à savoir, ne pas dédier de chapitre au protectorat, à la résistance et au Maroc postindépendance… Pourquoi ?
D’une part, parce que c’est un pan de l’histoire du Maroc qui est beaucoup plus connu que le reste. Il y a des sources disponibles, des écrits qui nous sont parvenus, et des témoins qui sont encore vivants. Les acteurs de cette période ont beaucoup écrit, ils ont été interviewés à de multiples reprises.
Bref, on n’est pas devant un grand trou noir. D’ailleurs, il y a encore beaucoup de polémiques sur cette période, les historiens ne sont pas souvent d’accord.
Par conséquent, je ne peux pas avoir d’opinion dessus. Alors que pour le reste, les sources sont plus difficilement accessibles. C’est cette partie-là de l’histoire, celle des dynasties, qui est la moins connue du grand public.
Pourtant, les sources historiques sont là. Qu’est-ce qui fait que l’histoire du Maroc, du départ des Omeyyades au début du protectorat français, est méconnue?
Parce qu’on ne nous l’a pas suffisamment racontée, et parce que les Marocains ne se la sont pas réappropriée. Les dynasties se sont intéressées à elles-mêmes, et pas à celles qui les ont précédées. Au XXe siècle, on s’est dit qu’il fallait ramasser tout ça. Il y a du liant entre les dynasties, mais il faut raconter une histoire où l’on intègre les Marocains, leur culture et leur esprit.
Dans votre approche, vous tenez à vous distinguer de la chronologie linéaire selon laquelle les dynasties qui ont régné au Maroc se sont pacifiquement succédé les unes après les autres…
Oui, je pense que c’était important de rappeler qu’il n’y a pas seulement eu les Almohades, puis les Mérinides, puis les Saadiens, etc. Entretemps, il y a eu des guerres, des dynasties qui se sont niées les unes les autres. C’est un peu tout le problème de l’histoire : on l’écrit une fois qu’elle est terminée, et puisqu’elle est terminée, on lui donne le sens qu’on veut.
“On a envie de dire que le Maroc est un très ancien état, ce qui est vrai, alors on lie les dynasties l’une après l’autre, alors qu’elles étaient souvent en concurrence, qu’il y a eu des guerres”
On a envie de dire que le Maroc est un très ancien état, ce qui est vrai, alors on lie les dynasties l’une après l’autre, alors qu’elles étaient souvent en concurrence, qu’il y a eu des guerres. Derrière tout ça, il y a une notion très récente, qui est celle de la nation. On a grandi dans un monde avec un drapeau, des frontières et des visas, et donc on a du mal à imaginer qu’il y a une autre conception de ce qu’on appelle “bled”, qui, elle, est plutôt liée à la terre, aux liens sociaux, à la famille et la religion.
Si j’avais l’occasion d’interviewer Yacoub El Mansour, j’aurais voulu lui demander quelle est l’histoire de son pays : je ne pense pas qu’il y aurait intégré les Almoravides ! Autre exemple, Moulay Ismaïl a emmuré les tombeaux saadiens et construit par-dessus. Ce que je veux dire par là, c’est que durant ces 1200 ans d’histoire dont on est tellement fiers, il n’y a pas vraiment de continuité à la tête de l’Etat.
Ces 1200 ans dont on est fiers, mais dont on ne connaît pas grand-chose finalement… Selon vous, de quoi est-on fiers ?
Je pense qu’on est fiers d’avoir été gérés par nous-mêmes entre le départ des Omeyyades et l’arrivée des Français, dans une terre qui a été beaucoup convoitée à la fois par l’Est, le Nord, la péninsule ibérique, puis pendant le XXe siècle, par les Anglais, les Allemands…
Il n’y a pas une centaine de pays dans le monde qui peuvent se féliciter de cette résistance. Par contre, je crois que dans l’histoire de cette résistance, il faut inclure les Marocains, et pas seulement le pouvoir.
Le Boualem a également tenu à rappeler la dimension humaine de grandes figures historiques, qui ont souvent tendance à être sacralisées. Pourquoi ?
Il était important de les humaniser. On ne peut pas s’attacher à un personnage sans défauts, traumatismes et limites. Je ne pense pas qu’on ait eu d’humain parfait, ni à la tête de l’état, ni à un autre niveau.
Par contre, on a les actions de ces personnages historiques, parfois même des bouts de leurs écrits, et il y a de l’extraordinaire qui en ressort. Il faut faire un certain effort visuel pour imaginer un type comme Youssef Ibn Tachfine, qui part du fond de la Mauritanie actuelle et qui charge des chameaux sur des bateaux pour aller se cogner avec Alphonse VI. Les destins de ces gens sont hors du commun !
Je me suis amusé à faire une carte avec les dates et endroits où allait Moulay Ismaïl : il parcourait des distances de 30 kilomètres par jour, à pied. C’est énorme ! C’est dans leur dimension humaine que je retiens ce qu’ils ont fait.
Zakaria Boualem, prototype du Marocain lambda, dit qu’il aimerait être inclus dans cette histoire. Dans quelle mesure les Marocains en sont-ils exclus aujourd’hui ?
Il fut un temps où l’histoire du Maroc, c’était l’histoire des sultans du Maroc. N’étant pas sultans, nous n’étions pas concernés. C’est injuste. Il y a des artisans, des artistes, des militaires, des paysans… On ne peut pas raconter une histoire sans parler des gens qui l’ont faite et qui ont contribué à sa construction.
Que découvre Zakaria sur lui-même en découvrant l’histoire du Maroc ?
“A l’école, on a expliqué à Zakaria Boualem qu’il était arabe, et il découvre que c’est un peu plus compliqué que ça. C’est bouleversant !”
Il découvre qu’on s’est un peu foutu de lui (rires). A l’école, on lui a expliqué qu’il était arabe, et il découvre que c’est un peu plus compliqué que ça. C’est bouleversant ! On s’acharne à expliquer que les Marocains sont soit des Berbères, des Arabes ou des Andalous…
Je crois que le Marocain existe depuis suffisamment longtemps pour être une marque en soi. Il réalise aussi à quel point la colonisation lui a fait mal à la tête. Elle a bien entendu causé des dégâts physiques, des fractures dans la société, mais elle lui a aussi injecté un ensemble d’idées bizarres dans la tête.
Comme l’idée selon laquelle nous sommes voués à être des réceptacles des appétits des autres qui viennent se servir chez nous. C’est une chose à laquelle on continue inconsciemment de croire.
Comment expliquez-vous l’énorme regain d’intérêt pour l’histoire du Maroc, auquel on assiste ces dernières années?
Je crois que c’est un peu comme un type qui fait une crise de la quarantaine et qui a besoin de connaître les détails de son arbre généalogique. Peut-être que notre horloge interne, en tant que population, en est arrivée là.
D’autre part, l’information et les archives sont devenues beaucoup plus accessibles. Ce qui est sûr, c’est que le Maroc a énormément à gagner à poser la profondeur de son histoire comme un signe d’importance géostratégique. Mais on ne peut pas juste le dire : il faut expliquer quand, comment, depuis quand… C’est aussi ça, l’histoire.
Quand il finit son aventure, Zakaria Boualem dit qu’il est apaisé. Pourquoi ?
Parce qu’il a eu des explications logiques à des événements qui semblaient incongrus. Toute la démarche de ce livre est celle d’une tentative de compréhension. Hormis l’apaisement, il a aussi été navré et peiné de voir tout ce qu’on a comme histoire qui n’est pas valorisée.
Alors que lorsqu’elle est bien racontée, elle est passionnante. D’autant que la transmission de cette histoire et de ce patrimoine est une urgence. De plus en plus, chaque Marocain vit sur son petit îlot. Il y a très peu de choses qui nous réunissent tous, sans exception. Je pense que l’histoire peut être ce lien.
Zakaria Boualem découvre l’histoire du Maroc, de Réda Allali, Ed. du Sirocco. Commandez ce livre au prix de 120 DH (+ frais d’envoi) sur qitab.ma ou par WhatsApp au 06 71 81 84 60
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