Aïcha Akalay : “Cette institution est l’alchimie, par chance et par choix, souvent heureuse, d’un collectif ”

Par Akalay Aïcha

Aïcha Akalay a été directrice de la publication de TelQuel de 2016 à 2019.

Tu es qui ? Par cette question est née la passion pour TelQuel. Il y a 20 ans, la lectrice à la sortie de l’adolescence y découvrait les premiers sujets sur sa langue injustement méprisée, sa culture bigarrée, son histoire complexe et souvent cachée.

Par procuration, on pouvait aisément s’imaginer titiller les puissants, revoir l’image de nos gouvernants non plus en totems écrasants, mais avec la saine illusion qu’ils pourraient presque être à hauteur d’homme.

Surtout, la découverte d’une communauté de destin, ces Marocaines et Marocains qui, sans âpreté, trouvent dans la langue – la leur ou celle du colon, c’est selon – une façon de dire qui est à soi. Une communauté enveloppante pour les personnages insatisfaits, voulant faire un pas de côté devant l’image lisse et donc erronée de leur pays, que ce dernier protégeait à toute force.

Après l’adolescence, et malgré une naïveté préservée, on comprend bien que la vérité ne se déclame pas par le “Maroc tel qu’il est”, et ne peut se résumer à un journal reflet de la réalité de son pays, mais qu’elle est à chercher dans ses hommes et ses femmes qui disaient le Maroc à leur image. Et ils l’ont fait avec tellement de courage et de talent que leurs plumes ont suscité des vocations.

TelQuel est donc devenu une institution. Avec résignation, et pour dire vrai, chaque égo doit reconnaître que cette institution n’a jamais été dirigée en reposant sur un homme ou une femme. Elle est l’alchimie, par chance et par choix, souvent heureuse, d’un collectif.

“TelQuel offre un poste d’observation unique du Maroc, des autres, tous les autres”

Aïcha Akalay

D’autres en retiennent des leçons de journalisme, une fierté à braver des tabous ou à bousculer l’ordre établi. Ici, on gardera ce théâtre de passions, d’amitiés, d’amour, de luttes et de combats, des aventures à la fois grisantes, enrichissantes et magnifiques, et absolument effrayantes et misérables.

Il est vrai que TelQuel offre un poste d’observation unique du Maroc, des autres, tous les autres. De nombreux ouvrages pourraient être écrits sur les différentes phases de ses 20 ans, sur les choix politiques d’une rédaction. Les positions, partis pris et luttes sincères. Les connivences voulues et les pressions subies.

Ce que l’on regrette et ce que l’on emporte en reliques du passé. Glorieux, comme dirait le Guercifi fidèle. Mais ce journal, j’aime le croire, offre, plus qu’un autre, un poste d’observation unique de soi. Face à deux fronts, la journaliste acculée à choisir son camp fait ce choix, résumé par l’un des esprits les plus fins croisés à TelQuel : être contre l’un, mais aussi contre l’autre. Être ni l’un ni l’autre. Être l’autre, être soi. Être dans la nuance et en avoir le courage.