D’où vous est venu le besoin de publier ce livre-témoignage ?
Il s’agit d’une expérience amère et difficile que j’ai vécue pendant dix ans dans le couloir de la mort, après ma condamnation à la peine capitale. Faire ce livre était une nécessité personnelle. Je considère que cette expérience doit être racontée, d’abord pour moi-même mais aussi pour mes enfants. Je voulais extérioriser cette souffrance intérieure et la partager avec le monde.
C’est un récit personnel, qui raconte mon vécu en toute spontanéité et sans langue de bois. Par ailleurs, ce livre couvre également une partie de l’histoire de notre pays, destinée à la génération actuelle et celles à venir.
J’explique ma position en faveur de l’abolition de la peine de mort, aussi bien dans le registre militant que dans le registre religieux. Souvent, pour défendre l’abolition, on parle de sentence irréversible, inhumaine, voire d’une forme de torture, etc. Mais, parfois, nos interlocuteurs ne sont pas réceptifs à ce genre d’arguments.
Comment le témoignage contribue-t-il au débat pour l’abolition ?
Au Maroc, nous avons franchi de grands et courageux pas vers l’abolition de la peine de mort. En témoigne l’article 20 de la Constitution qui considère, pour la première fois, le droit à la vie comme le droit premier de tout être humain. Cependant, il nous reste encore un pas à franchir, et mon livre-témoignage est une contribution qui va dans ce sens.
Certes, j’ai effectué des tournées nationales et internationales pour sensibiliser contre la peine de mort et en faveur de son abolition, mais le témoignage d’un ancien condamné à mort reste le plus convaincant et le plus impactant pour le récepteur.
Mon livre contribue, à sa manière, aux efforts de lobbying qui permettront au Maroc de franchir ce pas. Les organisations de défense des droits de l’homme au Maroc disposaient de plusieurs études et analyses autour de la peine capitale, elles ont désormais entre les mains un livre-témoignage d’un ancien condamné à mort. Certaines figures militantes pour l’abolition de la peine de mort m’ont même reproché d’avoir tardé de le publier.
En tant qu’ancien condamné à mort, comment vivez-vous la réception d’arguments pour le maintien de la peine capitale ?
“Llémotion, basée sur des souffrances, ne peut pas donner de jugements justes”
J’avais une autre position sur la peine de mort, mais quand j’ai vécu dans le couloir de la mort, j’ai changé d’avis. Les politiques en faveur du maintien de la peine de mort recourent malheureusement au référendum populaire. Or, celui-ci n’a jamais été demandé dans l’histoire pour trancher des questions comme la peine de mort.
Prenons l’exemple de la France : l’abolition était inscrite dans le programme présenté par le Parti socialiste et son candidat François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981. Quatre mois après son élection, l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi présenté par le garde des Sceaux, Robert Badinter.
La loi sera promulguée par François Mitterrand le 9 octobre et publiée le lendemain au Journal officiel, alors que le peuple français n’était pas, pour la majorité, en faveur de l’abolition de la peine de mort. Ce que je veux dire par là, c’est que l’émotion, basée sur des souffrances, ne peut pas donner de jugements justes.