Campagne électorale sur Facebook : quel parti dépense le plus ?

Des données mises à disposition par Facebook permettent de savoir quel parti politique investit dans la mise en avant de ses publications, et surtout d’avoir le montant dépensé à cette fin. 
À une semaine du scrutin, et loin devant les autres partis, le RNI aurait dépensé près de 200.000 dollars depuis mars 2021. Une somme importante qui interroge, notamment en comparaison avec les autres partis dont les montants investis ne dépassent pas les 1000 dollars. Éclaircissements.

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En ce qui concerne les stratégies de campagne sur les réseaux sociaux, on voit bien que des choix ont été opérés”, affirme d’emblée David Goeury, géographe au laboratoire Médiations de Sorbonne Université et chercheur-associé pour l’association Tafra au Maroc.

C’est que la crise sanitaire, en cette année électorale, a changé la manière dont les partis communiquent. Ces derniers ayant dû s’adapter à la distanciation sociale – donc à l’interdiction des meetings de campagne et autres événements -, ils se sont tournés vers les réseaux sociaux, essentiellement Facebook, l’un des plus utilisés par les Marocains, pour conquérir de nouveaux électeurs.

Le phénomène n’est pas nouveau, et le géant des réseaux sociaux a retenu la leçon depuis 2016 et le flot de critiques qui ont suivi les élections présidentielles américaines. L’entreprise se veut depuis exemplaire et a mis en place, en mai 2018, une “bibliothèque publicitaire”  qui propose l’accès à l’intégralité des “publicités actuellement diffusées sur les produits Facebook, y compris Instagram”, dont celles liées à la politique ou aux débats d’intérêt général.

Cette bibliothèque permet de consulter des publicités que l’on ne voit pas depuis son propre compte s’il n’est pas ciblé, mais elle permet également de voir les montants investis dans ces publicités et mises en avant de publications. Et les chiffres sont parfois énormes.

 

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Le RNI a en effet investi 201.031 dollars (2 millions de dirhams) depuis mars 2021 dans la mise en avant de ses publications sur Facebook. L’Istiqlal arrive en deuxième position avec près de 19.800 dollars (200.000 dirhams). En comparaison, le PAM a dépensé 630 dollars (6300 dirhams) et le PJD 285 dollars (2850 dirhams). Un écart qui interroge.

L’offensive digitale du RNI

Pour David Goeury, cet investissement massif est logique dans la stratégie du parti de Aziz Akhannouch : “Le RNI a fait ce choix de mise en avant massive de contenu pour cibler un électorat urbain qu’il n’arrivait pas à toucher dans sa campagne.

Le RNI a effectivement développé une campagne “de réseaux” dans le cadre des élections professionnelles en mobilisant des réseaux de militants “via les chambres professionnelles”, dans le monde agricole ou à travers des réseaux entrepreneuriaux, en étant toujours très actif, avec de bons résultats, devançant ses concurrents sur ce terrain.

En ce qui concerne l’électorat de salariés, jeunes et urbains, le bilan est en revanche en demi-teinte, comme l’explique le chercheur : “Il faut bien noter qu’aujourd’hui, il est difficile de mener une campagne telle qu’elle était envisagée au préalable, avec dans chaque ville des meetings de plus en plus importants, alors qu’on a les restrictions Covid. C’est pour cette raison que le RNI s’est tourné vers les réseaux sociaux en ce qui concerne cette catégorie d’électeurs.

Et de poursuivre : “On voit bien qu’à partir de mars, la stratégie était de cibler la mise en avant de contenu prioritairement destiné à une jeunesse urbaine. C’est pour cela qu’il y a un travail très important de la cellule de communication du RNI pour la construction de petites vidéos promotionnelles, de mise en avant du programme, de la personne d’Akhannouch et ensuite des candidats.

Une offensive qui pourrait pourtant être à double tranchant d’après David Goeury : “L’effet de mise en avant peut parfois avoir des effets démobilisateurs, c’est-à-dire que pour une action que vous mettez en avant, vous pouvez vous retrouver avec une situation de forte contestation de ce que vous avez fait et soulever non plus un désir de participation, mais plutôt une aversion”.

Partis de militants

Un risque que les autres partis n’ont pas souhaité prendre ? Pas forcément. “Ils n’ont pas autant investi parce que ce sont des partis de militants”, explique le chercheur. Et de prendre l’exemple du PJD : “Les réseaux sociaux du parti sont principalement utilisés par ses militants, très nombreux, pour organiser un ensemble de débats virtuels. Le PJD n’utilise pas du tout Facebook de la même manière que le RNI, par exemple.

“Le PJD est très fort sur les réseaux sociaux, avec un noyau dur très actif, et n’a donc pas besoin d’y perdre de l’argent”

Marouane Harmach, spécialiste en communication digitale

Une analyse confirmée par Marouane Harmach, spécialiste en communication digitale et réseaux sociaux : “Le PJD dispose de moyens beaucoup plus importants, mais n’a pas investi puisqu’il a un reach organique (capacité d’un contenu publié par une page à atteindre un public naturellement, ndlr) important. Le parti est présent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années et a des communautés acquises à sa cause, qui partagent les publications, les commentent, etc.

Inutile, donc, de pousser les publications puisque les militants le font déjà. Le spécialiste insiste : “Le PJD est très fort sur les réseaux sociaux, avec un noyau dur très actif, et n’a donc pas besoin d’y perdre de l’argent.

De son côté, l’Istiqlal, qui se démarque par la somme investie (près de 19.800 dollars) a lui aussi adopté une stratégie ciblée autour de ses militants. “L’Istiqlal n’a pas du tout eu la même stratégie de mise en avant de contenu. Les premières analyses montrent que c’était du micro-ciblage qui s’inscrivait dans un moment très particulier, celui de la tension avec Hamid Chabat à Fès”, explique David Goeury.

À ce moment-là, le ciblage de l’Istiqlal visait surtout à s’adresser à ses militants pour bien expliquer les positions du parti vis-à-vis de Chabat, tourner la page et éviter que cela mène à des effets trop désastreux”, poursuit le géographe.

Hamid Chabat pendant sa campagne électorale à la médina de Fès, en 2016.Crédit: DR

Des logiques différentes, donc, qui n’aboutissent pas toujours à des résultats concrets lors du scrutin. Les deux experts sont formels, les réseaux sociaux ne remplacent pas le terrain. Pour Marouane Harmach, c’est certes un “signal positif”, une “prise de conscience du rôle des réseaux sociaux dans l’opération électorale et dans la communication politique”, mais “l’enjeu électoral au Maroc se passe autrement”.

“Les réseaux sociaux peuvent permettre une certaine mobilisation sur des cibles urbaines, mais le terrain reste primordial, notamment en milieu rural”

David Goeury, chercheur associé à Tafra

Un point de vue partagé par David Goeury : “Les réseaux sociaux peuvent permettre une certaine mobilisation sur des cibles urbaines, mais le terrain reste primordial, notamment en milieu rural. Et les gens qui votent le plus, qui sont les plus mobilisés, ce sont les ruraux.” Un impact modéré, donc, malgré certaines sommes colossales investies.