Quelle menace représente le groupe État islamique en Afghanistan ?

Le groupe jihadiste État islamique (EI), considéré par les Américains comme une menace à l’encontre des milliers d’Afghans qui attendent toujours impatiemment à l’aéroport de Kaboul de fuir vers l’Occident, entretient une haine tenace à l’encontre des talibans, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.

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Sur cette photo prise le 17 novembre 2019, des membres du groupe État islamique (EI) se tiennent aux côtés de leurs armes, après leur reddition au gouvernement afghan à Jalalabad, capitale de la province de Nangarhar. Crédit: Noorullah Shirzada / AFP

Le président américain, Joe Biden, a défendu mardi sa décision de maintenir au 31 août la date limite pour le départ des forces étrangères d’Afghanistan et la fin des évacuations, évoquant un “risque grave et croissant d’attaque” de l’EI à l’aéroport. Londres a de son côté évoqué jeudi matin une menace terroriste “très sérieuse” et “imminente” contre l’aéroport.

Peu après la proclamation par l’EI d’un “califat” en Irak et en Syrie en 2014, d’anciens membres du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, les talibans pakistanais) ont proclamé leur allégeance au chef du groupe, Abou Bakr al-Baghdadi.

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Ils ont ensuite été rejoints par des Afghans déçus par les talibans et ayant fait défection et, début 2015, l’EI a officiellement reconnu la création de sa province (wilaya) du Khorasan. Le Khorasan est l’ancien nom donné à une région qui englobait des parties de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran et de l’Asie centrale actuels.

Partout ailleurs, le groupe s’est heurté aux talibans, même s’il a réussi à former des cellules dormantes autre part en Afghanistan

L’ISKP (État islamique Province du Khorasan) a établi sa tête de pont en 2015 dans le district montagneux d’Achin, dans la province orientale de Nangarhar, la seule où il parviendra à s’implanter durablement avec celle voisine de Kunar.

Partout ailleurs, le groupe s’est heurté aux talibans, même s’il a réussi à former des cellules dormantes autre part en Afghanistan, notamment dans la capitale, et au Pakistan, selon les Nations unies. Les dernières évaluations de ses effectifs varient d’un minimum de 500 à quelques milliers de combattants, d’après un rapport du Conseil de sécurité de l’ONU paru en juillet.

Attaques meurtrières

L’ISKP a revendiqué certaines des attaques les plus meurtrières commises ces dernières années en Afghanistan et au Pakistan. Il a massacré des civils dans des mosquées, des hôpitaux et dans d’autres lieux publics. Le groupe, sunnite extrémiste, a surtout ciblé des musulmans qu’il considère comme hérétiques, en particulier les chiites.

En août 2019, il a revendiqué un attentat contre des chiites à un mariage à Kaboul, dans lequel 91 personnes ont été tuées. Il a aussi été fortement soupçonné d’avoir été derrière une attaque en mai 2020 contre une maternité d’un quartier majoritairement chiite de la capitale qui a coûté la vie à 25 personnes, dont 16 mères et des nouveau-nés.

Signe de la forte inimitié qui les oppose, l’EI a qualifié les talibans d’apostats dans des communiqués

Dans les provinces où il s’est implanté, sa présence a laissé des traces profondes. Ses hommes ont tué par balle, décapité, torturé et terrorisé des villageois et laissé des mines partout.

Même s’il s’agit de deux groupes sunnites radicaux, ils ont des divergences en termes de théologie ainsi que de stratégie et sont en concurrence pour incarner le jihad. Signe de la forte inimitié qui les oppose, l’EI a qualifié les talibans d’apostats dans des communiqués.

Répression des talibans

L’ISKP s’est heurté à la répression à laquelle ont procédé les talibans à l’égard de leurs dissidents et s’est révélé incapable d’étendre son territoire, contrairement à ce qu’avait réussi à faire l’EI en Irak et en Syrie.

En 2019, l’armée gouvernementale afghane, après des opérations communes avec les États-Unis, avait annoncé qu’il avait été vaincu dans la province de Nangarhar. Selon des évaluations des États-Unis et des Nations unies, l’ISKP n’a depuis plus largement opéré qu’au travers de ses cellules dormantes dans les villes, pour des attaques fortement médiatisées.

L’EI s’était montré très critique à l’égard de l’accord de retrait des troupes américaines et étrangères d’Afghanistan conclu en février 2020 à Doha entre Washington et les talibans, accusant ceux-ci d’avoir renié la cause jihadiste. Après leur entrée dans Kaboul et leur prise du pouvoir le 15 août, les talibans ont reçu les félicitations de plusieurs groupes jihadistes, mais pas de l’État islamique.

Une brèche pour l’EI ?

Mais l’EI pourrait profiter de l’effondrement de l’État afghan. “Mr. Q”, un spécialiste occidental de ce groupe qui publie sous ce pseudonyme ses recherches sur Twitter, a ainsi relevé 216 attaques de l’ISKP entre le 1er janvier et le 11 août, contre 34 l’an passé sur la même période.

“La victoire des talibans donne aussi de l’air à l’ISKP”

Mr. Q, spécialiste de l’EI en Afghanistan

“Cela fait de l’Afghanistan une des provinces de l’EI les plus dynamiques”, a-t-il déclaré la semaine dernière à l’AFP. “Tout n’est pas directement lié au retrait américain, mais la victoire des talibans donne aussi de l’air à l’ISKP”.

“L’effondrement de l’armée afghane est une étrange réminiscence de ce que nous avons vu en Irak en 2011. Je crains que la même situation ne se reproduise en Afghanistan, avec simultanément le développement de l’EI et la résurrection d’Al-Qaïda”, a approuvé Colin Clarke, le directeur de recherche du Soufan Center, un groupe de réflexion new-yorkais sur la géopolitique.

Les responsables américains disent que l’aéroport sécurisé par leurs soldats et où sont massés des milliers d’Afghans voulant quitter leur pays est sous la menace directe de l’ISKP. Les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni ont appelé dans la nuit de mercredi à jeudi leurs ressortissants à s’en éloigner au plus vite, en raison de menaces “terroristes”.

Ces derniers jours, des avions de transport militaires ont quitté Kaboul en lâchant des leurres, notamment destinés à détourner des missiles.