TelQuel : Comment est venue l’idée de lancer NoVA ?
Karen Smith : NoVA n’était pas la première initiative de l’Université Al Akhawayn (AUI) pour lutter contre la violence sexuelle et le harcèlement sexuel. En 2000, AUI est devenue, à ma connaissance, la première université au Maroc à adopter une politique officielle de “zéro tolérance”, en créant la “No Violence Task Force” après un acte de violence sexuelle dans la ville d’Ifrane qui touchait un membre de l’université.
Cette “force opérationnelle” avait pour mission pendant plus de dix ans de sensibiliser la communauté universitaire au problème (global et local), d’accompagner les victimes moralement, psychologiquement et administrativement, et de favoriser le développement de procédures investigatrices et disciplinaires pour assurer leur sécurité. Des professeurs et employés de l’université travaillaient bénévolement en coopération avec l’administration pour réaliser ces objectifs.
En 2014, NoVA (“No Violence Alliance”) voit le jour pour mieux structurer et implémenter les efforts de l’université dans ce sens, en mettant l’accent sur les formations/trainings (pour les étudiants et professeurs), en lançant une hotline 24/7 consacrée à l’écoute des victimes, et en formalisant les procédures. Une structure jumelle, le “Sexual Harassment Adjudication Council” (SHAC), se chargeait de l’investigation et de l’adjudication des cas pour que NoVA se consacre plutôt à l’accompagnement, la sensibilisation et la formation.
Comment étaient gérées les plaintes en interne ?
Quand un membre de NoVA recevait une plainte, il écoutait le plaignant, remplissait une fiche pour créer un dossier, lui expliquait les démarches possibles et le mettait en contact avec les médecins/psychologues de l’université si besoin. NoVA respectait toujours les désirs et la confidentialité des plaignants : nous n’avons jamais poursuivi une action disciplinaire sans leur permission, et les membres de NoVA n’étaient jamais au courant des plaintes présentées aux autres membres, seule la coordinatrice avait accès à tous les dossiers. Mais si le plaignant avait le désir de poursuivre une action disciplinaire, nous l’accompagnions. Le dossier passait alors au SHAC.
La très grande majorité des faits de harcèlement et de violence avaient lieu à l’extérieur de l’université, en ville. Si le plaignant désirait porter plainte à la police ainsi qu’à l’université, NoVA l’accompagnait pour le faire. C’était très rare.
Pourquoi avoir arrêté ce programme en 2020 ?
Ce sont les membres de NoVA eux-mêmes qui ont pris la décision de suspendre l’activité en juillet 2020, ressentant la nécessité d’un changement de structure et de procédures. Cette décision a été suivie d’un travail et discussions entre l’administration, les anciens membres de NoVA et du SHAC, les psychologues et les leaders du Student Government.
“Si nous avons bien accueilli l’opportunité de mener un audit dans ce domaine, et si les quelques cas qui ont existé sont connus, c’est parce que nous n’essayons pas de les cacher”
Ce processus a culminé en un projet de poste et de structures accompagnantes (conformes aux standards internationaux) qui a été soumis à l’administration, qui l’a accueilli avec enthousiasme. Toutes ces actions ont été entreprises avant l’audit du projet avec l’ambassade américaine (audit qui évoque des cas de harcèlement et violence sexuels à AUI, ndlr), qui effectue un tour complet de la question ; les quelques cas auxquels il a pu faire référence sont historiques.
Ça me fait mal, moi qui participe depuis 21 ans aux efforts d’AUI pour lutter contre le harcèlement et la violence sexuels, de voir la réputation de l’université mise en cause sur cette question. Si nous avons bien accueilli l’opportunité de mener un audit dans ce domaine, et si les quelques cas qui ont existé sont connus, c’est parce que nous n’essayons pas de les cacher ni de prétendre que ça n’existe pas, ce qui est trop souvent la réaction de beaucoup d’institutions à travers le monde.
“J’espère que cette expérience et cette initiative de l’Université Al Akhawayn en inspireront d’autres partout au Maroc”
Au contraire, nous faisons face à ce phénomène de société difficile depuis longtemps, nous en avons parlé ouvertement aux auditeurs américains, et nous cherchons toujours à améliorer nos capacités de réponse et de soutien. En fait, les recommandations des auditeurs correspondent aux initiatives déjà prévues en interne depuis 2020.
Quel bilan faites-vous de cette initiative pionnière ?
Je suis très fière de tout ce que nous avons réalisé depuis 2000, et je crois que l’identification des opportunités et besoins d’amélioration et la volonté de restructuration sont des points forts à l’Université Al Akhawayn ; nous savons que cette question de société est un marathon et non un sprint. Nous nous engageons à courir jusqu’au bout. NoVA 3.0 arrive, et j’espère que cette expérience et cette initiative de l’Université Al Akhawayn en inspireront d’autres partout au Maroc.