La “vague migratoire” qui s’est abattue sur Sebta mi-mai et où près de 8000 candidats à l’exil, majoritairement Marocains, ont traversé les frontières, semble avoir poussé le gouvernement espagnol à la réaction. Au cœur du bras de fer diplomatique que se livrent les voisins du Détroit, le sujet des deux présides et les tensions y afférant occupent les préoccupations du gouvernement de Pedro Sanchez.
Madrid s’apprête à accélérer sur la situation des deux territoires avec un rapport à l’étude dans le but de lutter contre “l’asphyxie économique” des deux cités. L’information a été révélée ce dimanche 27 juin par le quotidien espagnol El País, qui a eu accès au document.
D’après le quotidien, considéré comme le plus lu en Espagne, le rapport met “clairement en garde contre la détérioration rapide de la situation sociale dans les deux villes”. Une “première”, note le titre. Et d’ajouter : “Parallèlement à la ‘déconnexion économique’ avec la zone frontalière marocaine, que l’Espagne attribue à ‘un objectif national constant et inaliénable’ de Rabat d’annexer Ceuta et Melilla, l’exécutif met en garde contre le ‘changement démographique’ dû aux flux migratoires et à la population croissante d’origine marocaine résidant dans les deux villes de manière irrégulière.”
Renforcement légal, économique et sécuritaire
Commandé par le gouvernement, ce plan de sauvetage en cours d’élaboration, d’après El País, constituerait une feuille de route comportant “une demi-douzaine de mesures”, à court et moyen terme. Madrid étudierait ainsi une réforme du régime économique et social des deux présides, ainsi que leur inclusion dans l’union douanière européenne. Une piste qui a fait son chemin ces derniers jours pour ces territoires qui bénéficiaient jusque-là d’un statut spécial auprès des instances européennes, depuis l’adhésion de l’Espagne, en 1986, à la Communauté économique européenne (CEE).
Un changement de position qui, s’il est lancé, reviendrait à demander un visa d’entrée aux Marocains résidants dans les villes voisines. D’autant que le projet s’accompagne d’un renforcement du sécuritaire. Le rapport étudie la possibilité de s’ouvrir aux agents de Frontex, l’Agence européenne des frontières.
Selon El País, le document cherche à maximiser les avantages fiscaux dans le but de “promouvoir de nouveaux secteurs d’activités”. Parmi eux, le tourisme, via notamment l’arrimage des bateaux de croisière ou encore “les jeux d’argent en ligne”. La modernisation de l’activité portuaire est également évoquée d’après le quotidien de centre-gauche. Le rapport envisage de “redynamiser” ce secteur, “qui a souffert dans le cas de Melilla en raison de la concurrence du port voisin de Nador.”
Administration sous-financée et davantage au service des étrangers ?
L’administration de ces territoires pourrait également être revue. Le rapport reconnaît que les services publics dans ces deux villes sont défaillants tant ils sont “sous-financés”, par rapport aux autonomies de la métropole et “insuffisant, compte-tenu du volume de population actuelle”. Un délaissement de Madrid qui conduirait, d’après le rapport, à un progressif “détachement (de la population locale, ndlr) vis-à-vis de l’État” ainsi qu’à une hausse du “sentiment xénophobe”.
Solidement ancré dans ces villes, le parti d’extrême droite espagnol Vox ne cesse de gagner en popularité. Aux législatives de novembre 2019, le parti dirigé par Santiago Abascal avait prôné l’instauration d’un mur de défense à Sebta ainsi qu’un renforcement de la “Guardia civil (gendarmerie) et d’une police disposant des moyens légaux et du matériel nécessaire pour défendre la frontière face aux avalanches d’Africains subsahariens”.
Dans le même contexte, le président de Vox Melilia, Jesús Delgado Aboy, propageait un discours aux relents anti-marocains et décrivait une ville devenant “plus marocaine et moins espagnole”. “Vox n’autorisera en aucun cas que les habitants de Melilia (…) aient peur de continuer à vivre dans le pays qui les a vus naître ou qu’ils quittent leurs terres au profit des Marocains”, estimait ce même élu.
Un sentiment que semble pointer le rapport à l’étude. Il y est mentionné l’accès à une offre de services publics déficitaire et, du goût des résidants de Sebta et Melilia, trop laissé à la disposition des étrangers, entraînant une “saturation”. “De nombreuses fraudes liées à la résidence effective” ont été constatées dans ce rapport, ce qui “accroîtrait les susceptibilités entre les communautés, contribuant à la polarisation et aux difficultés de coexistence”.
Grand remplacement ?
La polarisation serait également causée par des préoccupations d’ordre démographique. L’étude commandée par l’exécutif espagnol s’inquiète de “l’évolution démographique” dans les présides. D’après El País, celle-ci est confrontée à “un poids croissant de la population d’origine marocaine” entraînant un “fossé social grandissant”. D’autant qu’à cette augmentation de la population d’origine marocaine, le rapport semble mettre en avant une hausse de “l’influence politique et religieuse” du Maroc.
D’après El País, la conception de cette nouvelle feuille de route pour Sebta et Melilia est désormais entre les mains du ministère de la Politique territoriale, dirigé par le socialiste catalan Miquel Iceta. Ce dernier a nommé un haut fonctionnaire exclusivement dédié à la coordination des actions des différents départements des deux villes.