Histoire : quand l’axe Alger-Madrid dérangeait le Maroc

Entre le Maroc d’une part et le tandem hispano-algérien de l’autre, les tensions actuelles ne sont que le reflet de luttes historiques qui trouvent leurs fondements dans l’héritage colonial. Partenaires de circonstance, aux visées concordantes, l’alliance ambitionne alors de mettre en place un État tampon.

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Lorsque le Maroc obtient son indépendance, le roi Mohammed V se trouve face à une situation délicate. Le Maroc est en capacité de négocier le tracé de ses frontières à l’est, avec l’ancien colonisateur français alors embourbé dans un conflit armé avec le Front de libération nationale algérien (FLN). Une situation avantageuse pour le royaume qui peut entamer sa (re)construction nationale du bon pied.

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S’il ne peut pas prétendre à intégrer Béchar dans son territoire, en raison des installations militaires que la ville abrite, le Maroc a néanmoins la possibilité d’intégrer une partie de l’Est algérien. Le rattachement de Tindouf, où vivent encore des représentants du sultan, ainsi que du Sahara encore sous contrôle espagnol est envisageable.

D’autant que la France ambitionnait alors d’intégrer le Maroc au sein d’une collectivité territoriale, l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS), à travers laquelle elle gérerait les ressources minières du Sahara.

Mais pour le régime de l’époque, une telle éventualité est inenvisageable. Les discussions avec la France signifieraient une reconnaissance de la souveraineté française sur l’Algérie, mais surtout une trahison envers ses “camarades” algériens du FLN auxquels le Maroc accorde un soutien logistique, financier et diplomatique. Pour le royaume, il s’agit avant tout de bâtir une unité maghrébine qui s’affranchirait de l’héritage du colonialisme.

Il n’en sera rien. La faute à l’alliance inattendue de deux partenaires. D’un côté une Algérie soucieuse d’établir une hégémonie régionale. De l’autre, une Espagne nostalgique de son empire colonial, ayant à cœur d’isoler son ennemi de toujours. Récit d’un projet de construction national mis en échec par l’axe Madrid-Alger, que le Maroc craint de voir ressusciter aujourd’hui.

Histoire : quand l’axe Alger-Madrid dérangeait le Maroc

Cerné

En avril 1956, le Maroc et l’Espagne scellent la Déclaration commune hispano-marocaine à travers laquelle Madrid accepte le transfert de l’administration de la zone sud du protectorat espagnol au Maroc. Mais l’Espagne fait traîner les choses. Le Royaume ne peut pas compter sur le soutien de la France, l’autre puissance coloniale, avec laquelle il est en bisbille, sur fond de révolution algérienne. Les ex-colons européens s’allient même en 1958, le temps de l’opération “Ecouvillion”, pour réprimer l’Armée de libération marocaine qui tente de reprendre les provinces du Sud.

La même année, l’Espagne revient sur le deal scellé avec le Maroc. Pour le régime franquiste, les frontières du royaume ne s’arrêtent plus au Sahara, mais au niveau de la ville de Tarfaya. Le Maroc est pris en tenaille par les deux anciennes puissances coloniales. La Mauritanie, que le royaume considère comme partie intégrante de son territoire, se voit accorder son indépendance par la France.

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En attendant la fin de la guerre d’Algérie, le royaume dirigé par le roi Hassan II entame les discussions avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) sur le tracé des frontières

Le Sud marocain, et ses ressources minières, est sous la coupe du duo franco-espagnol. Au nord, l’Espagne occupe toujours Sebta et Melilia. A l’Est, le Maroc doit encore attendre la conclusion des hostilités entre la France et le FLN. En attendant la fin de la guerre d’Algérie, le royaume dirigé par le roi Hassan II entame les discussions avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) sur le tracé des frontières.

Un accord secret est scellé en juillet 1961. Le Maroc déclare soutenir les revendications des nationalistes algériens sur le Sahara (algérien) tandis que le GPRA acceptait que tout accord scellé en vue d’une indépendance algérienne n’affecterait pas l’intégrité territoriale marocaine.

Guerre fratricide

Le Maroc finit par rapidement déchanter. En 1962, les accords d’Evian sont concrétisés et le royaume, qui s’attendait à prendre part aux discussions franco-algériennes, n’y est pas convié. Les accords franco-algériens maintiennent une Algérie bien française territorialement, démographiquement et stratégiquement.

Les “martyrs” du FLN ne veulent plus céder une once du territoire pour lequel ils ont versé leur sang. Le Maroc se sent trahi

Comme pour signifier une interdiction d’entrer au Maroc, des troupes françaises sont stationnées dans l’Ouest algérien. Dans le même temps, une clause secrète de l’accord d’Evian permet à la France de maintenir une présence militaire dans le Sahara algérien où elle effectue ses premiers essais nucléaires. En Algérie, le président Ferhat Abbas, signataire de l’accord secret avec le Maroc, est évincé du pouvoir par Ahmed Ben Bella et l’armée de libération algérienne.

La position algérienne quant au bon voisinage change du tout au tout. Les “martyrs” du FLN ne veulent plus céder une once du territoire pour lequel ils ont versé leur sang. Le Maroc se sent trahi.

Inimaginable quelques années plus tôt, le conflit entre les deux voisins devient désormais inévitable. A l’automne 1963, le Maroc et l’Algérie sont officiellement en guerre. Le Maroc occupe Tindouf, tandis que les troupes algériennes encerclent Figuig. Début 1964, c’est le statu quo. Un accord de cessez-le-feu est scellé entre les deux pays sous les auspices de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).

En février 1964, le Maroc et l’Algérie signent un accord de cessez-le-feu sous 
les auspices de l’Organisation de l’Unité africaine.Crédit: AFP

Ces tensions profitent à l’Espagne qui continue de se faire une place dans le Sud marocain. Car Madrid ne souhaite pas se priver de l’exploitation des mines de phosphates de Boucraâ. Les négociations se poursuivent néanmoins avec la partie marocaine au début des années 1960. Un deal est même proposé par Madrid à Rabat. Le Sahara sera marocain si le royaume accepte de renoncer à ses prétentions sur Sebta et Melilia. Le Maroc s’y oppose et l’Espagne fait monter la pression.

En 1965, Madrid entame un rapprochement politique et économique avec l’Algérie, mais aussi la Mauritanie, dont l’indépendance n’a toujours pas été reconnue par le Maroc. Pour Rabat, la situation est critique. Le Maroc a tardé à reconnaître l’indépendance de la Mauritanie.

L’Espagne a noué des relations avec deux de ses voisins qui font part de leur intérêt pour le Sahara, tout en bénéficiant de soutiens internationaux pour exploiter le phosphate de la région. Madrid n’envisage même plus de céder le Sahara. Au cœur des années 1960, le Sahara est de moins en moins une question marocaine et semble se muer en question internationale.

Problème international

Le Maroc contribue à cette internationalisation de la question du Sahara en inscrivant le “Sahara occidental” sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU

D’autant qu’en parallèle, le Maroc contribue à cette internationalisation de la question du Sahara en inscrivant le “Sahara occidental” sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU. L’idée de Rabat est de pousser l’Espagne à entamer des négociations bilatérales pour la rétrocession du Sahara.

L’effet est tout autre. Car la majorité des membres africains de l’ONU considéraient alors la décolonisation comme le résultat d’un référendum d’autodétermination. Un processus qui aboutit généralement à la naissance d’un nouvel Etat. Dans le cas du Sahara, cette éventualité était encouragée à la fois par l’Algérie et l’Espagne.

Les intérêts d’Alger et de Madrid sont alignés. L’Espagne de Franco a besoin du pétrole et du gaz algérien. Mais aussi du soutien des pays non alignés dans le cadre de son conflit territorial avec le Royaume-Uni concernant Gibraltar. L’Algérie, elle, a besoin d’une fenêtre sur l’Atlantique. Les intérêts d’Alger s’alignent également sur ceux de Nouakchott. Les deux voisins ambitionnent alors de mettre en place un État tampon qui les protégeraient de l’“expansionnisme” marocain.

Le Maroc tente alors un rapprochement avec l’Algérie et la Mauritanie, dont il reconnait finalement l’indépendance, en 1969. La même année est marquée par l’accord d’Ifrane. Le traité fait office de pacte de non-agression entre les deux pays et met fin aux prétentions marocaines sur le Sahara algérien.

L’année suivante, le rapprochement maroco-algérien se poursuit à Tlemcen. Lors d’une rencontre officieuse, Hassan II et le président algérien Houari Boumediene s’accordent au sujet du tracé des frontières communes. Les deux pays décident également de partager les bénéfices issus de la mine de fer de Gara Djebilet, à proximité de Tindouf. En vertu de l’accord scellé, le minerai sera transporté par voie ferrée de l’ouest algérien jusqu’à Tarfaya.

L’avenir s’annonce alors radieux. Lors de cette même année 1970, Houari Boumediene annonce que l’Algérie n’est pas concernée par la question du Sahara. Le propos est réitéré lors d’un sommet de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), lors duquel le président algérien invite le Maroc et la Mauritanie à reprendre le Sahara des mains de l’Espagne. Les contours d’une véritable union maghrébine s’esquissent.

Guerre froide

Au début des années 1970, dans un contexte de Guerre froide, le système économique algérien prend une direction résolument socialiste. Dans le cadre d’une coordination économique maghrébine, l’Algérie estime que l’investissement dans le domaine de la transformation industrielle lui sera réservé, tandis que la production agricole serait laissée au Maroc et à la Tunisie.

En somme, Rabat et Tunis sont réduits à des rôles de sous-traitants d’Alger. Ce nouveau positionnement algérien peut être illustré par une discussion tenue entre Abdelhadi Boutaleb, alors ministre marocain des Affaires étrangères et son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika. Le diplomate marocain interroge alors le futur président algérien sur l’interprétation algérienne de l’accord de Tlemcen, en insistant sur le partage des bénéfices tirés de l’exploitation de la mine de Gara Djebilet.

Nous comprenons que nous nous sommes d’abord mis d’accord sur le fait que le territoire dans lequel se trouve la mine est un territoire algérien (…) et aussi que nous devons partager à parts égales ce qui reste après déduction des besoins propres de l’Algérie et de ses besoins pour l’exploitation et la commercialisation” déclare Abdelaziz Bouteflika à son homologue de l’époque. En résumé, l’accord scellé par les deux chefs d’Etat ne sera pas respecté.

Les relations entre les deux pays sont désormais tendues. Elles se crispent davantage durant l’année 1973 et connaissent de nouvelles tensions maroco-espagnoles sur fond de nationalisation des terres anciennement détenues par les colons espagnols. Un front anti-marocain se forme. En l’absence du Maroc, l’Algérie, le Mali et le Niger discutent de l’avenir du Sahara alors sous domination espagnole.

Madrid et Alger se dégotent un nouvel allié commun lorsqu’un mouvement local ayant toujours milité pour la souveraineté marocaine sur le Sahara prend ses quartiers à Alger en mars 1973

L’Espagne, elle, fait adopter par une Assemblée du Sahara, qu’elle a elle-même constituée, une déclaration d’autonomie interne. Elle est rejetée par le Maroc. L’Algérie accuse réception sans pour autant la commenter. Madrid et Alger se dégotent un nouvel allié commun lorsqu’un mouvement local ayant toujours milité pour la souveraineté marocaine sur le Sahara prend ses quartiers à Alger en mars 1973.

Deux mois plus tard, ce mouvement constitué d’étudiants sahraouis et d’anciens soldats de l’armée espagnole est officiellement créé. Le Polisario est né. La cassure est désormais évidente et l’Espagne reprend à son compte les thèses du mouvement séparatiste.

Madrid décide d’accélérer le processus de création d’un Etat autonome en formant un parti politique, le Parti de l’union nationale sahraouie. Madrid annonce ensuite l’organisation d’un référendum d’autodétermination pour le début de l’année 1975. L’Algérie garde officiellement le silence, mais laisse entendre qu’elle n’est pas opposée à l’indépendance du territoire. Face au défi espagnol, Hassan II prépare un plan.

La Marche verte

“Je vais organiser une grande marche pacifique populaire […] A l’annonce de la Marche, je compte sur vous pour frapper à toutes les portes pour la faire soutenir et accepter à l’opinion publique américaine”

Hassan II à Abdelhadi Boutaleb

Au début du mois d’octobre 1975, Hassan II place ses pions. Le souverain convoque ses plus proches conseillers et ses principaux ambassadeurs. “Je vais organiser une grande marche pacifique populaire à laquelle participeront des groupes représentant les différentes régions du royaume. Les marcheurs fouleront le sol du Sahara”, annonce le roi à Abdelhadi Boutaleb, qui occupe alors le poste d’ambassadeur du Maroc à Washington.

Pour son émissaire aux États-Unis, Hassan II a un plan clair. “A l’annonce de la Marche, je compte sur vous pour frapper à toutes les portes pour la faire soutenir et accepter à l’opinion publique américaine (…) je crains que les Américains ne penchent en faveur de l’Espagne”. Washington et Madrid entretiennent alors une relation de proximité grâce, notamment, à la présence de bases militaires américaines sur le sol espagnol.

Hassan II est soucieux de ne pas ouvrir de nouvelles hostilités avec l’Espagne et veut rassurer ses alliés occidentaux. “Lors de vos entretiens avec les responsables américains, tâchez de leur donner toutes les garanties possibles sur notre intention de ne pas entrer en guerre avec l’Espagne, leur préciser que la Marche verte ne durera que quelques jours et que l’Espagne en tirera ses conclusions” ordonne le souverain à son émissaire auprès des États-Unis.

“Si des violences éclatent, nous ne vous garantissons rien. Nous vous laisserons face à face avec les Espagnols. Et les conseils que nous vous donnons, nous les donnons aussi à l’Espagne”

Un responsable américain à l’ambassadeur marocain, avant la Marche

Mais les États-Unis jouent la carte de la neutralité. “Si des violences éclatent, nous ne vous garantissons rien. Nous vous laisserons face à face avec les Espagnols. Et les conseils que nous vous donnons, nous les donnons aussi à l’Espagne” déclare un responsable américain à l’ambassadeur marocain.

Le 6 novembre 1975, ce sont officiellement 350.000 Marocains qui foulent le sol du Sahara pour cet événement qui marquera l’histoire du pays. Un peu plus d’une semaine plus tard, les accords de Madrid mettent fin à la présence espagnole au Sahara. Et contribueront à affaiblir l’axe Madrid-Alger qui s’était dressé jusque-là face à Rabat.

Bibliographie

Laroui, Abdallah. L’Algérie et le Sahara marocain. Centre culturel du livre (2021)

Laroui, Abdallah. 
Le Maroc et Hassan II, un témoignage. 
Presse Inter Universitaires-Centre culturel arabe (2005)

Boutaleb, Abdelhadi. Un demi-siècle dans les arcanes de la politique. Editions Az-Zaman (2002)

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