“Les musulmans face à leur Histoire”: le contexte historique face au fait religieux

Dans “Les musulmans face à leur Histoire”, Abdou Filali-Ansary, chercheur, philosophe et écrivain, a tenté la mission complexe de détacher le fait religieux de son contexte historique, mission assez délicate auprès de la communauté musulmane, qui croit d’abord à la “vérité absolue” transmise à travers les siècles.

Par

Y a-t-il une vérité en dehors de la “vérité absolue” ? Faut-il écouter les prêcheurs, qui diffusent un discours basé sur une vérité immuable, incontestable, issue de la Révélation, ou prêter l’oreille à ce que veulent bien nous rapporter “des historiens qui se proposent de reconstituer des moments du passé”, indépendamment des textes religieux ? Abdou Filali-Ansary part d’un constat bien précis : “La mémoire collective des musulmans n’est pas un bloc homogène” et “il existe des versions sunnites et d’autres chiites de la plupart des histoires du passé”.

Comment donc “opposer la mémoire historique des croyants à l’histoire à visée impartiale des historiens”, qui confectionnent leurs récits en fonction de faits historiques et pas forcément religieux ? L’auteur convoque de nombreux penseurs et chercheurs, anciens et contemporains, pour essayer de compiler une réponse rationnelle.

Mission délicate, car une conviction répandue parmi les musulmans conclut que “la version du prêcheur” est basée sur une vérité immuable qui veut que “les circonstances de la Révélation et de sa réception sont connues avec exactitude”. Cette vérité est transmise par les prêcheurs, considérés comme des savants porteurs d’un savoir “absolument vrai”. Alors que l’historien va essayer de comprendre l’avant et l’après, le théologien va s’arrêter à SA vérité à un moment donné, censée rester la même à travers les siècles.

«Les musulmans face à leur Histoire»

Abdou Filali-Ansary

98 DH

Ou

Livraison à domicile partout au Maroc

L’exclusion de l’autre

Abdou Filali-Ansary rapporte les propos de David Hume, philosophe écossais, qui a “soutenu que les religions monothéistes ont introduit l’idée de vérité absolue”, d’où une certaine propension au “fanatisme et à l’intolérance” à l’égard de ceux qui n’admettent pas cette vérité. Certains potentats du monde musulman ont donc confié cette vérité à des prêcheurs “en contrepartie d’une légitimation du pouvoir”, et sans aucune considération pour les versions des historiens. Mais “soustraire les interprétations au débat sur l’histoire des sociétés” a conduit à des dérives graves contre ceux “qui voient les choses autrement”.

Si l’islam est la “vérité absolue”, comment peut-on expliquer “pourquoi les musulmans ont pris du retard” par rapport aux autres peuples, comme se le demandait Chakib Arsalan, et avec lui l’auteur? La réponse la plus simple serait de conclure, comme certains clercs et intellectuels du monde musulman, que “c’est parce que les musulmans n’ont pas été à la hauteur des valeurs enseignées par leur religion”.

Une autre conception voudrait que ce retard ne peut être un fait religieux, et que seule l’histoire peut l’expliquer. Ainsi peut-on parler de l’islam en tant que religion, et de l’islam en tant qu’ensemble de faits historiques et civilisationnels des peuples musulmans. Et donc soumis à interprétation.

Le dogme ou la raison ?

Ainsi, à la mort du Prophète, “ses Compagnons (…) étaient conscients que leur mission était une manière de prolonger, mais non de reproduire, l’œuvre du Prophète”, c’est-à-dire la vérité absolue puisque conséquente à la Révélation, en s’appuyant sur “l’expérience historique des musulmans plutôt que sur des prescriptions découlant de leurs sources sacrées”. Mu’awiya a mis fin au règne de Ali en proposant aux sujets “une meilleure distribution des biens, un fonctionnement harmonieux des services, alors que Ali œuvrait à réaliser des actions héroïques et le contrôle de la vertu des fidèles”. Ou quand la raison triomphe du dogme.

Abdou Filali-Ansary, devant la difficulté de soumettre le principe de “vérité absolue” à l’analyse, propose que soit mis en place un enseignement qui évolue en dehors des “orthodoxies traditionnelles”, un enseignement qui “laisse à l’apprenant toute latitude pour exercer sa réflexion et pour définir son chemin lui-même, que ce soit en matière de foi religieuse ou en matière d’approche rationnelle”. Le but n’étant pas de contester la “vérité absolue”, mais de la placer dans son contexte historique.

«Les musulmans face à leur Histoire»

Abdou Filali-Ansary

98 DH

Ou

Livraison à domicile partout au Maroc

Titre : Les musulmans face à leur Histoire

Auteur : Abdou Filali-Ansary

Genre : Essai

Editeur : Éditions Le Fennec (2018)

Prix : 98 DH

à lire aussi