Pour l’Élysée, l’important est désormais de “sortir du non-dit et du déni” sur la guerre d’Algérie (1954-1962) qui continue de diviser des deux côtés de la Méditerranée. C’est “une démarche de reconnaissance” de la vérité mais “il n’est pas question de repentance” ni “de présenter des excuses”, a insisté l’Élysée, en s’appuyant sur le rapport qui cite en exemple le précédent des excuses présentées par le Japon à la Corée du Sud et à la Chine sur la Seconde Guerre mondiale qui n’ont pas permis de “réconcilier” ces pays.
Histoires intimement politiques
L’Algérie est présente dans les mémoires familiales de millions de personnes en France, rapatriés pieds-noirs, appelés du contingent qui ont fait la guerre (longtemps désignée par la seule expression d’“événements d’Algérie”), harkis et immigrés algériens. En Algérie, la mémoire de la guerre a cimenté le sentiment national après l’indépendance et fourni au pouvoir une légitimité sur laquelle il continue de s’appuyer 60 ans plus tard.
“Il y aura des mots” et “des actes” dans “les prochains mois”
Emmanuel Macron participera à trois journées de commémoration hautement symboliques des divisions mémorielles dans le cadre du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie en 1962 : la journée nationale des harkis le 25 septembre, la répression d’une manifestation d’Algériens le 17 octobre 1961 à Paris et les Accords d’Evian du 19 mars 1962 qui aboutirent au cessez-le-feu en Algérie, a précisé la présidence.
Il va par ailleurs étudier plusieurs propositions du rapport Stora, notamment la reconnaissance de l’assassinat par l’armée française de l’avocat et dirigeant nationaliste algérien Ali Boumendjel en 1957, et l’entrée de l’avocate anticolonialiste Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020, au Panthéon qui accueille les héros de l’Histoire de France.
Benjamin Stora, spécialiste reconnu de l’histoire contemporaine de l’Algérie, doit remettre formellement à 17 heures (16 heures GMT) au président le rapport dont ce dernier l’avait chargé en juillet. Ce document de quelque 150 pages, destiné à “dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie”, sera rendu public dans la foulée.
Un “décloisonnement des mémoires”
Premier président français né après cette guerre, Emmanuel Macron affiche sa volonté de dépassionner et débloquer ce dossier brûlant et tenter d’apaiser des relations bilatérales volatiles depuis des décennies entre les deux pays, intimement liés par l’Histoire, de la conquête et la colonisation de 1830 à la Guerre d’indépendance.
“(Ces actes) sont des choses très simples, très pratiques, très évidentes mais qui sont autant de contentieux, de problèmes très lourds entre la France et l’Algérie »
Il a fait couler beaucoup d’encre sur le sujet avant même d’être élu, en dénonçant en 2017 à Alger la colonisation comme “un crime contre l’humanité”, des propos vivement rejetés par les rapatriés et l’extrême-droite mais qu’il “ne regrette pas”, a souligné l’Élysée. Il s’agit de “regarder l’histoire en face” d’une “façon sereine et apaisée” afin de “construire une mémoire de l’intégration”, d’une “démarche de temps long” et pas forcément de gestes diplomatiques immédiats, a résumé l’Élysée. “Il y aura des mots” et “des actes” dans “les prochains mois”, a assuré la présidence, en précisant que s’ouvrait “une période de consultations”.
L’historien Benjamin Stora a expliqué à l’AFP avoir tenté d’œuvrer à un “décloisonnement des mémoires”, souvent multiples et conflictuelles entre rapatriés, soldats du contingent et indépendantistes algériens. Il a plaidé pour “des actes, c’est-à-dire ouvrir des archives, identifier des lieux, chercher des disparus, entretenir des cimetières”. “Ce sont des choses qui sont très simples, très pratiques, très évidentes mais qui sont autant de contentieux, de problèmes très lourds entre la France et l’Algérie« , a-t-il ajouté.
En Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a chargé le directeur des archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, de travailler sur la question mémorielle, de concert avec Benjamin Stora, dans une démarche commune et concertée des deux chefs d’État. Le président Tebboune a souhaité que MM. Stora et Chikhi accomplissent “leur travail dans la vérité, la sérénité et l’apaisement pour régler ces problèmes qui enveniment nos relations politiques, le climat des affaires et la bonne entente”.