Donald Trump banni des grands réseaux sociaux : et maintenant ?

À peine 24 heures après les événements du 6 janvier à Washington, alors même que Donald Trump venait de condamner les violences survenues au Capitole et de s’engager à assurer une transition sereine du pouvoir, plusieurs réseaux sociaux ont annoncé le bannissement de ses comptes.

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Donald Trump, en juin 2020. Crédit: Nicholas Kamm / AFP

Alors que 2021 démarrait à peine, les médias du monde entier ont assisté, sidérés, au saccage du Congrès américain par des partisans d’un Donald Trump arc-bouté sur son refus du résultat de l’élection présidentielle qui venait de donner la victoire à Joe Biden.

Dès le 3 novembre, Donald Trump évoque une fraude généralisée et concertée qui aurait été mise en œuvre afin de faire élire Biden et de spolier le peuple américain de son véritable vote. Bien que ces allégations n’aient pas résisté à leur examen par le pouvoir judiciaire et aux enquêtes diligentées dans plusieurs États, le président sortant s’obstine et appelle ses partisans à s’élever contre la certification du résultat de l’élection présidentielle prévue le 6 janvier.

Suite à la mise à sac du Capitole, les réactions ne se sont pas fait attendre : des membres de l’administration Trump ont démissionné de leurs fonctions et certains de soutiens se sont désolidarisés de lui. Et à peine 24 heures après le saccage, alors même que Donald Trump venait de condamner les violences survenues au Capitole et de s’engager à assurer une transition sereine du pouvoir, plusieurs réseaux sociaux ont annoncé le bannissement de ses comptes.

Un ban unanime des réseaux

Il n’aura fallu que 24 heures pour que les entreprises américaines gestionnaires de médias sociaux interdisent l’accès à leurs plateformes au président Trump.

La raison invoquée était que les propos qu’il avait proférés en ligne avaient incité la foule à recourir à la violence dont le monde a été témoin. Afin de prévenir de nouvelles violences, et estimant que certains tweets du président avaient participé au déclenchement des événements, Twitter a annoncé un ban à durée indéterminée.

Facebook, pourtant souvent non aligné avec Twitter en ce qui concerne les politiques de restriction et de contrôle de la parole des personnalités politiques, a suivi la même ligne, expliquant que, au vu de l’importance des risques induits par la diffusion des propos de Donald Trump, ses comptes Facebook et Instagram étaient suspendus pour une durée indéterminée et, a minima, pour les deux prochaines semaines.

Outre ces mastodontes, YouTube mais aussi Twitch et Snaptchat, qui regroupent d’autres profils d’abonnés, ont eux aussi annoncé des restrictions. YouTube a supprimé plusieurs vidéos publiées par Donald Trump et averti les utilisateurs que toute chaîne qui publierait de fausses allégations sur les élections américaines trois fois en 90 jours serait définitivement exclue de la plateforme. Pour sa part, Twitch a bloqué le compte du président jusqu’à la fin de son mandat et Snapchat a fait de même à partir du mercredi fatidique, ajoutant que la société suivrait de près la situation avant de réévaluer sa décision.

Les restrictions après la catastrophe

Si les restrictions apportées aux comptes de Donald Trump ont été assez rapides, certains regrettent néanmoins un manque de réactivité ou, plutôt, d’anticipation et de prévention. Un ancien investisseur de Twitter, John Sacca, a ainsi violemment apostrophé les dirigeants de Twitter et de Facebook, les accusant d’avoir du sang sur les mains pour avoir trop attendu avant de prendre des mesures à l’encontre du président américain.

Si les mots employés sont durs, ils n’en reflètent pas moins la pensée de plusieurs analystes qui craignaient que la récurrence des messages paroxystiques diffusés par Trump pendant ces quatre dernières années ne finisse par susciter de telles flambées de violence. Car on peut bien ici parler de répétitions. En effet, les tweets de Donald Trump ont plus d’une fois défrayé la chronique, qu’il s’agisse de retweets de propos anti-musulmans, de fake news sur divers sujets, ou même d’incitation à la haine.

Dans la même ligne, de nombreuses voix ont alerté sur l’incapacité des grandes plateformes à freiner la prolifération de mouvements complotistes, parmi lesquels QAnon, susceptibles de servir de caisse de résonance à certaines personnalités politiques. Ce groupe, devenu trop célèbre, a des racines dans 4chan, plus particulièrement la partie ayant migré vers 8chan, devenu 8kun.

De nombreuses voix ont alerté sur l’incapacité des grandes plateformes à freiner la prolifération de mouvements complotistes susceptibles de servir de caisse de résonance à certaines personnalités politiques

Pour mémoire, 4chan est un imageboard, c’est-à-dire une plateforme sur laquelle une image est quasi systématiquement associée à un commentaire. 4chan est un imageboard connu pour l’anonymat qui y règne et pour ses règles de modération pour le moins laxistes. C’est pourquoi de nombreux mouvements y sont nés, si on parle des Anonymous, mais ceux-ci sont loin d’être les seuls et d’autres sont particulièrement radicaux. Avec le temps, 4chan a donné naissance à d’autres “chan”, dont 8chan — “eight chan” à la prononciation proche de hate chan traduisible par “canal de la haine” —, créé en 2013 par Fredrick Brennan. Connu pour être particulièrement antisémite et antiféministe, 8chan a été impliqué dans la diffusion des images du massacre anti-musulman de Christchurch (Nouvelle-Zélande) en 2019.

Quant à QAnon, ce mouvement affirme qu’une cabale secrète contrôle le gouvernement et organise un trafic pédophile au niveau mondial, trafic et cabale que seul le président Trump tenterait d’arrêter. L’effet d’entraînement et les liens entre QAnon et la rhétorique trumpienne ressortent clairement de l’analyse des nombreuses discussions qui, sur cette plate-forme et d’autres qui lui sont sont liées, ont cherché à planifier l’invasion du Capitole depuis plusieurs semaines, ainsi que du nombre de T-shirts et chapeaux aux couleurs de QAnon arborés par des manifestants.

Des pro-Trump, dont des membres du groupe QAnon, au sein du Capitole, le 6 janvier à Washington.Crédit: Saul Loeb / AFP

Les théories de ce groupe, qui n’est pas un cas isolé, ont fait florès sur Facebook comme sur YouTube. Lorsque, en octobre dernier, la compagnie de Mark Zuckerberg a décidé de bannir les pages liées à ce mouvement, celles-ci représentaient quelque 3 millions d’abonnés et de membres. À cette même période, Facebook et YouTube ont procédé à une mise à jour de leur politique afin de cibler davantage de vidéos de théories du complot promouvant la violence dans le monde réel. Néanmoins, il n’y a pas eu d’interdiction systémique des contenus de QAnon, notamment au nom de la liberté d’expression.

S’agissant des interdictions et de la liberté d’expression, il est intéressant de constater que si les deux tweets de Trump à l’origine de son bannissement des plates-formes ne sont pas plus violents que d’autres précédemment mis en ligne, ils sont ceux dont les effets ont été le plus dramatiques au vu des conséquences du saccage du Capitole. Ainsi, un virage s’est opéré avec les derniers événements : si auparavant le discours de Trump était suspecté de pouvoir susciter la violence, il est cette fois apparu qu’il y avait effectivement contribué.

Le risque existe que des auteurs puissent être bannis non pas pour leurs propos eux-mêmes, mais pour l’interprétation que des tiers pourraient en faire

Par ailleurs, les explications de Twitter soutiennent que c’est l’interprétation que les supporters de Trump ont faite de ses derniers propos qui ont conduit au saccage du Capitole. Ainsi, la connotation positive de la formule “American patriots”, utilisée par le président pour désigner ses électeurs au lendemain de l’attaque du Capitole, aurait été comprise comme un encouragement à l’action menée ; et l’affirmation que ces “American patriots” ne doivent pas être “traités injustement” aurait laissé supposer que, malgré ses déclarations, Trump n’envisage pas de faciliter la transition. Cela présuppose que ceux à qui ces posts sont destinés tendent à y voir des messages codés.

Si les incitations à la haine ne peuvent évidemment pas être permises, leur traitement préventif intégrant l’interprétation pouvant être faite par l’auditoire permettant leur interdiction se heurte à un écueil : ramené à un contexte moins troublé, le risque existe que des auteurs puissent être bannis non pas pour leurs propos eux-mêmes, mais pour l’interprétation que des tiers pourraient en faire.

Dans un régime autoritaire, une telle approche ouvrirait la porte à de nombreuses dérives. Néanmoins, la journée de mercredi a permis à des figures comme Jim Steyer, soutien très actif de la campagne Stop Hate for Profit qui a notamment appelé les annonceurs à boycotter Facebook pour des propos haineux et a déjà coûté des millions à la firme de Mark Zuckerberg, de déclarer que les plates-formes doivent être tenues pour responsables de leur complicité dans la destruction des démocraties, appelant le Congrès à adopter une législation efficace pour lutter contre les discours de haine sur les réseaux sociaux.

Conscientes de l’émergence de cette tendance déjà sous-jacente et soucieuses de pérenniser leurs activités qui ont besoin de l’adhésion de l’opinion publique, les plates-formes, confrontées au désastre survenu dans le monde réel le 6 janvier, auraient alors voulu prendre les devants.

La possibilité de l’émergence de nouveaux canaux

Au lendemain du gel de ses comptes, Donald Trump a indiqué qu’il pourrait créer son propre réseau social. Si les esprits taquins noteront que Trump a voulu faire cette annonce sur Twitter qui a bloqué très rapidement la publication, il reste une réalité : la migration des contenus que l’on souhaite bloquer. En effet, ceux qui voudront diffuser des contenus radicaux de manière proactive le feront toujours. Aussi, même s’il est nécessaire que les plateformes dont l’audience est forte ou très forte opèrent une filtration sévère des messages en ligne, il est illusoire de croire que ce filtrage suffira pour éradiquer ces courants.

Beaucoup de nationalistes blancs et de partisans de l’extrême droite se sont retrouvés sur DLive après avoir été ciblés par des interdictions sur YouTube, Twitch et Facebook

De même que 4chan a produit 8chan, d’autres canaux seront utilisés, gangrenés ou créés. Déjà, DLive, un site de diffusion en direct de jeux, a été utilisé par des radicaux de droite pour relayer le saccage du Capitole à des milliers de personnes. Dans le cas de Dlive, beaucoup de nationalistes blancs et de partisans de l’extrême droite s’y sont retrouvés après avoir été ciblés par des interdictions sur YouTube, Twitch et Facebook. Cette migration a d’ailleurs largement contribué à la croissance de la plateforme. Ce cas, loin d’être isolé, doit être gardé à l’esprit.

Les plateformes sont conscientes de ces migrations et tentent de limiter la contagion avec les réseaux regroupant les internautes plus radicaux, particulièrement quand l’incitation à la haine et à la violence y est monnaie courante. Ce fut notamment le cas avec Parler, un réseau social où, parmi de nombreux internautes prônant la haine et la violence, se sont retrouvés des partisans de Donald Trump venus ici (ainsi que sur MeWe) après avoir été touchés par les restrictions visant, sur les grands réseaux sociaux, les théories promouvant la théorie de la fraude électorale lors de la présidentielle américaine. À la suite de cette restriction, Parler est devenue l’application la plus téléchargée, et sa base d’utilisateurs a doublé pour atteindre plus de 10 millions de membres.

Enfin, le cas des publications Donald Trump mais aussi de son bannissement et le séisme causé par le saccage du Capitole posent de nombreuses problématiques qui dépassent le seul cadre juridique et couvrent aussi bien la communication des gouvernants sur ce type de plateforme que les lignes rouges qui doivent être tracées.

De fait, il est nécessaire de préserver la liberté d’expression contre les conséquences qui pourraient résulter de l’interprétation d’un propos tout en assurant la protection des structures démocratiques comme des internautes qui, par fragilité ou “naïveté”, pourraient basculer, par porosité plus que par véritable adhésion idéologique, vers des courants délétères et violents.

Si l’actualité braque aujourd’hui les projecteurs sur les États-Unis, cette même problématique concerne bien d’autres pays démocratiques qui, bien que devant traiter avec les acteurs non étatiques que sont les grandes plateformes, tentent de concilier la protection de leurs principes fondamentaux et de leurs valeurs avec la préservation des droits des individus.

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Or, l’augmentation constante de la consommation de données accentue la prégnance de ce sujet, aujourd’hui devenu majeur. Cette progression a été particulièrement marquée en 2020, les confinements successifs ayant participé à accroître la fréquentation des réseaux sociaux. On le voit, le débat est bien loin d’être clos et les enjeux vont s’amplifier.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Voici l’article original, signé Christine Dugoin-Clément, analyste en géopolitique, membre associé au Laboratoire de Recherche IAE Paris — Sorbonne Business School, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, chaire “normes et risques”, IAE Paris — Sorbonne Business School