C’est un jugement qui pourrait donner des idées à bien des voyageurs, encore nombreux à se plaindre du retard des trains. Le Tribunal de commerce de Rabat vient de condamner récemment l’Office national des chemins de fer (ONCF) à payer une indemnité à un passager… dont le train était arrivé en retard.
50.000 dirhams pour 1 h 15 de retard. C’est la somme que la compagnie ferroviaire devrait débourser à Driss El Ouali, militant des droits de l’Homme et directeur de publication du titre régional Sada Taounate. “Ce n’est pas qu’une affaire de dédommagement et de préjudice causé, mais surtout une question de principe, souligne maître Mohammed Hanine, avocat au barreau de Rabat. Le transporteur doit respecter ses obligations vis-à-vis des usagers, d’autant plus qu’il est en situation de monopole sur cette activité.”
Confiance ferroviaire
Le 28 mai 2019, Driss El Ouali prend le train depuis Rabat pour rallier l’aéroport de Casablanca, via une correspondance à la gare d’Ain Sebaa. “J’ai fait confiance à l’ONCF, explique l’intéressé contacté par TelQuel. J’aurais très bien pu prendre mon propre véhicule, mais par souci de temps, et persuadé qu’il n’y aurait pas de problème, j’ai préféré voyager en train.”
Ce représentant du Centre marocain pour le droit d’accès à l’information (CEMDI) était invité à se rendre à Ottawa, au Canada, où il devait prendre part au sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Une conférence où, du 29 au 31 mai, les participants échangeaient autour du partage de connaissances et de solutions pour mettre en place des gouvernements plus ouverts et transparents en cette période de bouleversements technologiques.
“Nous n’avions aucune visibilité”
“Une fois arrivé à Casa Port, on nous a signalé sur le quai que le train aurait 5 minutes de retard, puis 10, puis 15, pour arriver à 1 h 15 de retard. Nous n’avions aucune visibilité”, poursuit Driss El Ouali qui a donc raté les premières journées de l’événement au Canada, notamment celles consacrées à la société civile, puisqu’il ne décollera que le lendemain, le 29 mai, entraînant “des frais supplémentaires de 1000 dirhams” pour prendre un nouveau billet d’avion.
“Un titre de transport est un contrat”
Une situation devenue somme toute récurrente et dénoncée par de nombreux usagers. En 2017, la Cour des comptes épinglait d’ailleurs l’ONCF dont les trains enregistraient, à cette époque, une vingtaine de minutes de retard en moyenne. “Il y a des dispositions qui donnent des droits aux voyageurs en cas de retard, si ces derniers sont en mesure de justifier le préjudice subi”, souligne l’avocat de Driss El Ouali. Et d’ajouter : “Un billet de train, un titre de transport, est un contrat.”
L’intéressé a cependant mis du temps à se procurer les documents prouvant le retard. “Au départ, l’ONCF ne voulait pas me donner de justificatif appuyant le retard. Après avoir insisté, j’ai eu un ticket où était mentionné le retard d’1 h 15, avec le cachet de la compagnie”, raconte-t-il. En face, lors de l’audience, l’ONCF s’est défendu en affirmant que ces retards étaient “normaux”, étant donné les travaux qui avaient lieu sur les voies. Des justifications qui n’ont pas convaincu le procureur.
La Cour a considéré que le motif du retard “n’exonère pas l’Office de sa responsabilité pour les dommages et intérêts du plaignant”. “Un accident inattendu ou un cas de force majeure peuvent être considérés par le législateur comme des causes de retard, mais pas des travaux sur des voies dont la compagnie est garante du bon fonctionnement”, étaye l’avocat.
Manquement à une obligation contractuelle
Les textes de loi invoqués dans cette affaire figurent dans le Code de commerce. L’article 479 indique que “si le départ est retardé, le voyageur a droit aux dommages et intérêts”, également si le “retard est anormal”. “Lorsqu’à cause du retard, le voyageur n’a plus d’intérêt à accomplir le voyage, il a en outre le droit de résoudre le contrat ou de répéter le prix du transport qu’il a payé”, est-il précisé. Autrement, l’article 443 évoque que “le contrat de transport est la convention par laquelle le transporteur s’engage moyennant un prix à faire lui-même parvenir une personne ou une chose en un lieu déterminé”.
La décision a confirmé que l’ONCF avait prouvé un manquement à son obligation contractuelle et à ses engagements vis-à-vis des clients. Le préjudice subi par le plaignant s’est trouvé, pour le Tribunal de commerce de Rabat, dans le fait qu’il avait raté un événement auquel il était convié, et dû regagner son domicile pour réaliser une nouvelle réservation aérienne ayant entraîné de nouvelles charges financières.
La somme de 50.000 dirhams devra être versée à Driss El Ouali. Une somme qui sera couverte par la responsabilité civile auprès de Wafa Assurance, qui s’occupera d’indemniser le journaliste et militant. La décision de justice a toutefois fait l’objet d’un recours en appel, débattu dès le 15 octobre au Tribunal d’appel de commerce de Casablanca.