Le président turc Recep Tayyip Erdogan a rejeté en bloc, samedi 11 juillet, les condamnations internationales de la transformation de la basilique Sainte-Sophie d’Istanbul en mosquée, arguant que cela relevait des “droits souverains” de son pays.
“Ceux qui ne bronchent pas contre l’islamophobie dans leur propre pays (…) attaquent la volonté de la Turquie d’user de ses droits souverains”, a déclaré Erdogan au cours d’une cérémonie en visioconférence. “Nous avons pris cette décision non pas par rapport à ce que les autres disent, mais par rapport à nos droits, comme nous l’avons fait en Syrie, en Libye et ailleurs”, a-t-il ajouté.
Cadeau à l’humanité
Le Conseil d’État, le plus haut tribunal administratif de Turquie, a accédé vendredi 10 juillet à la requête de plusieurs associations en révoquant une mesure gouvernementale de 1934 conférant à Sainte-Sophie le statut de musée. Peu après, Recep Tayyip Erdogan a annoncé que l’ex-basilique byzantine de l’ancienne Constantinople serait ouverte aux prières musulmanes en tant que mosquée à partir du vendredi 24 juillet.
Œuvre architecturale majeure construite au VIe siècle par les Byzantins qui y couronnaient leurs empereurs, Sainte-Sophie est un site classé au patrimoine mondial par l’UNESCO, et l’une des principales attractions touristiques d’Istanbul avec quelque 3,8 millions de visiteurs en 2019.
Convertie en mosquée après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, elle a été transformée en musée en 1934 par le dirigeant de la jeune République turque, Mustafa Kemal, soucieux de “l’offrir à l’humanité”.
“Provocation envers le monde civilisé”
Plusieurs pays, notamment la Russie et la Grèce, qui suivent de près le sort du patrimoine byzantin en Turquie, ainsi que les États-Unis et la France, avaient notamment mis en garde Ankara contre la transformation de Sainte-Sophie en lieu de culte musulman, une mesure pour laquelle Erdogan, issu d’un parti islamo-conservateur, milite depuis des années.
“Le nationalisme dont fait preuve le président Erdogan ramène son pays six siècles en arrière”
Les réactions n’ont pas tardé : Athènes a condamné “avec la plus grande fermeté” la décision, Washington s’en est dit “déçu” et Paris la “déplore”. La Grèce, par la voix de sa ministre de la Culture Lina Mendoni, a estimé qu’il s’agissait d’une “provocation envers le monde civilisé” : “Le nationalisme dont fait preuve le président Erdogan ramène son pays six siècles en arrière.”
L’Église orthodoxe russe a regretté que l’“inquiétude” de “millions de chrétiens” n’ait pas été entendue par le tribunal turc. Le Conseil œcuménique des Églises, qui réunit environ 350 églises chrétiennes, notamment protestantes et orthodoxes, a quant à lui fait part de son “chagrin” et de sa “consternation”.
Depuis l’arrivée au pouvoir en 2003 de Recep Tayyip Erdogan, les activités liées à l’islam se sont multipliées à l’intérieur de Sainte-Sophie, avec notamment des séances de lecture du Coran ou des prières collectives sur le parvis du monument.
Calcul électoraliste
Samedi 11 juillet, la basilique était fermée, la police ayant installé des barrières autour du monument. “Nous voulions (…) visiter le musée Sainte-Sophie, malheureusement nous avons réalisé qu’il est fermé à partir d’aujourd’hui”, a réagi Renato Daeo, un touriste italien. Accompagnée de sa fille de 16 mois et de son mari, Ksennia Bessonova, Russe vivant en Turquie, a subi la même déconvenue : “C’était notre petit rêve, car depuis la naissance de notre fille, nous n’avions pu venir (visiter la basilique), en un sens je me sens triste.”
Erdogan, nostalgique de l’Empire ottoman, cherche aujourd’hui à rallier l’électorat conservateur sur fond de crise économique
Même si une reconversion de Sainte-Sophie en mosquée n’empêchera pas les touristes de toutes les croyances de s’y rendre — ils sont nombreux à visiter chaque jour la Mosquée bleue voisine —, il était prévisible que modifier le statut d’un lieu aussi emblématique dans l’histoire du christianisme suscite des tensions à l’étranger.
Mais Erdogan, nostalgique de l’Empire ottoman, cherche aujourd’hui à rallier l’électorat conservateur sur fond de crise économique due à la pandémie de nouveau coronavirus et un contexte régional difficile. “C’est une décision que j’attends depuis des années. C’est une honte qu’elle ne soit pas intervenue auparavant, c’est pour cela que je suis très heureux”, assurait ainsi dès vendredi Umut Cagri, un habitant d’Istanbul.
Ozgur Unluhisarcikli, directeur du bureau d’Ankara de l’organisme German Marshall Fund, relevait d’ailleurs samedi auprès de l’AFP que cette décision pourrait valoir à Erdogan le soutien de bon nombre de ses compatriotes “pour des sentiments religieux et nationalistes (…) C’est un débat que le président Erdogan ne peut pas perdre et que l’opposition ne peut pas gagner”.