Si des recherches sont encore nécessaires pour retracer précisément l’histoire de l’émergence du nouveau coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la pandémie de Covid-19, son origine animale est l’hypothèse privilégiée jusqu’à présent, rappelant les interconnexions entre la santé humaine et la santé animale.
Cette crise sanitaire fait suite à d’autres crises récentes, telles que la pandémie de VIH, les émergences répétées de la maladie à virus Ebola, ou les épidémies dues à d’autres coronavirus, comme ceux du SARS et du MERS, entre autres.
Comment émergent les maladies infectieuses ?
Les émergences épidémiques trouvent très souvent leur origine dans la transmission d’un agent pathogène de l’animal à l’être humain. Les mécanismes de cette transmission sont plus ou moins bien compris. Il arrive qu’elle résulte d’un contact direct entre l’animal et l’humain.
Selon toute vraisemblance, c’est ainsi que le virus du sida a émergé, suite à la chasse et la consommation des chimpanzés porteurs du virus de l’immunodéficience simienne (SIVcpz), ancêtre du VIH. Il se peut aussi qu’un arthropode joue le rôle de “transmetteur” (on parle de “vecteur”). C’est par exemple via un moustique que l’agent du paludisme, qui parasitait initialement le gorille, s’est transmis à l’homme. Enfin, un hôte intermédiaire peut aussi être impliqué. Lors de l’épidémie de SARS de 2002, la civette masquée (Paguma larvata) avait joué ce rôle.
Concernant l’épidémie de Covid-19, le réservoir originel semble être la chauve-souris mais l’hôte intermédiaire n’a pas été identifié à ce jour. En effet, le pangolin est soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’évolution du virus, sans que cela ne soit définitivement établi.
Transmission n’est pas synonyme d’épidémie
Les épisodes initiaux de transmission n’évoluent pas toujours en épidémies : il faut pour cela que le pathogène ait acquis la capacité à se transmettre de personne à personne (directement ou via un arthropode vecteur). Ce n’est pas systématique : ainsi, depuis les années 2000, des cas de transmission de la grippe aviaire (H5N1) à l’être humain ont été observés, mais le virus ne s’est pas ensuite transmis (ou très peu) entre humains. Les virus des grippes animales (aviaire et porcine) restent néanmoins sous haute surveillance, car la crainte est permanente qu’ils acquièrent la capacité à se transmettre de personne à personne et provoquent une nouvelle pandémie.
Une fois cette capacité acquise, l’épidémie commence à se propager. Son devenir à la surface du globe dépend toutefois de nombreux facteurs, tels que le mode de transmission de l’agent pathogène (par voie respiratoire, sanguine, cutanée, par piqûre d’arthropode…), sa durée de vie dans l’environnement, la période pendant laquelle une personne contaminée est contagieuse, le degré de connexion entre les populations et le comportement des individus.
Assiste-t-on à une accélération des phénomènes d’émergences épidémiques ?
À l’époque où les populations humaines étaient composées de chasseurs-cueilleurs, les individus pouvaient contracter des maladies à partir des espèces chassées. Mais c’est la domestication d’espèces sauvages qui a créé le premier grand pont épidémiologique entre les populations animales et humaines : la sédentarisation des populations couplée à l’augmentation de leur densité a entraîné un risque accru de transmission de certains pathogènes à l’homme. Depuis lors, l’expansion et l’évolution des systèmes de production animale n’ont cessé de créer des contextes favorables à l’émergence et à la diffusion d’agents pathogènes entre animaux et hommes.
Ces phénomènes d’émergences épidémiques d’agents infectieux connus ou inconnus se sont accélérés à la fin du XXᵉ siècle. En effet, elles résultent des changements globaux déclenchés et alimentés par les activités humaines partout sur la planète. Parmi les facteurs qui entrent en jeu, on peut citer la destruction et la fragmentation des habitats, la dégradation des écosystèmes naturels, la perte de biodiversité, l’intensification des systèmes d’élevage et de cultures, l’urbanisation, les mises en contact inédites entre êtres humains, espèces domestiques et sauvages, le dérèglement climatique (qui perturbe certaines dynamiques écologiques), les transports aériens et maritimes (qui connectent des populations et écosystèmes initialement indépendants), etc.
Un exemple marquant de cette accélération est la dispersion et la prolifération du moustique tigre, Aedes albopictus. Originaire d’Asie du Sud-Est, il est apparu en Afrique continentale dans les années 1990 et en France métropolitaine dès 2004. Depuis, il s’étend sur le territoire : il avait colonisé, en 2019, 58 départements métropolitains sur 96. Outre les désagréments qu’occasionne ce moustique abondant et agressif, il est aussi vecteur des virus de la dengue, du Chikungunya ou Zika. Des voyageurs infectés à l’occasion d’un déplacement pourraient devenir des sources de contamination.
Des cas de transmission “autochtone”, c’est-à-dire des personnes infectées par ces virus alors qu’elles n’ont pas voyagé, sont ainsi régulièrement rapportés, mais sont restés jusqu’à présent sporadiques. En revanche, à La Réunion, une épidémie saisonnière de dengue sévit depuis 2018, qui prend de l’ampleur d’année en année (jusqu’à 1000 cas par semaine observés en mai 2020).
Les pays à faibles revenus sont généralement plus touchés
Globalement — même si cela ne s’applique pas, jusqu’à présent, à la pandémie de Covid-19 — les populations les plus pauvres des pays à faibles revenus restent les plus exposées aux maladies infectieuses et parasitaires.
La vulnérabilité des sociétés face aux épidémies est en effet très variable. Elle dépend de la sévérité des symptômes de la maladie, de la proportion et de la catégorie des individus sensibles au sein des populations, des moyens existants de dépistage et traitement, de l’organisation du système de santé et d’accès aux soins, de l’efficacité des mesures de prévention et de leur adoption, et, enfin, du niveau d’anticipation et de préparation des États face aux crises sanitaires.
Les systèmes de santé des états à faible revenu n’ont pas nécessairement de réseaux de surveillance épidémiologique suffisamment efficaces pour donner l’alerte rapidement en cas d’émergence. En outre, les habitants ont généralement un accès limité aux infrastructures d’hygiène (eau potable, assainissement), aux dispositifs de prévention et de soins, à l’éducation et à l’information. Enfin, la sous-nutrition et les carences dont souffre une partie de la population affaiblissent le système immunitaire et rendent l’organisme plus sensible aux maladies infectieuses. Les “maladies tropicales négligées” touchent ainsi plus d’un milliard de personnes dans les pays pauvres.
L’hépatite E est un bon exemple de cette vulnérabilité accrue des pays à faible revenu. Dans ces derniers, le virus responsable de cette maladie majoritairement asymptomatique se transmet par les eaux contaminées et infecte chaque année 20 millions de personnes, causant 70.000 décès. Tandis que dans les pays riches, le virus, qui reste endémique dans certaines régions, est transmis par la consommation de viande de porc insuffisamment cuite, responsable d’hépatites chroniques chez les sujets immunodéprimés.
Mieux se préparer aux émergences épidémiques
L’émergence puis la propagation rapide du coronavirus SARS-CoV-2 ont mis en exergue la complexité des dynamiques à l’œuvre durant une épidémie. Pour faire face à ce type de situation, des approches intégrées en santé ont émergé au fil des crises sanitaires récentes. Elles consistent à faire travailler ensemble des spécialistes de nombreuses disciplines (biologie, agronomie, écologie, épidémiologie, médecine, sciences sociales…) et secteurs (santé publique, santé vétérinaire, agriculture, gestion de l’environnement…), à mettre en relation de nombreux acteurs (scientifiques, décideurs, gestionnaires, opérationnels) à différentes échelles (régionale, nationale, internationale).
Relativement nouvelles, ces approches intégrées ne vont pas de soi. Elles ont été mises en œuvre avec succès par exemple pour l’étude de la maladie à virus Ebola ou de la fièvre de la vallée du Rift, ou encore pour la surveillance de l’antibiorésistance, un phénomène ayant un impact croissant en santé publique. Cependant, des analyses récentes pointent une prise en compte encore insuffisante de l’environnement et des sciences sociales.
D’un point de vue opérationnel, certains états d’Asie qui avaient déjà vécu la crise du SARS ou du MERS, ou d’Afrique, forts de l’expérience d’Ebola, ont su mettre en place des réponses rapides et efficaces (même si l’adoption des mesures de distanciation physique a représenté un autre défi). En particulier, la fermeture précoce des frontières nationales sur le continent africain semble avoir largement contribué à limiter la propagation de la maladie.
Mais la crise mondiale de Covid-19 n’a pas manqué de mettre également en lumière certaines failles, à l’échelle nationale (comme en France) et internationale : réactions tardives des pouvoirs publics, défauts de stocks stratégiques nationaux et tensions sur les stocks internationaux, manque de coordination nationale et internationale pour la mobilisation des capacités de diagnostic, insuffisances de la coopération européenne en particulier concernant les essais cliniques, critiques à l’encontre de l’OMS…
Les enseignements de la pandémie actuelle devront être pleinement tirés, car de nouvelles émergences ne manqueront pas de se produire. Pour les anticiper et en limiter les impacts sanitaire et socio-économique, il faudra impérativement renforcer la coopération interdisciplinaire et intersectorielle.
Cet article a été coécrit avec Mélanie Broin, Agropolis International. Il synthétise en partie un dossier d’Agropolis International paru en décembre 2019 sur les approches de santé globale développées par la communauté scientifique en Occitanie, en lien avec de nombreux partenaires au niveau national et international, avec un focus particulier sur les problématiques des pays du Sud.