“A Sunny Day”, le court-métrage étrangement prémonitoire de Faouzi Bensaïdi (Entretien)

Distanciation sociale, masques et gants en latex… Le court-métrage “A Sunny Day” de Faouzi Bensaïdi, sorti il y a quelques mois dans le cadre d’un film collectif sur l’impact du changement climatique sur la planète, résonne fortement avec la crise que nous traversons.

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Image extraite du court-métrage de Faouzi Bensaïdi. Crédit: DR

Toute ressemblance avec une situation existante est purement fortuite… Dans le cadre du projet de film collectif Interdependence lancé l’été dernier par la fondation Art for the World sur l’impact du changement climatique sur la planète, le réalisateur marocain Faouzi Bensaïdi a imaginé un futur proche anxiogène qui ressemble étrangement à la situation que nous sommes en train de vivre.

S’il ne parle pas d’épidémie, l’avenir qu’il décrit dans un style à la fois drôle et grinçant n’est pas très loin de ce qu’on observe aujourd’hui. Après s’être rendu compte des similitudes entre les images de son film et la réalité qu’il vivait, le réalisateur a choisi de partager un extrait de son court-métrage, intitulé A Sunny Day. Faouzi Bensaïdi nous raconte les dessous de ce projet et sa vision de l’avenir, à l’heure où l’industrie cinématographique est complètement à l’arrêt.

TelQuel : Pouvez-vous nous raconter la genèse de A Sunny Day

Faouzi Bensaïdi : Il y a un peu plus d’un an, j’ai été contacté par la productrice Adelina Von Fürstenberg, qui a fondé l’ONG Art for the World. Elle souhaitait réunir 11 cinéastes du monde entier pour réaliser un film collectif sur l’environnement et le changement climatique, intitulé Interdependence. L’idée, c’était qu’on parle de l’état de la planète à travers des courts-métrages, avec une liberté très appréciable, que ce soit sous la forme d’une fiction, d’un documentaire ou encore d’une bande dessinée. C’était vraiment ouvert.

“Je me suis demandé ce qui se passerait dans un futur proche si nous devions basculer dans un monde totalement anxiogène”

Je me souviens m’être dit que c’était un sujet un peu “casse-gueule”. Évidemment, je suis acquis à la cause du changement climatique, mais comment en parler? C’est compliqué. Pas grand-chose n’est fait pour arrêter ça au niveau politique. Et en même temps, les images, dans les médias notamment, sont très présentes. Cela fait des années qu’on voit les dégâts des inondations, l’effondrement des glaces, la hausse des températures.

Je me suis demandé ce qui se passerait dans un futur proche si nous devions basculer dans un monde totalement anxiogène, et j’ai voulu montrer ça d’une manière qui rappelle notre quotidien. J’ai proposé le scénario et j’ai tourné l’été dernier avec des jeunes sortant de l’École supérieure des arts visuels de Marrakech (ESAV) qui m’ont aidé pour la production, la mise en scène, l’image, l’étalonnage, etc. Aujourd’hui, on voit que l’actualité nous a rattrapés.

Quand on voit les extraits de votre court-métrage, on pourrait en effet croire que ce film est prémonitoire… Qu’est-ce qui vous a inspiré 

A Sunny Day, c’est l’histoire d’un homme, un jour d’été, qui déambule dans ce Nouveau Monde. Chacun est chez lui, presque confiné. C’est un monde qui essaie de rattraper ce qui n’a pas été fait mais où tout est foutu. L’idée, c’est que rien n’est rattrapable.

Le film distille aussi le fait que le capital a tout bouffé, qu’il s’est renforcé, de même que le néolibéralisme, en plus d’une pensée totalitaire et sécuritaire. Le commerce gère tout, la finance gère tout avec une main de fer. C’est très étrange de voir ce que pourrait devenir notre monde si rien n’est fait pour éviter ça.

Mais je pense qu’il y a la possibilité d’une prise de conscience. Le film est très burlesque, ce n’est pas non plus noir et déprimant. L’humour est une forme de politesse pour dire les choses, pour prendre de la distance. Je m’inscris clairement dans un registre à la Charlie Chaplin et Jacques Tati.

Comment vivez-vous personnellement cette période de crise et ce confinement 

Malheureusement, l’activité cinématographique est très touchée. Les festivals sont annulés, les salles de cinéma sont fermées et il n’est pas prévu qu’elles rouvrent rapidement. Je fais partie d’une activité à l’arrêt à 100 %. Il est aussi impossible pour nous d’organiser des tournages pour le moment.

“C’est la fabrication des films qui est remise en cause, c’est ma vie aussi”

Comment peut-on réaliser des films avec les règles de distanciation sociale? Les comédiens se touchent, se parlent, s’emboîtent. On est parfois vingt personnes dans une seule pièce. Faudrait-il alors faire un cinéma à l’iranienne, des films sous contraintes où les acteurs ne peuvent s’approcher les uns des autres? C’est la fabrication des films qui est remise en cause, c’est ma vie aussi.

Le fait que le cinéma soit à l’arrêt vous fait-il craindre pour votre avenir 

Une fois qu’on sera sortis de cette période de crise, je n’aurai aucune crainte, les gens reviendront avec force au collectif et le cinéma est une pratique collective. Cela a été souvent le cas après les guerres : les gens vont fêter la vie et l’art aura sa place.

“L’art est nécessaire dans le sens où il tire des sonnettes d’alarme et pousse l’humanité à avoir un même rêve”

Ce qui m’inquiète, ce sont plutôt les pratiques individualistes qui gagnent du terrain, notamment à travers les différentes plateformes de visionnage. Les gens prennent l’habitude de ça. Cela ne veut pas dire que l’industrie du cinéma va disparaître, mais la part de marché de ces plateformes sera sans doute beaucoup plus forte. Je crains plutôt que toute cette économie digitale et individualiste prenne le dessus, que le monde fasse un rétropédalage ou du surplace.

Cela fait aussi un moment qu’on dit qu’il faut arrêter la surproduction. Si nous n’en sommes pas capables, on risque une crise plus grande. L’aveuglement des hommes m’inquiète également. C’est donc à nous de changer les choses collectivement, la voix des citoyens doit être très forte.

Qu’est-ce que le cinéma et l’art en général peuvent apporter comme réponses à cette crise 

On est dans “l’inutile nécessaire”. On est là pour réveiller les consciences. Comme l’indique le titre du film Interdependence auquel j’ai participé, chaque partie du monde dépend de l’autre, on ne peut survivre qu’avec de l’entraide et en étant sensible à l’autre, à ses difficultés.

L’art est nécessaire dans le sens où il tire des sonnettes d’alarme et pousse l’humanité à avoir un même rêve, que le vivant soit respecté. L’art continuera ainsi à faire ce qu’il fait de mieux : célébrer la beauté et la volonté de vivre dans un monde moins égoïste et moins individualiste.