Le monde traverse une crise inédite. La pandémie de coronavirus a provoqué un arrêt brutal de l’économie mondiale, et beaucoup de pays devront surmonter des défis tels que le chômage, l’explosion de la pauvreté ou encore l’aggravation de la crise migratoire. Pour penser le monde où nous aurons à vivre demain, la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a organisé un atelier virtuel avec comme invités l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, l’économiste Daniel Cohen, l’ambassadeur du Maroc en Afrique du Sud Youssef Amrani, l’ancien diplomate Mohamed Loulichki et le diplomate espagnol Miguel Ángel Moratinos.
Le choix de la relocalisation
De l’avis des intervenants, cette crise va nécessairement remettre en cause les délocalisations. Pour l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, des pays comme la France commencent à penser à relocaliser des industries qu’ils avaient abandonnées. “Il est obligatoire d’analyser le cas allemand, qui a réussi à tirer un énorme parti de la mondialisation sans se désindustrialiser. Le pays n’a pas abandonné son extraordinaire industrie chimique”, compare-t-il.
Cette crise a aussi été l’occasion de renouveler la critique de la mondialisation. “En découvrant que certains produits comme le paracétamol étaient entièrement — ou quasiment — importés de Chine, on a pris la mesure de notre vulnérabilité à l’égard de cette chaîne de valeur et de notre dépendance à la mondialisation”, analyse l’économiste Daniel Cohen.
“Les pays émergents vont connaître un extraordinaire ressac”
Une situation qui devrait donc enclencher un processus “de rééquilibrages et de relocalisations partielles”, avec des conséquences importantes sur les pays émergents qui ont été, selon l’économiste, dans une large mesure les bénéficiaires de cette mondialisation, “et qui vont peut-être connaître un extraordinaire ressac.” Le Maroc en subira-t-il aussi les conséquences ? Pour Daniel Cohen, la réduction des chaînes de valeur est plutôt une bonne nouvelle pour le royaume. “Beaucoup de pays qui sont à proximité des pays riches, qui ont besoin de s’appuyer sur des sous-traitants bon marché, pensent que c’est une bonne nouvelle. Et au sein même de l’Europe, il y a des réserves de main-d’œuvre bon marché, en Roumanie et autre, qui vont être sollicitées.”
L’Afrique, première victime
Pour faire face à cette crise, “l’Afrique ne pourra compter que sur ses propres ressources, ou celles de philanthropes comme Bill Gates. Elle devra donc s’endetter, avec toutes les conséquences sur le plan social ou financier”, alerte Mohamed Loulichki, ancien représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies.
“L’Afrique ne pourra compter que sur ses propres ressources, ou celles de philanthropes comme Bill Gates. Elle devra donc s’endetter”
Selon le diplomate, et malgré les efforts consentis ces dernières années, le continent reste dominé par “des États fragiles, des espaces énormes qu’on ne peut pas contrôler, les trafics de drogue et d’êtres humains, des groupes militaires, des terroristes”. Tout cela conjugué à la crise économique pourrait avoir pour conséquence des millions de déplacés et de réfugiés.
Une crainte partagée par Youssef Amrani, ambassadeur du Maroc en Afrique du Sud. “Il faut commencer à penser à une éventuelle poussée migratoire du sud vers le nord. Je pense qu’aujourd’hui, il faut repenser le concept de sécurité en travaillant ensemble pour gérer ces flux à travers une coresponsabilité”, propose le diplomate
Fin du capitalisme ?
“Ce n’est pas une crise de l’offre ni de la demande. On est dans quelque chose de tout à fait inédit, et il faut accepter que le PIB doit baisser”, annonce l’économiste Daniel Cohen.
“Il faut accepter que le PIB doit baisser”
L’État devra soutenir les secteurs économiques qui sont en état d’hibernation. Cela engendrera des pertes importantes pour les États, puisque ces dettes devront tôt ou tard être abandonnées, et ceux qui sont déjà en situation difficile devront subir une crise financière.
Cette situation engendrera-t-elle la fin du système capitaliste ? “Ça sera certainement la fin du capitalisme mondialisé. Mais je crois aussi que c’est un moment d’accélération de ce qui est déjà très clairement la forme du capitalisme du XXIe siècle, c’est-à-dire un capitalisme numérique”, prédit Daniel Cohen. Ce capitalisme sera donc celui de la dématérialisation, des réseaux sociaux, de Netflix et Zoom.