Chakib Alj : “Il y va de notre stabilité sociale”

En première ligne face à la crise économique qui se profile en raison de la pandémie de coronavirus, le patron des patrons Chakib Alj décline sa méthode pour TelQuel.

Par

Le patron 
des patrons, 
Chakib Alj. Crédit: DR

TelQuel : Vous vous êtes réunis avec le ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, le 14 mars. À l’issue de votre rencontre, le ministre a affirmé que l’industrie marocaine n’était que “très peu” touchée par la pandémie de coronavirus (des déclarations faites avant l’annonce de la suspension des usines Renault, ndlr). Partagez-vous cette lecture ?

Chakib Alj : Le ministre de l’Industrie a tenu plusieurs réunions avec nos fédérations industrielles. Son message était : priorité à la santé de nos concitoyens, à leur alimentation et à la préservation de l’emploi et de l’économie, dans cet ordre. Pour sa part, la CGEM s’est réunie jeudi dernier (le 12 mars, ndlr) en amont de ces rencontres. Notre constat est le même à toutes les échelles de la Confédération : tous les secteurs sont directement ou indirectement impactés à des degrés différents.

“Le taux d’occupation dans les hôtels de Marrakech est passé de 80 % en mars 2019 à moins de 30 % ce mois-ci”

Le tourisme avec l’ensemble de ses composantes (hôtellerie, restauration, agences de voyages) est l’un des secteurs les plus touchés. Pour illustrer mes propos, il suffit de mentionner le taux d’occupation dans les hôtels de la ville de Marrakech. Il est passé de 80 % en mars 2019 à moins de 30 % ce mois-ci. Par extension, le secteur de l’artisanat souffre au même titre que le tourisme.

Le textile est également touché. 40 % des exportations marocaines en textile sont en suspens en raison de l’annulation des commandes d’un seul donneur d’ordre étranger, Inditex. L’automobile souffre également de l’arrêt des commandes et des difficultés d’approvisionnement. À cela vient s’ajouter la suspension des activités industrielles de l’usine Renault annoncée ce mardi 17 mars.

Je peux également mentionner les difficultés des secteurs du transport, de la logistique, et de l’ensemble de l’écosystème de l’événementiel. Les TPE/PME sont évidemment les entreprises qui sont les plus vulnérables face à cette crise sanitaire, économique et sociale sans précédent.

Quels sont les secteurs où les besoins sont les plus pressants ?

Pour la CGEM, l’ensemble des entreprises méritent d’être soutenues en ces temps difficiles. Il faut entamer une réflexion sur cette période critique tout en envisageant la période post-crise. Cette situation inédite par laquelle nous passons nécessite des mesures exceptionnelles. Des mesures transversales, courageuses et fortes. Celles-ci doivent concerner toutes les entreprises et être adaptées aux besoins de chaque secteur impacté.

Pour le patron des patrons, le secteur du tourisme a particulièrement été affecté par la crise économique engendrée par la pandémie de coronavirus.Crédit: Fadel Senna/AFP

En termes d’urgence, je citerai les secteurs du textile, de l’automobile, du tourisme, de l’artisanat, du transport ainsi que la restauration et l’événementiel.

Le roi Mohammed VI a créé un fonds de 10 milliards de dirhams pour renforcer les infrastructures sanitaires et soutenir les secteurs en crise. Quelle utilisation doit-on faire de cette ressource ?

Tout d’abord, il faut saluer cette initiative royale qui témoigne de la bienveillance de Sa Majesté. Dès l’annonce de la mise en place de ce fonds, la consigne a été claire. La priorité des priorités est le volet sanitaire. Une partie du fonds sera donc allouée au renforcement de l’infrastructure médicale pour le bien des citoyens (lors d’une intervention télévisée le 17 mars, le ministre de l’Économie Mohamed Benchaâboun a annoncé qu’une enveloppe d’un milliard de dirhams issue du fonds avait été allouée au département de la Santé, ndlr).

“Le souhait de la CGEM est qu’une partie du fonds soit dédiée au maintien du maximum d’emplois possible”

Sur le volet économique, le souhait de la CGEM est qu’une partie du fonds soit dédiée au maintien du maximum d’emplois possible. Il y va de notre stabilité sociale. Une autre partie du fonds doit permettre de soulager la trésorerie des entreprises en difficulté, que ce soit sous la forme de subventions ou autres.

La baisse d’activité escomptée dans les secteurs du tourisme, du textile ou de l’artisanat est susceptible de créer des tensions entre employeurs et employés. Comment créer un cadre de négociations serein ?

Les relations entre employés et employeurs ne doivent pas s’affaiblir, au contraire. Les employeurs ont besoin de leurs employés et les employés ont besoin de leurs employeurs. Cette crise doit permettre de renforcer les relations entre employés et employeurs, car leurs destins sont liés.

Pour Chakib Alj, les destins des employés et des employeurs sont « liés ».Crédit: MAP

C’est dans ce sens que la CGEM a pris l’initiative d’aller à la rencontre des centrales syndicales que sont l’UMT et la CDT. Cette réunion avec Miloudi Moukharik (secrétaire général de l’UMT, ndlr) et Abdelkader Zaer (secrétaire général de la CDT) se sont déroulées dans un esprit de responsabilité, d’engagement et de solidarité.

Il est indispensable que les acteurs économiques et sociaux se serrent les coudes en renforçant la sensibilisation sur le respect des mesures barrières en entreprise mais aussi en réfléchissant, ensemble, aux solutions pour préserver les emplois.

En tant que président de la CGEM, quel message adressez-vous aux entreprises quant à la gestion de la ressource humaine en cette période trouble ?

Les mesures à prendre doivent absolument s’inscrire dans la continuité de l’activité car le facteur humain est très important. Pour certains secteurs, le télétravail reste l’une des meilleures alternatives une fois expliqué et organisé.

“Pour certains secteurs, le télétravail reste l’une des meilleures alternatives”

Nous avons incité au recours à cette alternative et avons constaté qu’un grand nombre opérant dans le secteur des services l’ont adoptée. La CGEM s’est inscrite dans la même démarche ce mardi sans pour autant diminuer son implication au service de ses membres et de notre pays.

Avez-vous estimé l’impact du coronavirus sur notre économie ?

Il est aujourd’hui difficile de se prononcer de manière exacte sur la perte de points de PIB ou même la perte de valeur ajoutée, mais des études sont en cours dans ce sens. Aujourd’hui, ce qui préoccupe le plus la CGEM, ce n’est pas l’évaluation des pertes mais la préservation de nos entreprises.

Comment s’articule votre collaboration avec le Gouvernement dans la lutte contre les contrecoups du virus ?

Au-delà du cadre du Comité de veille économique (CVE), nous entretenons des échanges permanents avec certains départements ministériels pour la mise en œuvre de certaines actions et de leur suivi.

Les mesures proposées par le CVE sont « insuffisantes » aux yeux du président de la CGEM.Crédit: MAP

Quel regard portez-vous sur le plan d’action initié par le CVE qui prévoit la suspension du paiement de la CNSS et un moratoire pour le remboursement des crédits bancaires (d’autres mesures ont été annoncées depuis, ndlr)?

Nous estimons que ces deux mesures sont insuffisantes pour sortir les entreprises, notamment les TPE/PME, de la crise qu’elles sont en train de vivre. Nous militerons de toute nos forces pour que des mesures plus importantes soient adoptées rapidement pour sauver notre tissu économique et les emplois. Des mesures allant dans ce sens ont d’ailleurs déjà été proposées par la CGEM.

à lire aussi

Une loi de Finances rectificative est-elle nécessaire?

En plus de l’impact très important du coronavirus sur notre économie, notre pays devra également faire face aux conséquences de la sécheresse. Une loi de Finances rectificative pourrait être nécessaire au vu de ces nouveaux paramètres.

La ruée sur les produits alimentaires est à même de créer des cas de spéculations néfastes au pouvoir d’achat des Marocains. À votre niveau, comment pouvez-vous lutter contre ce phénomène?

En tant qu’acteur de l’agroalimentaire, je tiens à rassurer les Marocains sur l’approvisionnement en matière de produits alimentaires. Notre pays dispose d’approvisionnement pour les quatre mois à venir. Par ailleurs, le gouvernement surveille de près cette question et est prêt à parer à toute spéculation pouvant porter atteinte au marché national.

À la CGEM, nous suivons ce sujet de près avec les professionnels du secteur de la distribution et le Conseil de la concurrence. J’en profite pour appeler à la responsabilité de tous pour éviter la propagation de fausses informations pouvant semer la psychose.