Recep Tayyip Erdogan a annoncé, samedi 29 février, que la Turquie n’empêcherait pas la circulation des migrants en direction du continent européen. Entassés par milliers à proximité du poste de Pazarkule, à deux pas du continent tant désiré, ils subissent les gaz lacrymogènes le jour, et le froid mordant la nuit.
Désillusion
“La frontière est fermée. On nous a dit ‘c’est ouvert, c’est ouvert !’ mais ce sont des mensonges”, peste Nejip, un Afghan de 20 ans, veste en cuir sur le dos et capuche sur la tête. Il a réussi avec des amis à se frayer un chemin à travers les barbelés, mais à peine avaient-ils posé le pied en Europe qu’une patrouille grecque les a interceptés et renvoyés.
En réveillant le souvenir de la crise migratoire majeure qui a secoué l’Europe en 2015, Ankara essaie d’obtenir un appui occidental en Syrie
“La police grecque nous a attrapés. Ils nous ont tout pris, notre argent, tout”, déplore-t-il. Certains de ses compagnons de route avancent pieds nus : leurs chaussures, disent-ils, ont été confisquées par les Grecs. Comme Nejip, plusieurs migrants interrogés par l’AFP ont fait part de leur désillusion et de leur frustration croissante, après plusieurs jours d’attente et de tentatives de traversée avortées.
La Turquie, qui accueille quelque quatre millions de réfugiés, dont une majorité de Syriens, a décidé vendredi 28 février d’“ouvrir les portes” de l’Europe, en dépit d’un accord conclu en 2016 aux termes duquel elle s’engageait à lutter contre les passages clandestins. En réveillant le souvenir de la crise migratoire majeure qui a secoué l’Europe en 2015, Ankara essaie d’obtenir un appui occidental en Syrie.
Tensions à la frontière
Face à cet afflux, les autorités grecques ont barricadé le poste frontalier de Kastanies, en face de Pazarkule, utilisé des canons à eau et des grenades assourdissantes et envoyé des SMS pour dissuader les migrants de tenter de traverser. Furieux, un migrant jette des pierres en direction des policiers tout en déployant devant lui un parapluie, maigre protection face aux grenades lacrymogènes qui fusent.
“On essaie de construire une nouvelle vie. Quand la porte s’ouvrira, je passerai”
Plus loin, quelques hommes réussissent à ramper sous une clôture avant de courir ventre à terre dans le no man’s land qui sépare les deux frontières. Et au milieu du chaos, Ahmet Hacali attend que le calme revienne en caressant nonchalamment son chat et son chien, qu’il a emmenés avec lui. Ce Palestinien installé en Turquie depuis sept ans essaie aujourd’hui de rejoindre son épouse, en Grèce depuis quatre mois. “On essaie de construire une nouvelle vie”, dit-il. “Quand la porte s’ouvrira, je passerai”.
D’autres ont déjà jeté l’éponge. Resul, un Afghan, s’éloigne de la zone avec son enfant sur les épaules. “La frontière est fermée (…) Maintenant, on marche pour rentrer chez nous, à pied. Nous n’avons plus envie d’aller (en Europe)”, dit-il.
Inhospitalité
Des habitants de l’île grecque de Lesbos ont mis le feu dimanche 1er mars au soir à un centre d’accueil de migrants inoccupé près de la plage de Skala Sykamineas, après en avoir bloqué l’entrée, a constaté un photographe de l’AFP. Ce centre, autrefois géré par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, avait été fermé fin janvier. Il accueillait auparavant les migrants avant qu’ils soient conduits vers un centre d’hébergement sur l’île.
Des habitants ont empêché un canot avec une cinquantaine de migrants d’accoster, aux cris de “rentrez en Turquie”
Quelque 150 habitants se sont rassemblés autour du centre après l’arrivée de nouveaux migrants sur la plage de Skala Sykamineas. Craignant qu’il rouvre ses portes, ils l’ont ensuite incendié partiellement. Environ 70 demandeurs d’asile se trouvaient toujours sur la plage, sans couvertures, a constaté un photographe de l’AFP.
Au moins 500 migrants ont accosté le 1er mars en différents points de l’île, à bord d’une dizaine d’embarcations, selon le décompte de l’AFP. Manifestant leur colère face à l’arrivée de nouveaux demandeurs d’asile, des habitants ont également empêché un canot avec une cinquantaine de migrants d’accoster, aux cris de “rentrez en Turquie”.
Le drame continue
Les milliers de migrants ayant choisi de rester s’apprêtaient dimanche 1er mars à passer une nouvelle nuit à proximité de la frontière, qui prend de plus en plus l’allure d’un campement. Des braseros épars projettent sur les arbres des ombres silencieuses.
La Grèce a indiqué avoir empêché près de 10.000 migrants d’entrer “illégalement” sur son territoire en 24 heures depuis la Turquie
À quelques kilomètres de là, d’autres ont tenté toute la journée de gagner la Grèce en traversant le fleuve frontalier, l’Évros, parfois avec succès. Des taxis et des autocars déposent des migrants au bord d’un chemin terreux qui mène jusqu’au cours d’eau, où des canots pétaradants se dirigent vers la Grèce.
Pour colmater la brèche, des militaires grecs érigent à la hâte une clôture de barbelés sur l’autre rive. La Grèce a indiqué le 1er mars au matin avoir empêché près de 10.000 migrants d’entrer “illégalement” sur son territoire en 24 heures depuis la Turquie.
Si les migrants sont victimes de cette situation, au fleuve Évros, les passeurs, eux, se frottent les mains. Sous le regard d’un garde-frontière turc impassible, ils multiplient les navettes entre les deux rives, l’embarcation chargée à l’aller, les poches remplies au retour. “J’exerce ce métier depuis plusieurs années, mais c’est la première fois que je le fais avec la permission” des autorités, déclare l’un d’eux, qui préfère ne pas donner son nom. “J’ai l’impression de remplir mon devoir.”