Cet avion est conçu par des bouffons, qui, en retour, sont supervisés par des singes.” Le Congrès américain a divulgué, dans la nuit du jeudi 9 au vendredi 10 janvier, d’anciens messages internes de salariés de Boeing qui dénigrent le régulateur du secteur aérien américain (FAA). Ils ont été transmis en décembre 2019 par le constructeur aéronautique, par souci de “transparence”.
Des révélations qui risquent d’abîmer encore les relations avec les autorités et de compliquer la remise en service de l’avion 737 MAX. Ces messages, consultés par l’AFP, ont été diffusés par les parlementaires qui enquêtent sur la procédure d’homologation du 737 MAX qui a connu deux accidents rapprochés. Le système anti-décrochage MCAS a été mis en cause dans ces deux crashs sur les compagnies Lion Air et Ethiopian Airlines, intervenus respectivement le 29 octobre 2018 et le 10 mars 2019 et qui ont coûté la vie à 346 personnes.
Des informations dissimulées
Dans ces communications, des employés se vantent de pouvoir faire certifier le 737 MAX avec un minimum de formation pour les pilotes. Ils y font état des problèmes rencontrés avec les simulateurs qui reproduisent les conditions de vol réelles, ce qui démontre que la firme était au courant des défauts du nouveau modèle.
“Je n’ai toujours pas été pardonné par Dieu pour ce que j’ai dissimulé l’an dernier”, écrit un de ces employés dans un message de 2018, en référence aux interactions avec le régulateur. “Je sais, mais le régulateur n’a que ce qu’il mérite après avoir cherché à s’immiscer dans nos affaires. Il ralentit le progrès”, écrit un autre en août 2015. “Mettrais-tu ta famille dans un simulateur 737 MAX ? Non, je ne le ferais pas”, dit un employé à un collègue dans un autre échange. “Non”, lui répond ce dernier.
Lors de la certification du 737 MAX en mai 2017, Boeing était parvenu à convaincre les autorités américaines que les pilotes n’avaient pas besoin de formation sur simulateur, et qu’une mise à niveau sur ordinateur était suffisante. Un des arguments commerciaux de Boeing pour vendre le MAX aux compagnies aériennes était d’ailleurs qu’elles feraient des économies parce qu’il n’y aurait pas besoin de former spécialement les pilotes habitués au modèle 737.
Ces courriels “sont incroyablement accablants. Ils esquissent un tableau troublant de ce que Boeing était apparemment prêt à faire pour éviter un examen approfondi de la part des régulateurs, des équipages et des passagers”, fustige Peter DeFazio, le président démocrate de la commission des transports à la Chambre des représentants. “Ils montrent un effort coordonné dès les premiers jours du programme 737 MAX pour dissimuler des informations importantes aux régulateurs et au grand public”, dénonce encore l’élu.
Les regrets de Boeing
“Certaines de ces communications contiennent un langage provocateur et, dans certains cas, soulèvent des questions sur les interactions de Boeing avec la FAA et le processus de qualification des simulateurs”, souligne Boeing. “Nous regrettons le contenu de ces communications, et nous excusons auprès de la FAA, du Congrès, des compagnies aériennes clientes et des passagers”, conclut le constructeur aéronautique et aérospatial américain.
Ce n’est pas la première fois que des salariés de Boeing travaillant sur le 737 MAX se moquent de la FAA. En octobre 2019, le Congrès américain avait déjà révélé des messages internes d’un ancien pilote d’essai de Boeing, Mark Forkner, évoquant des problèmes sur le simulateur de vol du 737 MAX dès 2016, soit deux ans avant le premier accident tragique. Mark Forkner n’avait toutefois pas fait part des problèmes à la FAA, ce qui avait conduit le régulateur à ne pas exiger de formation spécifique des pilotes. “En gros, ça veut dire que j’ai menti aux régulateurs”, écrivait-il alors à un collègue.
Cloués au sol
Le patron de Boeing, Dennis Muilenburg, a démissionné en décembre dernier. Après les catastrophes, il avait accusé les pilotes des avions qui se sont écrasés de n’avoir pas “complètement” suivi les procédures. La firme a suspendu la production du 737 MAX à partir de janvier 2020. Les engins existants sont cloués au sol depuis dix mois par une interdiction de vol par la quasi-totalité des compagnies aériennes nationales ou internationales.
La Royal Air Maroc avait commandé une série de quatre appareils Boeing 737 MAX dans le cadre de son “plan stratégique de développement de ses opérations”. Le premier a été réceptionné le 22 décembre, mais la compagnie avait pris la décision de suspendre l’appareil de ses vols commerciaux suite au crash du vol Ethiopian Airlines Addis-Nairobi le 10 mars dernier. Le deuxième Boeing de la série, réceptionné mi-février, a également été cloué au sol, tandis que la livraison des deux derniers engins a été suspendue après la catastrophe de Lion Air.