Le général Soleimani, un "martyr" qui transcende les clivages en Iran

Depuis son retour en Iran le 5 janvier, le cercueil du général Qassem Soleimani draine les foules partout sur son passage, témoignant de la popularité dont il jouissait dans son pays, par-delà les clivages politiques.

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Des milliers de personnes ont rendu hommage à Qassem Soleimani dans la ville natale du général, Kerman, le 7 janvier. Crédit: Atta Kenare / AFP

Unis dans le deuil, la colère ou la prière, les Iraniens se sont déplacés dans des proportions considérables à Ahvaz (sud-ouest) et Machhad (nord-est) dimanche, avant Téhéran et Qom (centre) lundi 6 janvier, pour rendre hommage à la dépouille du soldat, et encore le lendemain à Kerman (sud-est), sa ville natale, pour son enterrement.

La dernière fois que je me souviens d’une telle foule, c’était aux funérailles de l’imam Khomeiny”, fondateur de la République islamique décédé en 1989, dit à l’AFP Maziar Khosravi, ex-chef du service politique du quotidien réformateur Charq.

“Martyr”

L’apparence d’unité nationale affichée autour de Soleimani, tué vendredi à 62 ans par une frappe aérienne américaine à Bagdad, tranche radicalement avec le climat de morosité qui s’était installé depuis un mois et demi à la suite de la vague de contestation, violemment réprimée, ayant touché une centaine de villes en novembre.

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Chef de la Force Qods, unité d’élite chargée des opérations extérieures des Gardiens de la Révolution (l’armée idéologique iranienne), l’officier était à ce titre l’architecte de la stratégie de l’Iran dans son environnement proche. Discret autant qu’il était puissant, présentant toujours bien, l’homme était assurément populaire de son vivant. En octobre, l’Institut pour les études internationales et de sécurité de l’Université du Maryland (États-Unis) affirmait même qu’il était la personnalité la plus appréciée du pays, avec une moyenne de huit opinions favorables sur 10.

Déclaré “martyr vivant” par le guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei avant même qu’il ne soit assassiné, Soleimani est largement considéré dans son pays comme un héros pour le combat qu’il a mené contre les jihadistes du groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie. Aux yeux de nombre d’Iraniens, son action a permis à leur nation multiethnique d’éviter la désintégration qu’ont connue à ses portes, l’Irak, la Syrie ou l’Afghanistan.

Hommage régional

Dans la foule qui l’a pleuré le 6 janvier à Téhéran, nombreux sont ceux qui ont acclamé en lui le “vainqueur du terrorisme”. On le compare volontiers à un “commandant au service de l’islam” ou encore à Arash, ce héros du Livre des Rois (la grande épopée iranienne, rédigée au Xe siècle et fondatrice de la littérature persane) qui fixe la frontière d’un jet de flèche de son arc. Des rassemblements à sa mémoire ont aussi eu lieu en dehors d’Iran, à Bagdad, Beyrouth et Sanaa.

Fait rare, une mosquée de Qom, ville sainte chiite et capitale spirituelle iranienne, a hissé en son honneur un drapeau rouge (couleur du sang des martyrs), réservé habituellement aux célébrations du martyre de l’imam Hussein, l’une des figures saintes les plus vénérées du chiisme. À Téhéran comme à Ahvaz, capitale de la province déshéritée du Khouzestan (un des grands foyers de la contestation en novembre), “des milieux sociaux très divers étaient présents” pour l’hommage au général, “et pas juste des partisans du régime”, observe Maziar Khosravi.

Héros national

Pour l’ancien chef du service politique du quotidien réformateur Charq, cela s’explique d’abord par le fait que “Soleimani était l’un des rares, si ce n’est le seul des commandants des Gardiens à ne pas intervenir” sur la scène politique intérieure. Autre point important, ajoute le journaliste, “il montrait de l’empathie pour les femmes considérées mal voilées selon le système politique iranien, estimant qu’elles ne devaient pas être rejetées”. “La majorité du peuple iranien pense que sa fierté nationale a été bafouée”, dit-il.

Venu comme tant d’autres saluer la dépouille de l’officier lundi dans la capitale, Hassan Razavi, un avocat, partage largement cet avis. Pour Me Razavi, la principale raison de “l’extrême popularité” du général est à chercher dans son passé, pendant la guerre Iran-Irak (1980-1988) où, étant l’un des principaux chefs militaires du pays, il a joué “un rôle important pour bouter Saddam Hussein hors du pays”.

Ce que les gens aimaient en lui tenait à ce que, contrairement à d’autres commandants militaires, qui après la guerre Iran-Irak sont passés dans la sphère politique ou économique, il a continué dans les forces armées : les gens ont été témoins qu’il n’a jamais tiré le moindre profit financier personnel de sa situation”, avance-t-il. Au contraire, “il a voué sa vie et son action à la défense de l’Iran (…), en première ligne avec ses soldats”, dit encore Hassan Razavi. Enfin, selon l’avocat, il était “extrêmement dur avec les terroristes”, mais “faisait preuve de la plus grande (…) bonté avec les gens ordinaires”.