Hrig : Le champion Anouar Boukharsa raconte sa nouvelle vie

Il y a environ deux mois, Anouar Boukharsa se faisait connaître en se filmant en train de jeter sa médaille de champion du Maroc de taekwondo (catégorie des moins de 63 kg) dans l’Atlantique, à bord d’une patera. Interview.

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Anouar Boukharsa, qui a déjà remporté la Coupe du Trône (taekwondo), s'était filmé en train de jeter ses médailles en mer.

Né à Safi dans une famille de sportifs passionnés de Taekwondo, Anouar Boukharsa a embarqué en octobre dernier à bord d’une patera dans la région d’Abda, en direction de l’île espagnole de Lanzarote. Une fois arrivé aux Canaries, il a été transporté, en compagnie de 27 personnes, vers la ville de Las Palmas de Gran Canaria, où il a pris le bateau pour la région de Huelva, dans le sud de l’Espagne. Il vit aujourd’hui à Grenade, en Andalousie. Dans cet entretien avec TelQuel Arabi, il aborde les raisons de son départ, ses ambitions et ses regrets.

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Quelle est la véracité des informations selon lesquelles vous avez défendu les couleurs de l’Espagne lors d’une récente compétition de Taekwondo ?

C’est faux. L’histoire a commencé lorsqu’un de mes amis proches a publié une photo de moi lors d’une compétition réservée aux clubs, ma première depuis mon arrivée en Espagne. En publiant une photo de mon badge personnel, il a ouvert la porte à plusieurs interprétations. Certains ont cru que j’avais obtenu la nationalité espagnole, d’autres ont dit que je prenais part à la compétition sous le drapeau espagnol. En réalité, j’ai rejoint un des clubs de Grenade, avec lequel j’ai participé à cette compétition. D’ailleurs, je n’étais pas le seul marocain, nous étions six.

Comment avez-vous pu rejoindre ce club aussi rapidement après votre arrivée ?

Ce n’était pas facile. J’ai dû batailler pour leur montrer ce que je pouvais faire. Il faut aussi dire que j’ai été aidé par la couverture médiatique de la part de la presse espagnole qui a raconté mon histoire et comment je suis arrivé ici.

Avez-vous décidé de reprendre votre carrière professionnelle en Espagne ?

Actuellement, je vis avec ma sœur à Grenade. J’ai repris le Taekwondo mais je cherche surtout un travail stable pour améliorer ma situation financière. Je n’ai pas de passeport, la police l’a saisi à notre arrivée à Lanzarote. Sincèrement, si je devais choisir entre le sport et le travail, je choisirais ce dernier. Je suis là pour mener une meilleure vie qu’au Maroc.

Après vous être fait connaître sur les réseaux sociaux, avez-vous été approché par des responsables sportifs marocains ?

Pour moi, ils sont derrière toutes les entraves que j’ai rencontrées dans mon parcours sportif. Personne ne m’a accordé d’importance quand j’étais au Maroc ni après mon installation ici, en Espagne. En revanche, des personnes ont contacté la fédération espagnole de Taekwondo, vendredi 6 décembre, et l’ont avertie de ne pas me faire participer sous les couleurs de l’Espagne.

Si l’on vous proposait la nationalité sportive espagnole, l’accepteriez-vous ?

Evidemment, oui. Au Maroc, personne ne m’a tendu la main pour que je me développe.

D’où vient ce dégoût pour le sport que vous avez tant aimé pratiquer et qui vous a poussé à tout abandonner pour partir ?

Je préfère ne pas me replonger dans les mauvais souvenirs. Les responsables sont très au fait des dépassements qui existent en matière de gestion sportive au Maroc. J’ai aussi vu et vécu des choses en participant à des compétitions, particulièrement lorsque j’ai porté le kimono national des juniors lors du championnat arabe en Egypte [en 2015, NDLR].

L’idée du hrig a commencé à germer il y a environ un an. J’ai voyagé à Tanger, cherchant une patera qui m’emmènerait loin. J’ai perdu beaucoup de temps et gaspillé trop d’argent dans mes recherches, puis je suis retourné à Safi, sans que l’idée ne quitte mon esprit. Par hasard, je croise un ami qui comptait lui aussi émigrer.

Quelques mois plus tard, nous sommes entrés en contact avec un intermédiaire qui nous a exposé l’itinéraire et le montant total de l’opération. J’ai dû demander à mon père de m’aider. Je n’en ai pas parlé à ma mère ni à mes frères et sœurs. Je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent, j’ai aussi beaucoup hésité.

Combien de temps avez-vous passé en mer ?

Trois jours et 18 heures. C’était un voyage périlleux, mais je m’attendais à ce que ce ne soit pas une partie de plaisir. Je n’ai jeté ma médaille en mer que lorsque que nous n’étions plus qu’à quelques heures de notre destination.

L’aviez-vous préparé ?

Bien sûr que non, mais j’avais regardé, il y a quelques années, des vidéos touchantes de migrants clandestins turcs déchirant leurs papiers d’identité. Quand je me suis décidé à partir, j’ai pris des vêtements, mon téléphone, mes médailles et d’autres affaires nécessaires au voyage. Vers la fin du trajet, tout le monde a commencé à filmer ce moment de grâce. J’ai mis ma médaille autour de mon cou, et l’on m’a interrogé sur mon histoire. Tout le monde s’est accordé à dire qu’elles n’avaient plus aucun intérêt. J’ai été bouleversé, et j’ai décidé de la jeter. Finalement, la scène a suffi pour introduire mon histoire auprès des Marocains et me faire connaître à l’international.

Propos recueillis par Safae Benaouchi pour TelQuel Arabi

 

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