Les années passent et l’audiovisuel public marocain vit toujours autant sous perfusion, perpétuant le statu quo et la léthargie dans lesquels il s’est embourbé. C’est ce qu’indiquent les chiffres décryptés par la Cour des comptes qui, dans son rapport sur l’année 2018 rendu public ce 12 septembre, épingle la Société nationale de radio et télévision (SNRT).
Pour le compte de l’année 2017, la SNRT a bénéficié de près de 1,5 milliard de dirhams de subventions publiques, provenant de l’État, de fonds et de taxes pour la promotion du paysage audiovisuel. Une somme conséquente, comparée à ses propres recettes, issues de la publicité et autres prestations qui ne dépassent pas les 216 millions de dirhams.
Ces chiffres ne révèlent toutefois qu’une partie du problème tant le constat dressé par la Cour des comptes concernant ces deux mastodontes de l’audiovisuel marocain reste alarmant. Ainsi, l’institution pilotée par Driss Jettou fait état d’une situation financière critique accompagnée de recettes publicitaires en berne. Le tout sur fond d’absence de stratégie crédible et d’une gouvernance répondant aux abonnés absents depuis plus d’une décennie.
Des aides de l’État conséquentes et en tendance haussière
Pour mesurer l’ampleur de la dépendance financière de l’audiovisuel public marocain, il faut la considérer dans le temps. Le résultat net de la SNRT a connu une forte dégradation en 2012, atteignant – 146,35 millions de dirhams. Un déficit qui s’explique notamment par la faiblesse des recettes générées par la régie publicitaire de la SNRT qui étaient de l’ordre de 161 millions de dirhams.
À noter qu’une grande partie de cette somme provient des revenus générés par la chaîne Al Aoula qui représente 91% des revenus générés par les neuf chaînes du groupe de SNRT. La Cour des comptes souligne que le taux de remplissage des écrans, en 2017, n’a pas dépassé 20%, tandis que le volume publicitaire disponible non vendu était d’environ 80%.
Pour pallier ces faiblesses, l’Etat a injecté 1,11 milliard de dirhams dans les finances de la SNRT en 2017, soit 25% de plus qu’en 2012 où il a financé la SNRT à hauteur de 895 millions de dirhams. La Cour des comptes note toutefois que les aides consenties par l’État ont été “octroyées sans cadre contractuel à partir de 2012”. Une situation qui va “à l’encontre des dispositions de la loi n°77.03 susvisée qui précise que l’octroi des dotations doit s’effectuer par le biais d’un contrat programme”, pointent les magistrats de la Cour des comptes.
Un point sur lequel le PDG de la SNRT, Faycal Laraichi, réagit dans un droit de réponse figurant dans le rapport. Il impute le non-renouvellement du contrat-programme avec l’État à un manque de communication du ministère. « Depuis 2012, et suite à la publication du nouveau cahier des charges de l’audiovisuel, la SNRT opère selon une budgétisation annuelle approuvée par son conseil d’administration, » pointe le responsable dans sa réponse aux magistrats de la Cour des comptes.
Décalage stratégique
Malgré l’absence de contrat-programme, la SNRT a effectué d’importants investissements en vue d’assurer les couvertures FM et surtout TNT sur l’ensemble du territoire. Ainsi au mois de juin, la Commission de l’enseignement et de la culture à la Chambre des représentants relevaient que la SNRT avait investi 1,892 milliards de dirhams, soit une moyenne annuelle de 145,5 millions de dirhams sur la période 2012-17. Néanmoins ces investissements ont été réalisés en l’absence « d’un document formalisé déclinant sa stratégie en matière de télédiffusion, qui définit pour une durée déterminée les objectifs généraux dans les domaines de la télédiffusion ».
L’instance de contrôle pointe également un manque de comptabilité analytique et de planification stratégique. Pour étayer leurs propos, les magistrats de la Cour des comptes indiquent que les choix d’investissements ne tiennent pas “compte de la corrélation entre les différentes formes de diffusion, ainsi que des nouveautés et changements que connaît le secteur de la télévision et de la radio”. Un décalage majeur ne permettant pas “la rationalisation des investissements réalisés”.
Transformée en SA en 2006, la SNRT est dotée d’un parc de 254 sites sur l’ensemble du territoire. Cependant, 66 d’entre eux ne disposent d’aucune existence juridique tandis que d’autres ne disposent même pas de raccordement en électricité. Point plus cocasse soulevé par la Cour des comptes, le retard de paiement des factures d’électricité de la SNRT, auprès de l’ONEE. À avril 2016, “le montant des impayés relatif à la période 2008-2016 a atteint 3,81 MDH (au 19/04/2016)”, constate le rapport.
La SNRT, régie par le manque d’idées et l’absentéisme ?
Au fil du rapport, l’organe dirigé par Driss Jettou distille des éléments épinglant la présidence et le conseil d’administration. Ainsi, la Cour relève “l’absence quasi totale de débats relatifs aux enjeux et orientations stratégiques de la société”, celles-ci se limitant à l’approbation des budgets ou encore l’examen et l’arrêté des comptes. “En plus, il a été noté l’absence fréquente de certains membres du Conseil d’administration”, ajoute le rapport.
Un point sur lequel le Président directeur général de la SNRT se défend, dans ce même rapport. “Dans la limite de l’objet social, le conseil d’administration de la SNRT se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société en vue de régler par ses délibérations les affaires qui la concernent, et recourt le cas échéant aux comités techniques chargés d’étudier les questions qu’il leur soumet”, écrit Faycal Laaraichi.
Le rapport suggère de “veiller à l’adoption d’un contrat programme”, qui “constitue un cadre pour l’octroi les dotations budgétaires à la SNRT”. D’autres mesures sont aussi souhaitées pour “inciter” à l’assiduité et à la prise de mesures nécessaires dans leur rôle de pilotage stratégique. Une dose de clarté donc, dans le fonctionnement de l’audiovisuel marocain pour tendre “à l’établissement et la formalisation d’une stratégie avec des objectifs clairs et explicites”.
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