TICAD VII : un sommet à enjeux pour le Maroc et le reste de l'Afrique

Aujourd'hui, s'ouvre au Japon la septième édition du TICAD, une conférence dédiée au développement du continent africain. L’occasion pour le Pays du soleil levant de marquer sa vision singulière en Afrique et d'y concurrencer la Chine.

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AFP

Le choix de la “qualité”. Ces derniers jours, le mot est martelé par la diplomatie nippone pour évoquer sa projection sur l’Afrique. C’est que jusqu’au 30 août, le Japon accueille sa septième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), le levier central de sa politique africaine.

Et à Yokohama, cité hôte de l’édition 2019, qualifiée pour l’occasion de “ville japonaise la plus proche de l’Afrique”, le pays du Soleil Levant compte apporter un nouveau souffle à sa coopération avec le continent et faire valoir une diplomatie singulière, loin des appétits nourris par d’autres acteurs internationaux. 

Le thème choisi pour ce sommet n’est pas moins révélateur des objectifs visés: “Faire progresser le développement de l’Afrique à travers les hommes, la technologie et l’innovation”. Un modèle réaffirmé à chaque TICAD sous le prisme du “gagnant-gagnant.

Au Japon, nous pensons que le continent africain et notre pays doivent s’aider et viser à un développement mutuel”, nous confiait, en novembre, Kasumi Kobayashi, maire adjoint de Yokohama. Une philosophie appliquée “bien avant l’adoption de la déclaration de Tokyo sur le développement de l’Afrique, lors du premier TICAD [en 1993, NDLR]”, poursuivait l’édile.

Le TICAD 2019 est surtout l’occasion pour le Japon de rattraper le retard sur le voisin et rival chinois, dont l’argent inonde le continent depuis le début du nouveau siècle. 

Le gotha africain attendu

Envoyer un message au continent et, surtout, “engager une action conséquente” en Afrique, tel est l’objectif de ce sommet qui consacre la part belle aux “rencontres de haut niveau”, a réaffirmé la diplomatie nippone. Organisé conjointement avec plusieurs agences des Nations unies, la Banque mondiale et l’Union africaine (UA), le TICAD a vu affluer depuis le début de la semaine des personnalités du milieu des affaires, de la société civile et des leaders politiques du continent.

Le chef d’Etat égyptien Abdel Fattah al-Sissi, président en exercice de l’UA,  ainsi que le président sud-africain Cyril Ramaphosa – tous deux membres de la troïka de l’Union – sont attendus. Les présidents Faure Gnassingbe (Togo) et Issoufou Mahamadou (Niger) ont aussi confirmé leur présence. La délégation marocaine était conduite à son arrivée par Mohcine Jazouli, ministre délégué chargé de la Coopération africaine, présent sur place depuis la fin de semaine dernière. Selon nos informations, Nasser Bourita, chef de la diplomatie marocaine, prendra le relais dès le 29 août.

Ce TICAD VII s’articulera surtout autour de la diversification des partenariats commerciaux entre le Japon et l’Afrique.  L’État japonais et la Banque africaine de développement devraient annoncer conjointement des projets de plus de 300 milliards de yens (27 milliards de dirhams) pour des infrastructures “transparentes et de qualité”, indique la bourse de Tokyo. De plus, il est question d’un prêt de 400 milliards de yens (36 milliards de dirhams) pour financer des énergies renouvelables sur le continent, en Égypte, au Kenya et au Rwanda notamment. 

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Il sera également question d’autres axes majeurs de développement, de l’accompagnement des ressources humaines et des techniques, de soutien à l’entrepreneuriat et les échanges entre citoyens. “Nous renforçons également notre collaboration sur le thème de la promotion de la femme”, a expliqué la maire de Yokohama, Fumiko Hayashi lors d’une réunion préparatoire.

La ville de Yokohama poursuivra ses efforts afin d’approfondir la coopération avec les pays africains au niveau des villes, tout en partageant activement son expérience en développement urbain et ses solutions innovantes aux enjeux d’urbanisme”, notait, pour sa part, Kasumi Kobayashi. Une occasion pour lui de vanter le modèle opéré par Yokohama. La ville est devenue en 25 ans un exemple mondial de smart city grâce à une mue portée par une politique environnementale et d’innovation sociale.

Elle s’est également impliquée dans le lancement en 2017 d’une plateforme africaine des villes propres, en collaboration avec l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA). Le projet cible notamment la gestion des déchets. “TICAD IV et TICAD V ont rapproché Yokohama de l’Afrique”, soulignait Kobayashi.

Le Japon entend jouer des coudes en Afrique

Depuis 2013 et le TICAD V, également organisé à Yokohama, les relations nippo-africaines ont connu un tournant. Le Japon a consacré 550 millions de dollars à la paix et la stabilité en Afrique Le maintien de la paix est un mantra constant du Japon dont la Constitution prône le pacifisme et le renoncement à la guerre. C’est aussi le fer de lance de sa diplomatie. Lors du dernier TICAD VI, il apparaissait que l’Afrique captait 28% de l’aide financière non remboursable du Japon, 15% de la coopération technique et 4% des prêts confessionnels consentis par le Japon. Parmi les 2.500 volontaires japonais dans le monde, plus de 800 se trouvent en Afrique. 

En 2016, 30 milliards de dollars d’investissements publics et privés ont été promis pour les infrastructures. Des chiffres bien maigres au regard de la rude concurrence de la Chine qui en a promis le double sur trois ans, en septembre 2018, lors d’un sommet Chine-Afrique. Pour autant, Masahiko Kiya, diplomate japonais responsable de la TICAD, estime que :  “des investissements ou des prêts chinois peuvent parfois aboutir à un endettement très lourd pour certains pays”. En Afrique, le Japon entend donc faire valoir la “qualité supérieure” de l’aide fournie.

Géographiquement, le peuple japonais est un des plus isolés du monde. Le fameux “rideau de bambou” n’a en effet pas cessé de marquer une distance raisonnable entre l’État insulaire et son voisin et rival chinois. Le Japon n’en demeure pas moins un pays actif dans sa diplomatie, tant il dispose de peu de ressources naturelles. Il s’est ainsi lancé, sous l’impulsion du Premier ministre Shinzo Abe, dans une “stratégie de revitalisation du Japon”, en juin 2015.

Sur l’Afrique, le Pays du soleil levant est devenu l’un des acteurs-clés du soutien au développement économique dès la fin de la Guerre froide. Les premiers sommets TICAD datent de cette époque. En 1961, la diplomatie japonaise se dote d’une division consacrée à l’Afrique. Le continent est aujourd’hui au coeur d’une stratégie à long terme.

Avec le Maroc, un partenaire constant et des remous

Le Maroc n’est pas en reste. “Le Japon attache une grande valeur au partenariat avec le Maroc”, a déclaré à la MAP Katsuhiko Takahashile directeur général du Moyen-Orient et de l’Afrique du nord au sein du ministère japonais des Affaires étrangères. “En ce qui concerne les relations économiques, le Maroc sert de passerelle vers l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Son avantage géographique et son fort potentiel économique ont beaucoup intéressé les entreprises japonaises”, poursuit-il.

Le Maroc concentre 69 des 796 entreprises japonaises implantées sur le continent africain. La coopération nippone dans le Royaume est manifeste dans les secteurs du BTP, la technologie et surtout la formation. Dans un article intitulé “Le Japon et le Maghreb”, Abdallah Saaf, chercheur au Policy Center for the New South écrit : “la question de la formation a constamment occupé une place de choix dans les relations nippo-marocaines”.

Concrètement, la coopération a souvent consisté en des cycles de formation dispensés par les administrations et agences marocaines, comme l’Office national d’électricité (ONE), au profit des pays d’Afrique subsaharienne francophone”, poursuit-il. Une preuve de l’orientation de la coopération japonaise visant “la compétitivité économique et la réalisation de la croissance économique durable”.

Les liens entre le Rabat et Tokyo n’ont pas toujours échappé aux turbulences diplomatiques. En août 2017, TelQuel relatait une empoignade à Maputo, lors d’une réunion ministérielle de suivi du sommet TICAD. La délégation marocaine menée par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait été courroucée par les autorités mozambicaines. Le motif : ces dernières ont tenté d’imposer la participation du Polisario. Un fil rouge auquel le Japon s’est empressé de répondre en affirmant que la réunion était seulement destinée aux “pays africains reconnus par le Japon”. 

Pourtant, le 6 octobre 2018, bis repetita. Voyageant avec des passeports diplomatiques algériens, c’est sous couvert de “badges de la Commission de l’Union africaine” que la délégation de la RASD, menée par son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Ould Salek, s’est introduite dans une réunion préparatoire du TICAD VII.

Une situation qui avait poussé la délégation marocaine, menée par Mohcine Jazouli à quitter la salle. Taro Kono, chef de la diplomatie japonaise, avait alors affirmé : “même si un groupe, qui se considère comme un Etat et que le Japon ne reconnaît pas, est présent dans cette pièce cela ne signifie pas que le Japon le reconnaît que ce soit de manière implicite ou explicite.

La mise au point de la diplomatie marocaine ne s’est pas fait attendre. “Toutes les actions menées par le Japon n’ont pas pu préserver le format consacré de la TICAD, ni être en phase avec la légalité internationale pour être en cohérence et faire respecter la position nationale du Japon concernant la question du Sahara marocain, relevait le département dirigé par Nasser Bourita. Pour Rabat, le Japon a fait “preuve d’hésitation”, et n’a pas respecté le format de réunion établi au Caire, prévoyant la participation de l’ensemble des pays africains reconnus par l’ONU, excluant de facto la RASD. Incident clos.

Katsuhiko Takahashi a d’ailleurs réaffirmé la non-reconnaissance du Polisario, “une position constante et immuable que le Japon n’a pas l’intention de changer”. Des déclarations qui n’ont visiblement pas été prises en compte par le mouvement séparatiste qui a dépêché une délégation pour le TICAD 2019 estimant que les membres de l’Union africaine ont le droit de prendre part à ce sommet.