La transition vers un pouvoir civil au Soudan, née de l’accord historique entre les militaires et la contestation, prend corps mercredi avec l’intronisation du conseil souverain, qui doit être suivie rapidement de la nomination d’un Premier ministre de consensus.
Le Conseil souverain remplace le « Conseil militaire de transition », qui dirigeait le pays depuis la destitution du président Omar el-Béchir, le 11 avril.
L’actuel chef du Conseil militaire, le général Abdel Fattah al-Burhane, a prêté serment comme président du Conseil souverain peu après 11H00 (09H00 GMT). Vêtu de son uniforme militaire et coiffé de son habituel béret vert, il a été intronisé lors d’une courte cérémonie, une main sur le coran et un bâton de maréchal sous le bras.
Selon les termes de l’accord officiellement signé samedi, il sera aux manettes du Conseil pendant 21 mois et un civil lui succédera pour le reste des 39 mois de transition prévus. Les 11 membres du Conseil souverain – cinq militaires et six civils – ont prêté à leur tour serment selon un média d’État.
Dans la foulée, le Premier ministre proposé par la contestation, Abdallah Hamdok, doit entrer en fonctions. Le Conseil souverain, qui comprend deux femmes, dont l’une est issue de la minorité chrétienne, devra superviser la formation du gouvernement –une annonce est prévue le 28 août– et d’un Parlement de transition.
Conclu à la faveur d’une médiation de l’Ethiopie et de l’Union africaine, l’accord sur la transition entre les militaires et la contestation a été signé samedi lors d’une cérémonie à laquelle assistaient de nombreux responsables étrangers, signe que le Soudan pourrait perdre son statut de paria sur la scène internationale.
Le pays a souffert notamment de dizaines d’années de sanctions économiques appliquées par les Etats-Unis, qui continuent de le maintenir sur la liste noire des « Etats soutenant le terrorisme ».
Le Conseil souverain cherchera par ailleurs à convaincre l’Union africaine d’obtenir la levée de la suspension du Soudan de l’UA, décidée en juin quelques jours après la dispersion meurtrière d’un sit-in des protestataires à Khartoum.
Selon un comité de médecins proche de la contestation, 127 personnes avaient été tuées le 3 juin lors de cette répression devant le siège de l’armée. Ce bilan atteint plus de 250 morts sur l’ensemble des huit mois de révolte, d’après la même source.
Sur le plan intérieur, le Conseil souverain et le gouvernement auront la lourde tâche de redresser une économie exsangue et de pacifier un pays marqué encore par plusieurs conflits, notamment dans la région du Darfour, dans l’ouest du pays.
L’intronisation du nouveau conseil a été bien accueillie dans la rue mais des habitants ont averti qu’ils l’auraient à l’oeil. « Si le Conseil ne répond pas à nos aspirations et ne sert pas nos intérêts, nous n’hésiterons pas à faire une autre révolution« , met en garde Ramzi al-Taqi, un vendeur de fruits. »Nous renverserons le Conseil tout comme nous l’avons fait avec l’ancien régime« , ajoute-t-il.
Les nouvelles institutions se mettent en place en même temps que le début du procès du président déchu Omar el-Béchir, porté au pouvoir par un coup d’Etat et qui a dirigé le pays pendant près de 30 ans.
L’ancien homme fort du pays est apparu lundi dans une cage en métal dans la salle d’audience d’un tribunal de Khartoum, pour répondre d’accusations de corruption. Selon des enquêteurs, il a reconnu avoir perçu 90 millions de dollars en espèces de l’Arabie saoudite, hors budget de l’Etat.
Son procès ne concerne toutefois pas les accusations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de génocide dans la région du Darfour portées par la Cour pénale internationale (CPI) depuis une décennie.
Amnesty International a exhorté à ce sujet les nouvelles institutions de transition à ratifier le Statut de Rome de la CPI, ce qui permettrait de transférer M. Béchir devant ce tribunal international.
Malgré l’euphorie engendrée par la signature de l’accord de transition samedi, des craintes subsistent dans le camp des protestataires en raison notamment de l’omniprésence de Mohamed Hamdan Daglo, numéro deux du Conseil militaire et chef d’une redoutée force paramilitaire accusée d’être impliquée dans la répression de la contestation.
Depuis avril, il est omniprésent, et c’est lui qui a cosigné samedi l’accord avec la contestation. Ses Forces de soutien rapide (RSF) sont aussi accusées de crimes au Darfour sous le régime Béchir.