Trois ans après la loi Zéro Mika, où en sommes-nous ?

Adoptée en 2016,  la loi Zéro Mika est toujours confrontée aux unités clandestines de production de sacs en plastique. L'action sur le comportement du citoyen reste primordiale, d'où la mise en place de nouvelles campagnes de sensibilisation. Une révision de la législation est également en cours.

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A la veille du troisième anniversaire de la mise en application de la loi 77-15 interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation, la commercialisation et l’utilisation des sacs plastiques, le bilan reste mitigé. Si l’on ne retrouve plus de sacs en plastique dans les grandes surfaces et de moins en moins chez l’épicier du coin, la mika  est encore omniprésent dans les souks et les circuits informels.

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Le ministre de l'Industrie Moulay Hafid Elalamy avait lui-même déclaré en 2018 que “l’éradication de l'usage des sacs en plastique reste limitée. Cette déclaration faisait principalement écho au fait que ces emballages sont toujours produits en masse par des unités clandestines. Le 29 mai 2019, l'Administration des douanes et des impôts rapportait la saisie de 7 tonnes de plastique à Bario Chino, près de Nador.

Le sac non-tissé, une fausse bonne idée ?

Depuis l'interdiction du sac plastique et grâce à l'appui du ministère de l'Industrie, les investisseurs et les unités de production se sont penchés sur les solutions alternatives. Le digne successeur du sac plastique est à présent le sac en couleur non tissé, fabriqué à partir de polypropylène, que l'on retrouve dans la quasi-totalité des commerces.

Le ministère de l'Industrie évalue la production de sacs non tissés à 3,6 milliards par an. Initialement vendus aux consommateurs à 1 dirham, ces sacs achetés par les commerçants à 18 centimes l'unité sont désormais fournis gratuitement. Cette baisse des prix a notamment contribué à populariser les sacs non tissés, mais leur usage s'est avéré problématique.

Car ces sacs sont certes recyclables et réutilisables, mais ne sont  pas biodégradables. De plus, il n'existe pas de filière de recyclage de ces emballages au Maroc. Selon les associations, le problème reste donc le même, étant donné qu'ils sont consommés en masse, sans pour autant être collectés ou recyclés, et que le citoyen marocain les réutilise peu.

En 2016, une enquête menée le collectif Zéro Zbel rapportait que sur 235 sondés, 65% déclarent utiliser 5 à 15 sacs en plastique chaque fois qu'ils font leurs courses. “Idéalement, les sacs non tissés devraient également être interdits, parce que tant qu'ils ne seront pas recyclés et réutilisés, il ne s'agit pas d'une réelle solution”, nous dit Lotfi Chraibi, militant et président de l'Association marocaine pour un environnement durable (AMED).

Autre obstacle :  les réseaux de production clandestins

Différentes enquêtes menées par le ministère de l'Industrie ont également révélé un autre aspect du problème. L'existence d'unités clandestines de production de sacs en plastique récupèrent dans les décharges des matières plastiques issues de produits industriels. Une fois incinérées, ces matières servent à la fabrication de sacs en plastique. Il s'agit selon l'un des représentants du ministère de l'Industrie d'un “réel danger pour le consommateur marocain”. Pour rappel, d'après l'article 5 de la loi 28-00 sur la gestion des déchets, “l'utilisation de produits issus du recyclage des déchets dans la fabrication des produits destinés à être mis en contact direct avec les produits alimentaires est interdite”.

Cependant, Taoufik Moucharraf, responsable de la communication au ministère de l'Industrie,   nous assure qu'un réel travail de contrôle est mené, en collaboration avec le ministère de l'Intérieur et la gendarmerie pour démanteler les unités clandestines de production, principalement situées dans des périmètres ruraux et périurbains. Les enquêtes auraient notamment permis d'identifier des industriels qui fournissaient de la matière première au circuit informel. Les autorisations d'import de six d'entre eux ont été suspendues. Du 1er juillet 2016 au 28 juin 2019, 5.222 opérations de contrôle ont été effectuées et 1.280 tonnes de sacs interdits ont été saisies indique un rapport du ministère de l'Industrie que TelQuel a pu consulter

La nécessité d'une ”communication-choc”

Plusieurs acteurs associatifs déplorent l'échec des campagnes de sensibilisation. Ces dernières n’auraient pas réussi à “cibler les vrais problèmes”, nous déclare Lotfi Chraibi. “Malgré la mise en application de la loi zéro Mika, nous noyons encore la nature avec du synthétique. Pour que le citoyen comprenne la gravité de la situation, nous avons besoin d'une communication-choc qui montrerait que le plastique a d'abord un impact direct sur notre santé et pas seulement sur l'environnement”, ajoute-t-il. “Il faut agir directement sur le comportement du citoyen et lui inculquer les bons réflexes”.

Au fil des derniers mois, les différents organismes concernés ont entrepris un revirement au niveau des méthodes de sensibilisation et de communication. Tandis qu'en 2016, lors des premières campagnes de sensibilisation Zéro Mika le ministère de l'Industrie mettait principalement l'accent sur l'aspect environnemental, notamment avec la vidéo “Kayn Ma Ahssen”, il s'attaque à présent aux risques pour la santé.

Les dernières capsules vidéos publiées sur la page Facebook du ministère de l'Industrie donnent la parole à Abdelaziz Al Masfar, biologiste, qui explique d'un point de vue scientifique les dangers de l'utilisation des sacs en plastique recyclés sur le corps humain. Notre source auprès du ministère de l'Industrie nous informe également qu'une nouvelle campagne est en préparation. Celle-ci sera “plus choquante”, nous prévient-on.

شرح الطبيب للمخاطر الصحية لأكياس الميكا #Baraka_Mel_Mika

Publiée par Ministère de l'Industrie, de l'Investissement, du Commerce et du Numérique sur Mercredi 19 juin 2019

Sur la même lancée, la Fondation Mohammed VI pour la protection de l'environnement a lancé il y a quelques jours sur Twitter une nouvelle campagne de sensibilisation centrée sur les déchets plastiques dans les océans. Les images sont accompagnées du hashtag #b7arblaplastic et de slogans tels que “bientôt, il y aura plus de plastique que de poissons dans la mer”, ou encore “ce que nous jetons aujourd'hui finira dans nos assiettes demain”.

De réelles alternatives et un projet de réforme

Une des solutions pourrait être le retour aux productions artisanales comme la fameuse “koffa”, un panier en osier, ancêtre traditionnel du sac en plastique pour les courses. C'est ce qu'avait suggéré l'association Zéro Zbel en 2018 avec la campagne “Koffa mon amour”. Dans une vidéo explicative du projet, Mamoun Ghallab, président de l'association Zéro Zbel, présente la “koffa” comme “le symbole des solutions alternatives aux sacs en plastique”, notamment en raison de son appartenance au patrimoine culturel marocain.

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En 2016, plusieurs collectifs associatifs avaient jugé la loi 77-15 trop “hâtive”. Aujourd'hui, notre source auprès du ministère de l'Industrie nous informe qu'une révision de la loi Zéro Mika est en cours de préparation. Le projet de loi 57-18 modifiant et complétant la loi 77-15 a pour but de renforcer la réglementation actuelle et comprend quatre articles.

Le nouveau texte apportera notamment une clarification sur le plan technique quant à la définition du sac plastique et des matières plastiques. Il instaurera également plus de transparence dans les relations entre contrôleurs et contrôlés, et renforcera les différents dispositifs de contrôle. Le but de la loi 57-18 est aussi de mettre en place de nouvelles mesures qui visent à dissuader toute forme d'infraction aux dispositifs de cette loi.

Selon le document que nous avons pu consulter, les principaux axes du projet de loi 57-18 visent entre autres à “ajouter de nouvelles définitions (...) et précisions sur d’autres définitions sur le plan technique (...)obliger l’importateur des matières premières plastiques et les unités de recyclage ou de fabrication ou d’importation de la matière première ou d’exportation des sacs en plastique autorisés de déposer une déclaration auprès de l’Administration et de tenir un registre (...), augmenter les délais de récidive (...), aggraver certaines sanctions et prévoir de nouvelles sanctions (...), prévoir de nouvelles dispositions fixant le sort des sacs et des produits saisis (...), et préciser les modalités de saisie des sacs interdits et des outils ayant servis ou pouvant être utilisés dans la commission de l’infraction”. 

A l'échelle planétaire, l'Organisation des Nations Unies pour l'environnement estime que nous produisons environ 300 millions de tonnes de déchets plastiques par an. Selon les chiffres qui ont été annoncés lors du séminaire “Ecocean” qui s'est tenu à Tanger le 27 juin 2019,  à l'issue du projet Marine Littering, près de 8 millions de tonnes de plastique sont jetées dans les océans chaque année.

Selon la même source, le Maroc est l'un des vingt premiers pays dans le monde à avoir le plus de fuites de déchets plastiques vers les océans, et 51% des déchets que l'on retrouve sur les plages marocaines sont des déchets plastiques. Enfin, si le royaume a franchi un pas avec la loi “Zéro Mika”, le chemin reste long, puisque les ustensiles à usage unique tel que les pailles ou encore les couverts en plastique, mais aussi les bouchons de bouteilles d'eau par exemple, sont également des déchets que l'on retrouve en abondance dans les océans.

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