Le plus pénible dans cette soirée, ce n’était pas ces délicates vingt premières minutes durant lesquelles les Bleues ont été étouffées par les Norvégiennes. Ni même l’égalisation offerte à la Norvège par Wendie Renard en marquant contre son camp à la 54e minute. Le plus pénible a été de trouver un café qui veuille bien diffuser le match. “Non, la Coupe du monde, pas le match amical Maroc-Gambie”, se doit-on de préciser à nos interlocuteurs, en précisant qu’il s’agit bien de la Coupe du monde féminine. Finalement, un café accepte de diffuser ce choc entre deux sélections figurant dans le top 15 mondial. Bein Sports n’y fonctionne pas à tous les coups, mais on fera avec.
L’enthousiasme autour de cette compétition est pourtant sans précédent. Dès octobre 2018, la FIFA avait en effet solennellement dévoilé sa “stratégie pour le développement du football féminin” dans un document de 24 pages. Parmi les trois objectifs-clés mis en avant : “améliorer la valeur commerciale”, à savoir “explorer de nouvelles sources de revenus et optimiser celles déjà existantes autour des compétitions féminines”, tout en “fournissant à toutes les parties prenantes l’accompagnement stratégique qui leur permettra de faire de même”.
Il est presque 20 heures, et le grand écran du café diffuse encore Maroc-Gambie. On s’impatiente. Accoudés au bar, les spectateurs semblent plus captivés par la Spéciale à 20 dirhams que par ce match amical dramatiquement insignifiant durant lequel les Lions peinent à inscrire le but égalisateur. “Ça vous dérange si l’on met la Coupe du monde féminine ?”, demande-t-on à chaque table. Personne ne sourcille. On obtient donc de quitter le stade de Marrakech pour Nice, où est disputé le match France-Norvège. On reconnait les visages de Valérie Gauvin, Eugénie Le Sommer, Kadidiatou Diani… Les noms des Norvégiennes défilent à l’écran, dans une réminiscence de catalogue IKEA.
L’absence d’Ada Hegerberg, première femme lauréate du Ballon d’Or, pèse lourd. En 2017, la Norvégienne décidait de quitter la sélection nationale pour lutter contre le manque de reconnaissance des femmes dans le milieu du football. “Il s’agit de la façon dont sont respectées les femmes qui jouent au football et je ne crois pas que le respect était là”, déclarait-elle. Une bataille menée conjointement par les équipes australienne et américaine pour combler l’écart du prix de la Coupe du monde qui s’élève à quelque 370 millions de dollars.
Et là, alors que l’atmosphère commence tout juste à s’installer, l’écran switche au match amical Maroc-Gambie. Malgré notre lobby bien huilé, un client a engagé une guerre de la télécommande. “Juste une petite demi-heure”, lâche-t-il. Outre l’alternance entre le Mondial et le match amical, il faut composer avec les bugs techniques. Écran noir, pelouse verte, écran noir, frappe croisée du pied droit, écran noir, centre de Kadidiatou Diani, écran noir, tir de Karina Saevik… On aurait presque manqué le but de Valérie Gauvin qui ouvre le score à la 46e minute, sous quelques clameurs timides.
Alors que Wendie Renard offre l’égalisation à la Norvège en marquant contre son camp à la 54e minute sous la raillerie assumée des clients, un technicien vient bidouiller le téléviseur. On le voit qui branche et débranche des câbles colorés, inlassablement, tandis qu’Eugénie Le Sommer transforme un pénalty (72e minute) provoqué par Marion Torrent, après intervention de la VAR. Finalement (et péniblement), le match se termine sans la voix des commentateurs, avec pour fond sonore La Lambada, It’s raining men et les commentaires mi-amicaux, mi-amusés des clients du bar. L’ambiance reste bon enfant, les coéquipières d’Amandine Henry sont presque assurées de jouer les huitièmes de finale. Si un beau match ne requiert logiquement que trois choses — l’excellence, l’incertitude et un certain crescendo dramatique —, on se dit qu’il faudrait y ajouter l’égalité. Et une bonne connexion.