Elle est l’un des nouveaux visages de l’administration marocaine. A trente-trois ans, la directrice générale de l’Office national de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) a pour mission de redorer l’image de son institution dans un contexte décisif. Durant les dix dernières années, plusieurs instances nationales, dont le Haut commissariat au plan (HCP) et la Cour des comptes, ont dressé de sombres constats sur le secteur et sa gouvernance. Début avril, Mohammed VI a présidé, au palais royal de Rabat, une séance de présentation de la feuille de route relative au développement de la formation professionnelle et à la création des Cités des métiers et des compétences (CMC) pour chacune des 12 régions du royaume. « J’arrive à un moment où les choses bougent significativement. C’est une chance d’avoir cette attention royale pour ce secteur extrêmement important, en particulier dans le contexte actuel », confie Loubna Tricha aux participants du Forum TelQuel, organisé le 29 avril dernier à Casablanca.
Cette lauréate de l’Ecole Mohammadia des Ingénieurs (EMI) est déjà bien initiée à la machine administrative. A partir de 2008, elle a officié dans la direction du développement industriel de l’OCP avant d’être promue chargée de mission auprès de Mostafa Terrab en 2014. En septembre 2017, elle est nommée secrétaire générale de l’OFPPT. Un mois seulement après son arrivée, l’ancien DG, Larbi Bencheikh, est limogé par le roi. Il est remplacé en août 2018 par Loubna Tricha. Aujourd’hui, elle doit faire en sorte que les spécialités de la formation professionnelle soient adaptées aux besoins réels du marché de l’emploi. Pour ce faire, et contrairement à son prédécesseur, elle veut d’abord en finir avec la politique de « massification ».
Mettre fin à la massification
« Début 2000, le dispositif de l’office offrait 50 000 places pédagogiques et 180 établissements à travers le royaume. Pour accompagner la dynamique économique et le renforcement de l’industrialisation et des grands chantiers qu’a connus le pays, il y eut une nécessité de renforcer ce dispositif et de le massifier. C’était la priorité », explique la DG de l’OFPPT. « La conjoncture était caractérisée par une certaine stabilité des métiers classiques qui devaient être dispensés pour accompagner l’économie nationale. Aujourd’hui, on est passés à un dispositif qui a une capacité de 500 000 places pédagogiques et un réseau de 360 établissements. Nous avons doublé les infrastructures certes, mais nous avons multiplié la capacité par dix », précise-t-elle. Une massification qui s’est faite, selon elle, « au détriment d’un certain nombre de choses, que ce soit en termes d’encadrement, d’utilisation des équipements que des espaces ». Aujourd’hui, la donne a changé. Le « contexte global appelle à la transformation. Les spécialistes parlent de 50% des métiers qui vont disparaître dans les trente prochaines années et qui seront remplacés par de nouveaux métiers. Nous devons préparer la prochaine génération à plus de polyvalence et de capacités d’adaptation », estime Loubna Tricha.
A cela s’ajoute une « profonde mutation » des métiers traditionnels pour accompagner les objectifs de développement durable, d’efficacité énergétique et de digitalisation. Cette transformation nécessite de « plus grandes exigences en matière de qualité de formation, d’expertise des profils demandés par les entreprises et de maîtrise des compétences nécessaires pour l’exercice de la fonction », reconnaît-elle. De ce fait, « la massification n’est plus aujourd’hui notre priorité. Nous n’avons plus autant de pression qu’il y a une décennie. Certes, la demande est croissante et nous ferons de notre mieux pour renforcer le dispositif, mais jamais en priorisant cela au détriment de la qualité de formation ». Lors du dernier conseil d’administration qu’elle a tenu, Loubna Tricha a validé la régression de la carte de formation de 15%, pour passer de 550 000 places à 450 000. « La finalité, c’est de permettre l’insertion des lauréats dans le marché du travail. Je préfère en former deux et les insérer, plutôt que d’en former trois et n’en insérer aucun », explique-t-elle.
Harmoniser la formation et l’emploi
En janvier 2018, le HCP publiait une étude sur l’adéquation formation-emploi, sur la base d’un croisement des nomenclatures des diplômes et des professions. Selon cette dernière, les lauréats de l’OFPPT enregistrent un taux de chômage de 24,5% tandis que celui des diplômés de l’enseignement général est de 16%. Ils sont aussi trois fois plus nombreux à être atteints par le déclassement que les diplômés de l’enseignement général. « La problématique du chômage est globale et n’est pas spécifique à la formation professionnelle. Si on tient compte d’une équation qui veut que nous mettions chaque année sur le marché 120 000 lauréats issus de la formation professionnelle et que les universités en mettent dans les 180 000 avec, en face, un marché de l’emploi qui ne crée pas plus de 100 000 opportunités, avec un taux d’insertion de 70%, je m’estime performante », souligne Loubna Tricha. Pour l’économiste Nezha Lahrichi, également présente au forum, cette situation est « due aussi à la nature des structures productives du pays ». « En face de ce que vous formez, il y a une offre pas du tout qualifiée et peu rémunérée. L’essoufflement de la croissance n’arrange pas les choses. Nous sommes passés d’une moyenne de croissance de 5% de 2000 à 2008 à une moyenne de 3% de 2009 à 2017 et les prévisions pour 2018-2019 ne sont pas meilleures », relève celle qui a aussi été conseillère de Abderrahmane Youssoufi et Driss Jettou et présidente de la Société marocaine d’assurances à l’exportation (SMAEX). La diversification du tissu productif peut résoudre le problème. Mais comment anticiper les besoins de l’économie nationale et de l’entreprise ? Une « difficulté » dont Loubna Tricha est consciente. « La définition des besoins en compétences n’est pas du ressort de l’opérateur de formation. Pour ça, nous avons les professionnels, la CGEM et surtout l’Observatoire national de l’emploi qui existe au niveau du ministère et qui doit être activé », recommande la DG.
Exception faite des grands groupes et multinationales, la majorité des entreprises ne sont, en effet, pas en mesure aujourd’hui de faire la projection de leurs besoins en compétences, « même pas sur les cinq prochaines années ». « Nous n’avons pas fait grand-chose en matière de formation continue, et la problématique des contrats spéciaux de formation (CSF) et leur remboursement n’a jamais été réglée », s’étonne pour sa part Abdelouahed Souheil, l’ancien ministre PPS de l’Emploi et de la formation professionnelle, également présent au forum. De fait, si les entreprises sont soumises à la taxe de formation, soit 1,6% de leur masse salariale, seulement 1,2% d’entre elles profitent des CSF. En cause, une trop grande complexité procédurale. « Le problème des CSF ne relève pas des prérogatives de l’OFPPT, cela se décide au niveau d’un comité central composé de l’Etat, de la CGEM et des syndicats », fait remarquer Loubna Tricha. Elle rassure tout de même : « Le problème est posé et nous travaillons à une solution ».
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