Dans une Espagne morcelée suite au séisme catalan, le Maroc, est-il un appui de poids pour la stabilité ibérique? Le chef du gouvernement ibérique, Pedro Sanchez, n’en pense pas moins : “Le progrès et la prospérité du Maroc constituent un élément décisif pour la stabilité de la Méditerranée occidentale et en particulier pour l’Espagne”. Dans une tribune publiée dans la revue espagnole Politica Exterior (mai-juin 2019), le Premier ministre socialiste revient sur la coopération entretenue de part et d’autre du détroit de Gibraltar. Des relations à “dimension humaine et stratégique” entre deux pays “amis qui coopèrent étroitement dans des domaines prioritaires”, relève-t-il.
La sortie n’est pas anodine. À l’approche des élections législatives anticipées prévues ce dimanche, Sanchez, à la tête du gouvernement espagnol depuis juin 2018, est en campagne. Pourtant, il y a moins d’un an, peu lui prêtaient la carrure pour réussir à s’installer durablement dans un contexte politique éclaté. Lui a su en jouer, avec la stabilité comme leitmotiv principal. De quoi justifier le rôle “capital” du Maroc pour l’Espagne et son gouvernement, et adresser un message aux voix critiques envers le Royaume dans les rangs de l’opposition espagnole.
Partenaire clé
Le texte publié dans Politica Exterior, publication scientifique qui aborde les points de relations internationales, défend les grandes lignes de la politique étrangère du gouvernement de Pedro Sanchez. Premier point évoqué, la gestion des flux migratoires. “Nous n’avons pas besoin de divisions inutiles, mais de politiques coordonnées et efficaces, appliquées de concert avec nos partenaires, les pays d’origine et de transit”, écrit le Premier ministre espagnol. Face à ce constat, il explique avoir “défendu” la position du Maroc comme “partenaire clé”, lors du premier conseil européen auquel il a assisté en octobre 2018.
À l’automne, Madrid avait poussé Bruxelles à “accorder un décaissement substantiel (de l’aide allouée au Maroc, NDLR), et surtout rapide, à Rabat”, d’après El Pais. L’Espagne, considérée comme la première porte d’entrée vers l’Europe, faisait alors face à une pression migratoire accrue, avec 57.000 arrivées sur l’année 2018, soit “160 personnes par jour”, d’après l’OIM. “Nous avons obtenu 140 millions d’euros de fonds européens pour aider le Maroc, poursuit le Premier ministre dans sa tribune. C’est un effort important qui doit être soutenu à moyen et long terme par un véritable partenariat stratégique entre l’UE et le Maroc”.
L’Espagne entend désormais jouer un rôle plus important dans ce partenariat. “C’est pour cette raison que j’ai rencontré le roi Mohammed VI au cours de ces mois, et que je me suis entretenu à deux reprises avec le Premier ministre Saad Eddine El Othmani”, affirme le chef de l’Exécutif espagnol.
Trump fait des émules en Espagne
Si la position de Sanchez vis-à-vis du Maroc s’inscrit dans une logique de stabilité, elle risque de voir un certain nombre de voix discordantes s’élever. Du côté de l’opposition espagnole notamment, et principalement sur les cas du Sahara et des villes de Sebta et de Melilia.
Le parti d’extrême droite Vox s’est d’ailleurs récemment prononcé sur ces questions. Comme inspiré par Donald Trump, le président du parti populiste, Santiago Abascal, a proposé de construire un mur entre le Maroc et les enclaves de Sebta et Melilla. “Le Maroc nous envoie des vagues d’immigrés clandestins pour faire chanter l’Union européenne”, a-t-il dit, invitant donc le royaume à payer pour la construction du mur.
En janvier, le Parti populaire (libéral conservateur) avait fait part de son intention d’étendre à dix ans l’obligation de résidence pour l’octroi de la nationalité espagnole aux étrangers nés sur les territoires de Sebta et Melilia.
À gauche de l’échiquier politique espagnol, Podemos entretient une ligne globalement critique envers le Maroc. En marge d’une rencontre entre Pedro Sanchez et El Othmani, en novembre, un député de ce parti estimait “qu’aucun gouvernement d’Espagne ne peut légitimer ce que fait le Maroc au Sahara”. Mais récemment, la déclaration de Jorge Verstrynge Rojas a semé le trouble. Ce politologue, conseillé du parti d’extrême gauche, avait estimé que “le débat autour du Sahara ne doit pas avoir lieu”, en marge du forum Crans Montana à Dakhla à la mi-mars. “Le territoire du Sahara est marocain et c’est le cas depuis toujours”, explique-t-il. Pour lui, le rôle de Rabat est “fondamental” et le sera davantage à l’avenir, puisqu’il voit le Maroc comme un “maillon fort” du développement de l’Afrique et un partenaire de l’Europe. Et à l’approche des élections, il ne fait aucun doute que le Maroc suivra de très près les résultats de ce scrutin incertain.