C’est un combat qui vient de s’engager entre les gynécologues obstétriciens du secteur privé et la CNOPS. Dans un communiqué publié le 20 avril, la Coordination nationale des médecins du privé annonce que ses praticiens, “pour des raisons indépendantes de leur volonté, sont contraints de ne plus accepter les prises en charge de la CNOPS”. Les médecins ne supportant plus le tiers payant, les patientes devront donc s’acquitter de la totalité de leurs factures pour se faire rembourser par la suite (entre 10.000 et 13.000 dirhams, NDLR).
Cette décision des gynécologues fait suite à un communiqué du 17 avril de la Caisse nationale qui annonçait qu’à partir du 1er mai 2019, les césariennes ne seraient plus remboursées que sur les bases de l’accouchement par voie basse, du moment que ces dernières ne sont pas médicalement justifiées. Le plafond de remboursement passait ainsi de 8.000 à 3.000 dirhams. La raison derrière cette mesure de la CNOPS : une recrudescence sans précédent du taux de césarienne parmi les souscripteurs de la Caisse depuis la revalorisation de ce type d’intervention (de 6.000 à 8.000 dirhams) en 2011. Un acte bien trop souvent pratiqué dans le secteur privé.
Pour rappel, le taux de césarienne au sein des souscripteurs de la CNOPS est estimé à 67% dans le secteur privé, ce dernier concentrant 90% des accouchements. Les taux de césarienne recommandés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se situent à 15%, quand ceux pratiqués au sein de l’OCDE frôlent les 28%. On est donc bien loin des taux pratiqués par les gynécologues du privé au Maroc.
Une ingérence mal venue
Néanmoins, pour les médecins interrogés, cette décision de la CNOPS constitue une ingérence dans le domaine médical. “Quand un professionnel qui n’a rien à voir avec la médecine commence à vous dire que telle méthode d’accouchement est meilleure qu’une autre et que telle prestation est remboursée à ce taux et l’autre à un autre taux… C’est la pagaille totale”, déplore un gynécologue exerçant dans une clinique privée de Casablanca, contacté par TelQuel.
Ce qu’annonce la CNOPS va en fait à rebours des revendications des gynécologues du privé, qui demandaient au contraire une réévaluation à la hausse du tarif de la césarienne, ainsi que de l’accouchement par voie basse. “Nous avions accepté des tarifs bas, car c’était aux débuts de l’AMO et il était indispensable d’avoir des citoyens avec une bonne couverture et bénéficiant de soins peu chers, mais là, ça devient inadéquat. Il fallait une revalorisation tous les trois ans, comme il avait été négocié”, poursuit notre source. Cette décision est perçue comme une perte de contrôle de la part des médecins sur les diagnostics et sur les opérations à mener auprès des patientes.
Suite à la décision des médecins gynécologues de refuser les prises en charge de la CNOPS, qu’adviendra-t-il des patientes? “Nous n’allons bien évidemment pas les laisser sur le trottoir, mais elles devront s’affranchir de la somme à payer le jour de l’accouchement et par la suite, nous leur donnerons tous les papiers de mutuelle adéquats pour aller se faire rembourser auprès de la CNOPS”, explique notre source. Une manière pour les médecins d’amener la mutuelle à “assumer les conséquences de ses décisions”. Il est aussi question pour les médecins de toucher immédiatement les honoraires de l’intervention, qui pouvaient mettre deux à trois mois pour être versés par la CNOPS à l’établissement de soin.
Une justification systématique
Désormais, selon les recommandations de la CNOPS, les gynécologues devront systématiquement justifier le recours à la césarienne sur leurs patientes. Pour celles rattachées à la CNOPS, la césarienne est couverte à 90% et aucune avance n’est effectuée. La mutuelle rembourse la clinique à hauteur de 90% du montant de l’opération, laissant les 10% à la charge de la patiente. Mais les médecins jugent la décision illégitime. Un autre médecin gynécologue contacté par TelQuel nous explique: “Pour être payés par la CNOPS, nous devons, en tant que médecins, justifier une césarienne ou un accouchement par voie basse. Il y a des indications médicales que seul le médecin peut poser. Le jour où une patiente éclate son utérus parce que l’on devait procéder à une césarienne et qu’on ne l’a pas fait, car la patiente n’était pas assez bien couverte en termes de mutuelle, qui endosse la responsabilité? Est-ce la CNOPS qui ira devant le juge?”.
Les médecins du privé seraient donc plus dérangés par le manque de valorisation associé à l’acte et par “la mise en doute de l’attitude des médecins gynécologues via des statistiques biaisées” que par la justification d’une intervention par césarienne, explique un gynécologue du privé.
“Il est malvenu de tirer des conclusions sur des chiffres qui concernent les 30.000 naissances enregistrées auprès de la CNOPS l’an dernier et de les appliquer à l’échelle nationale. Il y a 600.000 naissances par an au Maroc, dont une bonne partie est effectuée à la maison”, poursuit notre source.
Les médecins gynécologues invoquent aussi la “césarienne de convenance” demandée directement par la patiente. “La femme est libre de son corps et de sa décision. Parfois, elles ont peur de l’accouchement par voie basse et préfèrent une césarienne. Nous n’avons pas le droit de le leur refuser. Même s’il n’y a aucune raison valable. Nous pouvons tenter de faire comprendre à la patiente que le besoin n’est pas justifié, mais nous n’avons en aucun cas le droit de refuser”, nous explique notre interlocuteur, gynécologue dans le privé. C’est cette césarienne qui est effectuée sans indication médicale qui est principalement visée par la décision de la CNOPS.
In fine, pour le corps médical, la décision de la Caisse nationale serait une simple affaire de finances, un moyen de diminuer les remboursements sur une opération plus onéreuse qu’un accouchement par voie basse.
Explosion des frais de remboursement
En l’espace de 11 ans, les dépenses pour les accouchements par césarienne ont été multipliées par 10, passant de 13 millions de dirhams en 2006 à 130 millions de dirhams en 2017. “Ceux qui nous attaquent sur le côté financier ont tort. Nous avons déboursé l’an dernier 5 milliards de dirhams dans les remboursements maladie. Seulement 130 millions de dirhams concernaient les césariennes. C’est une maigre part”, nous explique Aziz Khorsi, chargé de communication à la CNOPS.
Ce qui changera désormais à partir du 1er mai, c’est bel et bien ce système de “césarienne de convenance” décrit par les médecins. “Si la demande est effectuée par la patiente alors qu’il n’y a pas lieu de le faire (aucune indication médicale, NDLR), elle sera désormais assujettie au règlement de la différence entre l’accouchement par césarienne et celui par voie basse”, poursuit notre interlocuteur. Cette mesure, espère la CNOPS, devrait de facto inciter les femmes à accoucher par voie basse s’il n’y a aucune contre-indication médicale. En termes de tarification, cela ne fait pas l’affaire des médecins puisque l’acte est beaucoup moins couteux qu’une césarienne.
A travers la décision de la CNOPS, il y a aussi la recherche de conformité aux recommandations internationales. “Sur les 3 millions de bénéficiaires de la CNOPS, on a recensé plus de 30.000 accouchements, dont plus de 18.500 par césarienne, ce qui est bien trop élevé par rapport aux normes de l’OMS. Maintenant, il faudrait pousser l’étude à l’échelle nationale”, conclut le responsable de la communication de la Caisse.