Accompagné des dignitaires invités – surtout africains -, le chef de l’État rwandais Paul Kagame allumera le matin une flamme du souvenir au mémorial de Gisozi à Kigali. Puis dans l’après-midi, il prononcera un discours lors d’une cérémonie au stade Amahoro (Paix).
Cette journée ouvrira une semaine d’activités en liaison avec la mémoire du génocide, faite d’échanges et réflexions sur des thématiques diverses, et de programmes de sensibilisation dans tout le pays, ainsi qu’un deuil officiel de cent jours, qui s’achèvera le 4 juillet.
Maroc-Rwanda
Le Maroc sera représenté par son Chef de gouvernement Saad Eddine El Othmani, apprend TelQuel de source autorisée. Une manière pour le Maroc de se montrer solidaire avec le Rwanda face à l’Histoire, mais aussi d’entretenir les relations avec un partenaire qui a vécu un « miracle économique ».
Sur un continent marqué par les disparités, les changements opérés dans ce petit Etat relèvent effectivement de cet ordre là. Un PIB multiplié par 5 en deux décennies, un taux d’électrification passé de 9 à 42% entre 2009 et 2018, un niveau d’instruction parmi les plus élevés du continent avec un taux de fréquentation scolaire de 98%… Le bilan est sans appel. Le pays attire les plus grandes institutions comme la Banque mondiale à investir pour accompagner son développement comme récemment avec l’injection de plus de 125 millions de dollar dans le domaine des énergies. Des entreprises marocaines y ont également investit à l’instar de l’OCP ou Palmeraie Développement. Le pays des milles collines était d’ailleurs venu vanter son modèle de développement et son attractivité à Casablanca en juillet 2018, fort de ses quasi 9% de croissance économique, et deux ans après la visite de Mohammed VI dans la capitale rwandaise en octobre 2016.
“Le Maroc a toujours voulu jouer un rôle de leadership dans son environnement, donc avoir un allié comme le Rwanda est un atout majeur, notamment pour renouer avec ses partenaires africains,” analyse pour TelQuel Lahcen Aqartit, chercheur et analyste en géopolitique à HEM.
Mais pour les survivants, la commémoration du génocide reste une épreuve bouleversante, qui fait resurgir les images des tueries ayant coûté la vie entre avril et juillet 1994 à au moins 800.000 personnes, selon l’ONU, essentiellement au sein de la minorité tutsi.
Les massacres, perpétrés par les Forces armées rwandaises (FAR) et les miliciens hutu Interahamwe, mais aussi par nombre de civils hutu exaltés par la propagande antitutsi, ont commencé le 7 avril 1994, au lendemain de l’assassinat du président Juvénal Habyarimana, un Hutu.
Le carnage a pris fin le 4 juillet avec l’entrée à Kigali de la rébellion tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), dirigée par M. Kagame. Homme fort du Rwanda depuis lors, celui-ci a présidé au redressement de son pays, sorti du néant.
Le redressement rwandais
Un redressement symbolisé d’abord par le développement économique du Rwanda, dont Kigali est devenue la vitrine moderne. Cet essor a été largement favorisé par l’aide reçue d’une communauté internationale se sentant redevable de son inaction pendant le génocide.
En interdisant toute référence à l’appartenance ethnique dans la vie publique et en faisant une priorité de la justice à l’égard des acteurs du génocide, à l’aide des tribunaux populaires (gacaca), les autorités ont aussi réussi à faire coexister pacifiquement bourreaux et victimes.
« En 25 ans, ce que nous avons réussi à accomplir, pour ce qui est d’essayer de se rapprocher à nouveau, est vraiment extraordinaire », estime Bruce Muringira, 24 ans, qui comme une majorité de Rwandais (7 millions sur 12) n’était pas né à l’époque du génocide.
En creux, cet étudiant à Kigali reste cependant lucide sur les défis qui attendent encore son pays. « Nous voyons encore aujourd’hui que ce n’est pas parfait, mais nous faisons les efforts pour trouver le moyen de vivre harmonieusement », ajoute-t-il.
Toutes les plaies de la tragédie ne sont en effet pas cicatrisées. La réconciliation tant célébrée est encore imparfaite. Pour les familles de victimes, le pardon reste difficile à accorder quand les corps de leurs proches n’ont pas été retrouvés ou que les tueurs ont échappé à la justice.
Pour les nombreux critiques du régime, l’apparent consensus social n’est que la résultante de l’autoritarisme de M. Kagame. Respecté en Afrique, le président rwandais est accusé en Occident de bafouer la liberté d’expression et de museler toute opposition.
Le Rwanda post-génocide, qui n’a connu d’autre leader, lui doit pour beaucoup sa cohésion. Perçu comme un mentor avisé, il n’a cependant jamais laissé émerger de relève susceptible de prendre sa suite.
Contacté par TelQuel, Lahcen Aqartit, chercheur et analyste en géopolitique à HEM nous explique que “le pays se démarque du continent depuis plusieurs années. L’an dernier le président chinois Xi Jinping en était reparti après la signature de différents contrats dans le développement d’infrastructures. La Chine est très présente en Afrique, mais occupe une place privilégiée au Rwanda. C’est aussi un des rares pays africains qui s’est récemment prononcé en faveur de la non ingérence dans les affaires du Venezuela, à l’instar de la Russie et de la Chine, allant à l’encontre de la majorité des pays africains”.
Contexte diplomatique
Ce 25e anniversaire intervient dans un climat diplomatique plus apaisé qu’il y a cinq ans. En 2014, M. Kagame, qui depuis toujours reproche à la France d’avoir été complice du régime hutu responsable du génocide, avait suscité la furie de Paris en accusant l’armée française d’avoir pris une part active dans les massacres.
La France n’avait finalement pas été représentée aux cérémonies. Cette année, le Rwanda a convié Emmanuel Macron à se rendre à Kigali. Le chef de l’État français a décliné en invoquant des problèmes d’agenda, mais ce refus n’a pas indisposé M. Kagame, avec lequel il entretient des relations courtoises. Le président Macron a officiellement annoncé le 5 avril l’ouverture à une commission d’historiens de « toutes les archives françaises » sur la période 1990-1994, un engagement pris en mai 2018 à l’issue d’une rencontre avec le président Kagame. Des déclassifications partielles des archives sur le Rwanda avaient déjà eu lieu, mais associations et historiens continuaient à réclamer un accès à la totalité de ces archives sensibles, dont certaines ont d’ailleurs selon eux déjà été détruites.
Le président français ne sera pas le seul absent notable. Contrairement à son prédécesseur, Ban Ki-moon, qui avait estimé en 2014 que l’ONU aurait pu « faire beaucoup plus » pour empêcher le génocide, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, n’a pas prévu de faire le déplacement.
Moins surprenante mais significative des dissensions qui continuent à régner entre le Rwanda et certains de ses voisins est l’absence du président ougandais Yoweri Museveni, accusé par Kigali de donner asile à des rebelles rwandais. La tension est actuellement au plus haut entre les deux pays et leurs leaders, alliés dans les années 1980.
Avec AFP